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200.000 emplois ont-ils été créés depuis deux ans, comme l’a affirmé Alexander De Croo ?

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Author(s): Romane Bonnemé

Querelle de chiffres en séance plénière à la Chambre du jeudi 1er décembre. Le Premier ministre a  soutenu que 200.000 emplois ont été créés en Belgique depuis l’installation de son gouvernement. De son côté, la N-VA, depuis l’opposition, n’en a pas compté plus de 18.000. Sauf que le chiffre de cette dernière, qui ne considère ni la même période, ni les mêmes indicateurs, est incorrect.

“Quand allez-vous arrêter enfin de raconter des contrevérités ?” s’est exclamé Björn Anseeuw (N-VA) en s’adressant à Alexander De Croo lors de la séance plénière à la Chambre ce jeudi 1er décembre.

Ce dernier s’est félicité en conclusion de sa prise de parole de la création de “200.000 emplois” depuis le début de son gouvernement, soit le 1er octobre 2020. Le Premier ministre a ensuite rendu “tout le mérite” de cette hausse au secteur privé et à l'”environnement stable” dont ce secteur a bénéficié grâce aux mesures prises par sa coalition, la Vivaldi.

Sur les bancs de l’opposition, ces chiffres sont contestés. Björn Anseeuw a ainsi avancé une donnée différente : “depuis que ce gouvernement est entré en fonction, il y a précisément 18.000 emplois supplémentaires dans ce pays”, indique le député flamand en ajoutant : “c’est peut-être une mauvaise nouvelle pour vous, mais c’est la dure réalité”.

Face à cette querelle de chiffres, quelle est la réalité justement ?

200.000 emplois créés selon le gouvernement

Le chiffre avancé par Alexander De Croo a été confirmé par son cabinet à l’agence Belga. Il provient de la Banque Nationale de Belgique (BNB) : selon ses dernières données, le nombre d’emplois créés s’élève précisément à 221.300 entre le 3e trimestre 2020 et le 3e trimestre 2022.

A noter que les chiffres de la BNB mesurent l’emploi intérieur, qui comprend à la fois l’emploi salarié et indépendant presté en Belgique.

“Ce sont des postes de travail, ce ne sont pas des personnes, précise Muriel Dejemeppe, professeure d’économie à l’UCLouvain. Une personne peut occuper plusieurs postes de travail. Si un travailleur exerce deux emplois à temps partiel, il sera comptabilisé comme un travailleur sur deux postes de travail”, ajoute-t-elle.

Contacté par Faky, le cabinet du ministre de l’Economie a également corroboré les chiffres du Premier ministre. “Les chiffres donnés par le cabinet De Croo sont corrects. Ils sont issus d’une publication de l’Institut des comptes nationaux. Ils ont analysé la période entre 2020 T3 et 2022 T3. Il y a eu effectivement 221.300 jobs créés”, affirme le porte-parole du ministre Dermagne (PS), Nicolas Gillard.

Ce dernier ajoute d’autres données issues du Bureau Fédéral au Plan (BFP) pour appuyer ce constat. “Plus de 100.000 emplois créés en 2021, 100.000 emplois supplémentaires devraient être créés en 2022 et plus de 39.000 en 2023 selon le Bureau Fédéral au Plan”, indique encore Nicolas Gillard.

Par ailleurs, d’après les dernières informations du BFP, “le taux d’emploi de la classe d’âge 20-64 ans augmente sensiblement, passant de 70,6% en 2021 à 72,4% en 2023, et ce, alors que la croissance de la population d’âge actif s’accélère suite à l’arrivée de réfugiés ukrainiens”.

© BFP

Une création nette du nombre d’emplois

“Ce chiffre montre qu’il y a eu beaucoup plus de créations d’emplois que de destructions d’empois, explique Muriel Dejemeppe, il y a une création nette du nombre d’emplois notamment du fait du développement des flexi jobs”.

“Il s’agit de la possibilité pour les travailleurs qui travaillent déjà au moins à 4/5e temps de compléter leur temps de travail par un emploi dans certains secteurs à temps partiel. Le travailleur qui aurait un emploi ‘classique’ et un flexi job sera aussi compté deux fois dans cette mesure d’emploi intérieur”, ajoute la chercheuse.

18.000 emplois créés selon la N-VA

Du côté de l’opposition, Björn Anseeuw affirme à la Chambre avoir repris les chiffres de l’Office national de sécurité sociale (ONSS).

Précisons que les chiffres de l’ONSS ne concernent que les salariés.

Contacté par Faky, l’Office national de sécurité sociale ne semble pourtant pas avoir la même réalité : “Selon nos données, il y avait 185.550 emplois de plus au deuxième trimestre de 2022 qu’au trimestre correspondant de 2020. Les chiffres sont donc similaires à ceux de la Banque nationale, qui, soit dit en passant, s’appuient largement sur les données de l’ONSS pour l’emploi salarié”, indique ainsi Kris Wils, le porte-parole.

