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Les chiffres de l’Institut de santé publique belge ne démontrent pas une “efficacité négative” des vaccins contre le Covid-19

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Author(s): AFP Belgique

La protection offerte par les vaccins anti-Covid a diminué contre les infections mais reste bonne contre les formes graves de la maladie, selon les scientifiques et les autorités sanitaires. Dans une vidéo partagée en juillet, un ancien professeur en santé publique en Belgique affirme pourtant que les personnes vaccinées contre le Covid-19 ont plus de risque d’être hospitalisées pour le Covid que les personnes non vaccinées et parle d’une “efficacité négative” des vaccins. Mais cette interprétation, trompeuse, est basée sur des chiffres qui n’offrent aucune indication sur l’efficacité ou non du vaccin, ont expliqué l’Institut de santé publique belge et plusieurs épidémiologistes à l’AFP.

Le 13 juillet, le réalisateur belge Bernard Crutzen a publié sur son compte Facebook un extrait de trois minutes de son film “La loi, la liberté”, publié sur Youtube le 10 juin 2022. Il s’agit du deuxième film sur la pandémie de Covid-19 du réalisateur, qui avait déjà réalisé “Ceci n’est pas un complot”, un film très critique de la politique sanitaire belge et qui contenait de nombreuses approximations.

Dans cet extrait, partagé près de 600 fois depuis le 13 juillet, le professeur en santé publique à la retraite Christophe de Brouwer étudie des graphiques de Sciensano, l’Institut de santé publique belge, et en conclut que les vaccins contre le Covid montrent “une efficacité négative”. Il affirme également que le “risque d’être hospitalisé pour le Covid lorsque vous êtes vacciné est plus important que le risque d’être hospitalisé pour le Covid si vous n’êtes pas vacciné”.

Mais cette analyse est trompeuse. Il est impossible de tirer une quelconque conclusion des graphiques et tableaux sur lesquels s’appuie l’ancien président de l’Ecole de santé publique de l’Université libre de Bruxelles (ULB), également présenté dans la vidéo comme étant “médecin, spécialiste des statistiques”, car ceux-ci ne prennent pas en compte les différences au sein de chaque groupe de personnes (vaccinées ou non vaccinées). Ils ne peuvent donc pas être interprétés comme étant la preuve d’une efficacité ou non du vaccin, ont expliqué à l’AFP Sciensano et plusieurs épidémiologistes belges.

Christophe de Brouwer est spécialisé en médecine du travail, a indiqué à l’AFP le service de communication de l’ULB, le 8 novembre 2022.

Capture d'écran de la publication Facebook trompeuse, réalisée le 21/07/2022

Interrogé au sujet de cette vidéo, le vice-président de l’Ordre des médecins belge, Christian Melot a estimé auprès de l’AFP le 20 juillet 2022 que Christophe de Brouwer “a clairement un message anti-vaccin”.

Comme le reste de l’Europe, la Belgique connaît actuellement une nouvelle vague d’infections au Covid-19, qui s’explique en grande partie par la capacité des nouveaux variants d’Omicron à échapper au système immunitaire, c’est-à-dire à résister aux protections induites par la vaccination et les précédentes infections.

Cependant, le vaccin reste efficace contre les formes graves de la maladie, affirment les autorités sanitaires et plusieurs études scientifiques. Par ailleurs, des vaccins contre les variants actuels du Covid sont en cours de développement.

Des chiffres issus des bulletins hebdomadaires de Sciensano

Depuis le début de la pandémie, l’Institut de santé publique belge Sciensano publie des bulletins quotidiens et hebdomadaires du suivi des cas de Covid en Belgique. Depuis 2021, ces bulletins épidémiologiques contiennent également des données sur la vaccination.

Les graphiques étudiés par Christophe de Brouwer dans cet extrait sont issus du bulletin épidémiologique hebdomadaire publié le 11 mars 2022.

Voici ci-dessous les deux graphiques présentés par Christophe de Brouwer dans l’extrait vidéo. Le graphique de gauche présente le nombre de cas d’infection par le Covid, en fonction du statut vaccinal, pour la période du 21 février au 6 mars 2022.

Celui de droite montre l’estimation non ajustée de la réduction du risque d’hospitalisation pour Covid entre les personnes entièrement vaccinées – c’est-à-dire ayant un schéma vaccinal complet, avec une ou deux doses en fonction des vaccins -, les personnes entièrement vaccinées et ayant reçu une dose de rappel et les personnes non vaccinées.

Capture d'écran réalisée sur un document de Sciensano le 21/07/2022
Capture d'écran réalisée sur un document de Sciensano le 21/07/2022

“Les nouveaux cas sont infiniment plus importants chez les personnes qui ont reçu le booster (dose de rappel, ndlr), que chez les personnes qui sont restées à deux doses par rapport aux personnes non vaccinées”, affirme Christophe de Brouwer à la lecture de ces graphiques, concluant que “les personnes sont hypersensibles à l’infection”.

