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Les centrales nucléaires de nos voisins européens ont-elles une durée de vie figée dans la loi ?

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Author(s): Romane Bonnemé

Les lois de nos voisins fixent-elles des limites à la durée de vie de leurs centrales nucléaires ? Répondre à cette question, qui a enflammé le débat au parlement fédéral belge, n’est pas si simple. Si des cadres législatifs existent, ils sont amendés régulièrement, et s’ils n’existent pas, tous les pays sont, de toute façon, tenus d’effectuer des visites de sûreté approfondies au moins tous les 10 ans. Outre la sûreté des réacteurs, c’est aussi – et surtout – les choix de politiques énergétiques qui sont donc en jeu dans ce débat.

Tout est parti d’une discussion au parlement fédéral le 6 octobre dernier sur la prolongation du parc nucléaire belge afin de s’assurer la continuité de l’approvisionnement en énergie du pays, dans le contexte de la crise de l’énergie, engendrée notamment par le conflit en Ukraine, et de la crise climatique.

Cette discussion à la Chambre portait plus spécifiquement sur le projet de modification de la loi de 2003 encadrant la sortie du nucléaire et modifiée en 2015 afin de prolonger les réacteurs nucléaires de Doel 1 et de Doel 2 de 10 ans, soit jusqu’en 2025.

Avant son approbation par la majorité à l’exception de l’abstention de la députée MR Marie-Christine Marghem, cette dernière, plutôt pro nucléaire, a pris la parole en défendant que “les pays qui nous entourent n’ont pas de loi de limitation dans le temps de l’exploitation de leurs centrales”.

Une position qui n’a pas manqué de faire réagir le député Samuel Cogolati (Ecolo) : “J’entends que la durée de vie des centrales nucléaires ne serait pas réglée par la loi chez nos voisins. C’est absolument faux et je ne veux plus l’entendre !”.

Puis le débat s’est ensuite exporté sur Twitter par tweets interposés entre les deux protagonistes, et leurs soutiens respectifs.

Les voisins de la Belgique ont-ils défini dans leurs textes de loi les dates de fermeture de leurs centrales nucléaires comme le soutien Samuel Cogolati ? Ou ont-ils plutôt fait le choix de législations souples sur la suite donnée à leur énergie nucléaire comme le défend Marie-Christine Marghem ?

Contactés par Faky, les deux députés sont restés sur leurs positions : M. Cogolati a ainsi affirmé que “quand on fouille un peu plus dans la législation de chaque pays voisin, l’on se rend vite compte que la durée d’exploitation des réacteurs nucléaires est à chaque fois bien réglementée et limitée”, quand Mme Marghem a insisté sur le fait qu’”en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas, il n’y a pas de cadre qui limite l’exploitation des centrales nucléaires”. Toutefois, les échanges argumentés de ces interviews ont révélé des positions, loin d’être manichéennes, à l’inverse de la teneur de certains échanges sur les réseaux sociaux.

L’équipe de Faky a tenté d’analyser les arguments des uns et des autres pour démontrer factuellement les éléments d’un sujet qui cristallise souvent les tensions politiques. Pour ce faire nous nous sommes d’abord penchés sur les situations allemandes et néerlandaises, avant de regarder du côté de la France, un cas bien spécifique.

Les lois allemande et hollandaise limitent les dates de fin d’exploitation des centrales nucléaires

En Allemagne et aux Pays-Bas, la fin de l’exploitation des centrales nucléaires est effectivement régulée par les lois nationales.

Depuis 2011 et l’amendement de la loi atomique de 2002, les 17 centrales nucléaires allemandes ont une date de fin de vie clairement fixée par le paragraphe 7 de cette même loiLes trois centrales encore en activité aujourd’hui devraient ainsi fermer au 31 décembre 2022.

“Cette date limite est relativement récente”, indique ainsi Murielle Gagnebin, cheffe de projet en Politique énergétique France-Allemagne au sein du groupe de réflexion Agora Energiewende. En effet, ajoute-t-elle : “la version initiale de la loi de 2002 ne prévoyait qu’une quantité maximale d’électricité cumulée produite, qui dérivait d’une durée de vie moyenne de 32 ans pour les réacteurs nucléaires”.