Une période différente considérée par Björn Anseeuw

D’où viennent les 18.000 emplois créés avancés par Björn Anseeuw à la Chambre ?

Suite à nos sollicitations, le député fédéral N-VA, a effectivement confirmé que ce chiffre provenait de l’ONSS mais ces chiffres se réfèrent à une période différente et à d’autres indicateurs.

Selon lui, il ne faut en effet pas comptabiliser les créations d’emplois à partir du début du gouvernement De Croo le 1er octobre 2020 mais du début de la 55e législature, le 20 juin 2019, soit 1 an et 3 mois avant la formation de la coalition Vivaldi. “C’est plus honnête de comparer la situation avant Covid (2019) et après Covid (2022), commente la porte-parole de la N-VA à la Chambre, Charlotte Vandecruys, car après la crise du Covid-19, on peut enregistrer une belle croissance, bien sûr”.

Sauf qu’à la chambre ce jeudi 1er décembre, l’expression utilisée par Björn Anseeuw était bien : “depuis que ce gouvernement est au pouvoir” et non pas “depuis le début de la législature”.

Est-il effectivement plus pertinent de regarder avant le début de la crise ?

“Le seul indicateur qui a vraiment évolué au début du confinement en mars 2020 c’est nombre de travailleurs en équivalent temps plein [ETP]. Les autres indicateurs ont été impactés à la baisse par la crise, mais dans une moindre mesure”, répond Muriel Dejemeppe.

Pour preuve : la baisse spectaculaire du nombre de travailleurs en ETP.

Puis, on constate alors qu’entre les deuxièmes trimestres 2020 et 2022, il y a eu une augmentation de 531.941 du nombre de travailleurs en ETP. Ce boom montre que “pendant la crise, la variable d’ajustement était le chômage temporaire durant lequel on garde son poste de travail. Depuis lors, on est quasiment sorti du chômage temporaire corona : les travailleurs ont repris leur rythme de travail pré-crise, ce qui explique la forte progression du nombre de travailleurs en ETP”, ajoute Muriel Dejemeppe de l’UCLouvain.

© Comptes nationaux, ONSS ; Calculs : Nathan Lachapelle (IRES/LIDAM, UCLouvain)

Nombre d’emplois vs. Nombre de travailleurs occupés

Autre différence notable entre les chiffres du Premier ministre et ceux de Monsieur Anseeuw : ce dernier ne considère pas l’évolution du nombre de postes de travail mais celle du nombre de travailleurs occupés.

“Cet indicateur prend en compte le nombre de personnes qui occupent un emploi, qu’il soit partiel ou à temps plein” souligne la professeure d’économie à l’UCLouvain, Muriel Dejemeppe. C’est pour cette raison que sur le site de l’ONSS il est indiqué que cet indicateur offre une vue “moins précise et plus limitée car peu d’informations sur la nature des relations de travail sont disponibles (contrat à temps plein ou à temps partiel, contrat ouvrier ou employé…).”

Toujours est-il qu’en réponse à Faky, Monsieur Anseeuw a confirmé qu'”avant la crise du coronavirus [au deuxième trimestre 2019], il y avait 4.075.000 personnes employées tandis qu’au deuxième trimestre 2022 il y en avait 4.093.000. La différence entre les deux périodes est donc de 18.000″.

Sauf que le premier chiffre est faux : au deuxième trimestre 2019, il n’y avait pas 4.075.000 travailleurs occupés mais 3.950.862 selon les données de l’ONSS. La différence entre les deux périodes est donc de 142.627 nouveaux travailleurs salariés occupés.

 

N.B. : les chiffres de l’ONSS pour le 3e trimestre 2022 n’étant pas disponibles, il est préférable de comparer deux périodes similaires, soit entre les 2e trimestres 2019 et 2022.

Forte croissance du nombre de flexi jobs depuis la crise corona

Au final, plus de 200.000 emplois ont bien été créés entre le début du gouvernement De Croo et aujourd’hui. Il utilise l’indicateur officiel, celui de l’emploi intérieur qui affiche donc une croissance nette en faisant la différence entre les créations et les destructions d’emplois sur la période.

En prenant un autre indicateur, celui du nombre de travailleurs occupés salariés, le député N-VA se trompe en avançant des chiffres incorrects.

Quoi qu’il en soit, en utilisant les bonnes données, on constate une augmentation plus importante du nombre de postes de travail que de travailleurs depuis 2020. Cela s’explique par l’apparition “de nouvelles formes de travail, comme les flexi jobs, qui contribuent à augmenter le nombre de postes de travail mais qui ne vont pas générer une augmentation de travailleurs, car ces personnes occupaient déjà un emploi”, conclut Muriel Dejemeppe.

A noter : les personnes occupant des flexi job perçoivent des salaires inférieurs à ceux attribués à des contrats de travail classiques et ne reçoivent pas d’indemnités pour, par exemple, les heures supplémentaires et le travail de soirée, du week-end ou de nuit.