Il pointe également la mention “non détectable”, un “mensonge” selon lui puisque le vaccin “détecte quelque chose”. Le vaccin “montre une efficacité négative”, selon Christophe de Brouwer. Quant aux hospitalisations à la suite d’une infection au Covid, le “risque d’être hospitalisé pour le Covid lorsque vous êtes vacciné est plus important que le risque d’être hospitalisé pour le Covid si vous n’êtes pas vacciné”, affirme-t-il.

Mais ces conclusions sont infondées, les chiffres observés par le scientifique à la retraite ne prenant pas en compte plusieurs facteurs essentiels pour déterminer l’efficacité d’un vaccin, comme l’ont pointé les experts interrogés par l’AFP.

Sciensano lui-même l’expliquait dans son document du 11 mars 2022: “Si elles permettent une estimation préliminaire de l’impact de la vaccination (réduction relative du risque), ces données brutes ne peuvent pas être utilisées pour estimer l’efficacité des vaccins. En effet, elles ne tiennent pas compte des biais inhérents présents, tels que les différences de risque (par ex. comorbidités), de comportement ou de test dans les populations vaccinées et non vaccinées”.

Des chiffres qui ne prennent pas en compte les différences au sein des différents groupes

Le 18 juillet 2022, le service presse de Sciensano a précisé à l’AFP que ces graphiques “sont basés sur des analyses non ajustées, comparant des groupes en fonction du statut vaccinal, sans tenir compte des différences potentielles en terme de caractéristiques et sont également basées sur une période de temps relativement courte”.

Interrogé le 20 juillet, Joris Van Loenhout, épidémiologiste à Sciensano en charge du suivi du Covid-19 en Belgique, a déclaré à l’AFP que les interprétations possibles à partir de ces deux tableaux sont “très limitées” et que ces chiffres ne “peuvent pas être utilisés pour tirer une conclusion sur l’efficacité des vaccins”.

Les groupes des personnes vaccinées et non vaccinées, présentés dans ces tableaux, sont “incomparables“, a également relevé Annie Robert, responsable du pôle de recherche en épidémiologie et biostatistique à l’Université catholique de Louvain. “Les personnes non vaccinées ont souvent une aversion pour le système de santé et ne vont donc pas se faire tester”, ce qui biaise les données d’enregistrement auprès de Sciensano: proportionnellement, les rapports contiendront donc davantage de personnes vaccinées (plus susceptibles de se faire tester) que de personnes non vaccinées, souligne-t-elle.

Par ailleurs, les personnes les plus fragiles sont également les plus vaccinées, explique l’épidémiologiste: “si vous avez une maladie cardiovasculaire vous ne chipotez pas sur la vaccination. Si vous regardez le dernier rapport de Sciensano, vous voyez que les trois quarts des personnes hospitalisées pour le Covid sont des patients qui ont des facteurs de comorbidité”.

En effet, le bulletin épidémiologique de Sciensano, publié le 15 juillet 2022, montre qu’une grande majorité des patients hospitalisés pour le Covid sont des patients avec comorbidités, plus susceptibles d’être vaccinés puisque plus fragiles.

Les interprétations de Christophe de Brouwer “sont un exemple typique de biais de confusion”, a déclaré à l’AFP Niko Speybroeck, épidémiologiste à l’Université catholique de Louvain, interrogé le 19 juillet 2022. “Il compare des groupes dont on ne connaît pas la composition exacte”.

L’épidémiologiste dresse un parallèle entre les interprétations de Christophe de Brouwer et les premières interprétations des études sur le tabac: “Les premières publications sur les effets du tabagisme montraient que le groupe qui fumait était globalement en meilleure santé. Ca donnait l’impression que le tabac était bon pour la santé, mais quand on faisait l’analyse correcte, on observait que le groupe de fumeurs était surtout composé de personnes jeunes” et donc naturellement en meilleure santé.

“Pour observer un résultat correct, il faut se baser sur des études qui prennent en compte les facteurs confondants – c’est-à-dire les variables au sein de chaque groupe – et comparent les patients au niveau individuel”, souligne Niko Speybroeck.

Comme l’explique ce document de Sciensano, destiné à aider à l’interprétation des bulletins épidémiologiques, il existe des différences de comportement entre les personnes vaccinées et non vaccinées, pouvant expliquer que les personnes vaccinées semblent attraper davantage le Covid: “les personnes non vaccinées subissent en moyenne moins de tests que celles qui sont vaccinés ou qui ont reçu une dose de booster, ce qui pourrait avoir un impact sur la probabilité de détection des cas”.

Deuxièmement, les épidémiologistes de Sciensano soulignent qu’une infection récente au Covid, qui protège contre une nouvelle infection pendant un certain temps, peut provoquer “une diminution de la volonté des personnes non vaccinées et précédemment infectées de se faire vacciner”.

Le bureau national des statistiques britannique avait déjà expliqué cela dans un précédent article de vérification de l’AFP.

Un soignant assiste un patient infecté par le Covid-19 au service de soins intensifs (ICU) du Centre hospitalier régional de la Citadelle à Liège, le 21 décembre 2021 ( AFP / JOHN THYS)

Enfin, il faut également prendre en compte le fait que la population générale compte beaucoup plus de personnes vaccinées que non vaccinées. Ainsi, en Belgique, 79,4% de la population est entièrement vaccinée, selon les chiffres disponibles au 22 juillet 2022.