Quant aux Pays-Bas, c’est également la législation, à travers la loi sur l’énergie nucléaire de 2006, qui fixe la date de fin d’exploitation de leur unique centrale nucléaire, la centrale de Borssele. Ainsi, selon les textes législatifs, elle devrait cesser son activité au 31 décembre 2033, soit près de 60 ans après son ouverture.​​​​​​

Des textes de loi qui ne sont pas figés

Si les textes de loi allemands et hollandais définissent clairement des dates de fin d’exploitation de leurs centrales nucléaires, ils évoluent avec le temps.

“Il ne s’agit donc pas de règles figées”, indique ainsi Murielle Gagnebin d’Agora Energiewende. “On peut partir du principe que les réacteurs ont à leur construction une durée de vie de 40 ans au moins, mais il s’agira de s’assurer au cas par cas de la pertinence et de la faisabilité d’un prolongement en toute sécurité de leur durée de vie.”

C’est le cas de la centrale de Borssele aux Pays-Bas qui devait initialement fermer ses portes en 2013. Cette option s’étant avérée “irréaliste” à cause du risque de manque de production globale d’énergie dans le pays, les actionnaires de la centrale nucléaire de Borssele et le gouvernement néerlandais ont convenu d’arrêter la production d’énergie nucléaire en 2033. La date de fin de cette centrale a cependant à nouveau été sur la table : “Une majorité du parlement néerlandais et du gouvernement y est favorable. Par conséquent, il est fort probable que la loi sera modifiée pour rendre cette deuxième prolongation possible”, analyse Wim Turkenburg, professeur émérite en “Science, technologie et société” à l’Université d’Utrecht.

De la même manière en Allemagne, bien que la date de fin d’activité des trois centrales est prévue pour la fin de l’année, celle-ci risque également de changer.

En effet, selon un membre du gouvernement fédéral allemand qui a préféré rester anonyme : “les Ministères de l’économie et de l’Environnement proposent de prolonger les trois dernières centrales trois mois et demi de plus, soit jusqu’au 15 avril 2023. Cela n’est pas encore acté dans la loi, mais il y a une sorte de protocole d’accord”.

La France : pas de limite législative

Contrairement à l’Allemagne et aux Pays-Bas, les textes de loi français ne fixent pas de limitation dans le temps sur la durée d’exploitation des centrales nucléaires. La loi de 2015 mentionnée par Samuel Cogolati dans son Tweet visait à limiter “la production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 gigawatts”, mais “elle ne parlait pas de durée de vie” explique ainsi Ludovic Dupin de la Société Française de l’Energie Nucléaire (SFEN), avant de confirmer qu'”il n’existe pas de loi en France qui limite à 40 ans l’exploitation des centrales nucléaires”.

Les centrales françaises peuvent donc continuer de fonctionner “ad vitam aeternam” ? Ce n’est pas aussi simple.

Comme tous les pays membres de l’Union européenne (UE) et la Suisse, la France est tenue de respecter les dispositions de la directive EURATOM de 2014, qui dans son article 8 précise que “le titulaire d’une autorisation sous le contrôle réglementaire de l’autorité de réglementation compétente [est tenu de] réévalue [r] systématiquement et régulièrement, au moins tous les dix ans, la sûreté de l’installation nucléaire”. Les règles de ces évaluations sont déterminées nationalement.

En d’autres termes, “le feu vert” qui est initialement délivré à l’exploitant par le gouvernement français et l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) pour créer une centrale nucléaire “est remis en question tous les 10 ans dans le cadre d’un réexamen approfondi de l’installation, appelé réexamen périodique” par l’agence nationale chargée du contrôle de la sûreté nucléaire, peut-on lire dans une publication de 2018 de l’ASN. “Ce réexamen doit permettre d’apprécier la situation de l’installation au regard des règles qui lui sont applicables et d’actualiser l’appréciation des risques ou inconvénients que l’installation présente […], en tenant compte notamment de l’état de l’installation, de l’expérience acquise au cours de l’exploitation, de l’évolution des connaissances et des règles applicables aux installations similaires” lit-on dans la loi de 2006 qui fixe le cadre législatif de cette procédure.

Dans le cas où le cadre de la sûreté d’une centrale n’est plus considéré comme acceptable, soit l’ASN demande l’arrêt de l’installation, soit l’ASN prescrit à l’exploitant de remédier au défaut.

Ainsi, bien que “les experts parlent souvent d’une durée de vie technique pour les centrales nucléaires allant de 40 à possiblement 60 ans pour les plus récentes, des opérations de maintenance régulières sont requises, et des visites en profondeur pour assurer la sûreté nucléaire sont indispensables”, indique ainsi Murielle Gagnebin d’Agora Energiewende.

En février 2021, l’ASN a validé le principe de la prolongation des réacteurs 900 Mégawatts jusqu’à 50 ans, c’est-à-dire au-delà de leur quatrième examen périodique.

Dans le contexte actuel de crise énergétique et climatique, c’est la totalité des réacteurs français qui pourrait être concernée par ces prolongations au-delà de 40 ans, estime Ludovic Dupin de la SFEN : “On se rend compte que la prolongation, c’est ce qui est le plus efficace à moindre coût pour décarboner l’économie française. Donc on peut imaginer que tous les réacteurs sont prolongés au moins jusqu’à 50 ans. Du moins, c’est la direction que veut prendre EDF [Electricité De France – fournisseur d’énergie français] aujourd’hui”.

Prolongation mais jusqu’à quand ?

Finalement, ce débat d’idées révèle une autre question : de combien d’années une centrale nucléaire peut-elle être prolongée et plus précisément quelle est la durée maximale de vie de ces centrales dans le respect des mesures de sécurités ? Sur ce point, il n’y a pas une seule réponse, c’est au cas par cas.

Une centrale, supposée durer une quarantaine d’années lors de sa construction, peut être prolongée pour plusieurs raisons : des choix économiques, des orientations de politiques énergétiques, ou des conditions de sûreté favorables à la suite d’un réexamen périodique.

“Les réexamens sont l’occasion de renforcer le niveau de sûreté des réacteurs, notamment pour ces quatrièmes réexamens périodiques. [En France], si EDF considère qu’elle ne peut pas, pour des raisons techniques ou économiques, mettre en œuvre les prescriptions de l’ASN, le réacteur devra être arrêté. Enfin, la fermeture définitive d’un réacteur nucléaire pour des raisons de politique énergétique est décidée par le gouvernement et non par l’ASN”, peut-on lire dans cette publication de l’ASN.

In fine, les affirmations de Samuel Cogolati et Marie-Christine Marghem contiennent à la fois du vrai et du faux et doivent être nuancées.

Même si dans les cas de l’Allemagne et des Pays-Bas les lois nationales prévoient clairement des dates de fins d’exploitation de leurs centrales nucléaires, ces lois ne sont pas figées. Des amendements et prolongations sont régulièrement votés, modifiant ainsi les lois existantes. En France en revanche, il n’existe pas de limite fixée par la loi ou la réglementation pour l’exploitation d’une installation nucléaire.

Toutefois, en France comme pour les 27 pays de l’UE et la Suisse, des réexamens périodiques doivent être réalisés, au minimum tous les dix ans, afin de vérifier la sûreté d’une centrale pour les dix années supplémentaires.

Enfin, en Belgique, le projet de loi voté à la Chambre le 6 octobre dernier qui visait à entériner la possibilité d’effectuer des réparations sur ces deux réacteurs comporte aussi un calendrier plus global concernant l’ensemble des centrales nucléaires belge.

Cet “agenda” de fermeture de l’ensemble des centrales nucléaires belges contenu dans la loi fixe l’échéance à 2025, ce que certains parlementaires de l’opposition ont jugé trop court, dans l’état actuel des choses.