Admettons qu’une population compte 100 personnes vaccinées et 30 non vaccinées. Si 25 personnes vaccinées et 10 personnes non vaccinées attrapent le Covid et sont hospitalisées, il y aura donc davantage de personnes vaccinées à l’hôpital que de personnes non vaccinées. Cependant, cela signifiera que 25% de toutes les personnes vaccinées seront hospitalisées pour Covid, contre 33% (donc une plus grosse proportion) des personnes non vaccinées.

La mention “non détectable” ne signifie pas que le vaccin a une “efficacité négative”

Dans ses bulletins épidémiologiques, Sciensano calcule le “RRR”, le “relative risk reduction” – en français la “réduction relative du risque” d’être infecté ou hospitalisé. Ce chiffre est calculé en divisant l’incidence des cas de Covid-19 chez les personnes avec au moins une dose de vaccin par l’incidence des cas de Covid chez les personnes non vaccinées.

Les pourcentages indiqués dans les tableaux présentés par Christophe de Brouwer sont les résultats de ces calculs de RRR.

“Jusqu’au début de l’année 2022, les RRR ont clairement montré une protection contre l’infection à la fois pour ceux qui ont reçu au moins une dose de vaccin et ceux qui ont reçu le vaccin de rappel, par rapport aux personnes non vaccinées. Cependant, depuis la mi-janvier, l’incidence à 14 jours pour la plupart des groupes d’âge est la plus faible parmi la population non vaccinée, ce qui se traduit par des RRR négatifs, ce qui donne l’impression que pendant cette période de 14 jours, le fait d’être non vacciné protège mieux contre l’infection que le fait d’être vacciné”, écrit Sciensano dans le document cité plus haut.

Christophe de Brouwer pointe dans la vidéo la mention “non détectable” qui serait, selon lui, la preuve d’une “efficacité négative” du vaccin.

La mention “non détectable”, qui apparaît dans les tableaux de Sciensano, peut en fait avoir deux significations différentes, a expliqué à l’AFP Joris van Loenhout: “la première, c’est si on a décidé de ne pas calculer la réduction (d’infection ou d’hospitalisation) liée au vaccin, parce qu’on considère que ce n’est pas pertinent. Par exemple, le vaccin n’est pas recommandé aux moins de 5-11 ans et le booster n’est pas recommandé pour les 12-17 ans. On n’évalue donc pas la réduction du risque pour ces tranches d’âge”. La mention “non détectable” est également indiquée “si on ne voit pas de réduction du risque basée sur le calcul de la RRR”.

Cependant, a souligné Joris van Loenhout, “la RRR n’est pas une estimation de l’efficacité du vaccin”.

“La mention non détectable signifie simplement que le groupe de personnes est trop petit”, a ajouté Annie Robert. “Par exemple, parmi les 18-64 ans, très peu vont encore à l’hôpital ou meurent du Covid . Quand les incidences sont extrêmement basses, il ne faut pas faire de calcul”.

Les vaccins actuels offrent encore une bonne protection contre les hospitalisations

“Il faut savoir que le vaccin a été développé pour des variants qu’on ne voit plus maintenant. On est en train d’adapter le vaccin, mais on est toujours un petit peu en retard. Heureusement, ce qu’on voit pour l’instant, c’est que les vaccins fonctionnent encore assez bien “, a déclaré Niko Speybroeck.  Si on prend les chiffres des hospitalisations en prenant en compte les facteurs confondants, on observe encore une bonne protection des vaccins, surtout si on a reçu une dose de booster”.

Les autorités sanitaires américaines ont insisté mardi 12 juillet 2022, sur l’importance des vaccins contre les formes graves du Covid. Le 17 juin, l’OMS a rappelé que, dans l’état actuel des connaissances scientifiques, les vaccins actuels, “basés sur la souche ancestrale du SARS-CoV-2, continuent de démontrer une forte protection contre les formes graves et les décès pour tous les variants du virus observés à ce jour”.

Une étude de cohorte, réalisée entre le 15 septembre 2021 et le 31 janvier 2022 sur 37 millions de personnes vaccinées et publiée le 7 juillet 2022, a conclu que “la dose de rappel (par vaccin à ARN messager) était associée à une protection accrue contre les hospitalisations pour Covid-19 parmi les sujets préalablement vaccinés par deux doses d’un vaccin anti-Covid-19 et ce en période Delta et Omicron”.

Les auteurs rappellent cependant que “l’évaluation de cette efficacité en fonction du temps écoulé depuis la première dose de rappel suggère cependant que cette protection est susceptible de diminuer au cours du temps”.

Face à la capacité d’échappement immunitaire des nouveaux variants d’Omicron, plusieurs laboratoires préparent de nouveaux vaccins, adaptés aux souches qui circulent actuellement.

8 novembre 2022 Précise le profil de Christophe de Brouwer, ancien président de l’Ecole de santé publique de l’ULB qualifié dans la vidéo de “médecin, spécialiste des statistiques”.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.32F39AA.