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Les glaciers alpins, témoins et victimes avérés du réchauffement climatique

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Author(s): Romane Bonnemé

Les causes de la fonte record des glaciers alpins sont bien plus profondes qu’une vague de chaleur ponctuelle, comme le suggèrent certains internautes. La canicule de 2022 ne vient que s’ajouter au réchauffement climatique à l’œuvre depuis plusieurs décennies.

L’effondrement du glacier était parfaitement prévisible en pleine vague de chaleur estivale“. Au lendemain de la rupture du glacier de la Marmolada dans les Dolomites italiennes le 3 juillet dernier, les réactions d’internautes remettant en cause le réchauffement climatique comme cause de cette catastrophe qui a fait au moins 11 morts, ont fleuri sur les réseaux sociaux, à l’image de la citation de ce Twitto.

Selon eux, cet évènement est, sinon une “non-information”, du moins rien que la conséquence logique des fortes températures d’un début d’été. “Un glacier ça bouge et ça se rompt : rien d’exceptionnel” avance un second internaute sur la messagerie Telegram.

Captures d’écran Télégram et Twitter

Si un glacier peut effectivement évoluer en alternant entre des périodes de dégel et d’extension sur des milliers d’années, la fonte actuelle des glaciers alpins est en tout point exceptionnelle tant par sa rapidité que son caractère quasi irréversible.

C’est ce qu’a révélé le 26 juillet dernier le média Reuters, qui a eu accès à des données exclusives de GLAMOS et de l’Université libre de Bruxelles (ULB) : “les glaciers des Alpes sont en passe de subir leur plus forte perte de masse depuis les 60 dernières années“.

2022 : année exceptionnelle

En temps normal, le comportement d’un glacier dépend de deux facteurs : l’accumulation de neige en hiver, et la fonte de la masse de neige en été. “C’est cet équilibre qui permet aux glaciologues de connaître la perte ou le gain de masse de chaque glacier” explique Jean-Louis Tison, glaciologue et professeur à l’ULB. “Sauf qu’en 2022, ajoute-t-il, il y a eu de très faibles précipitations en hiver, donc peu d’apports de neige, et de fortes pertes en été, d’où les fontes records“. Le bilan de masse, c’est-à-dire le ratio entre les quantités de précipitations en hiver et leur fonte en été, est donc cette année largement déficitaire.

La neige qui, normalement agît comme une couverture de protection pour l’été, n’a donc pas pu assurer sa fonction lorsque les températures du printemps, et surtout de l’été 2022 sont arrivées. Des températures qui ont fait exploser les thermomètres : le 25 juillet, l’Office fédéral de météorologie et de climatologie (Suisse) a annoncé que l’isotherme du 0 °C a battu le record absolu d’altitude. Il fallait désormais que cet isotherme, c’est-à-dire un ballon-sonde météorologique, s’élève à 5184 mètres pour atteindre cette température, une première depuis le 20 juillet 1995.

Les faibles précipitations de neige couplées avec les fortes températures estivales en 2022 ont donc créé une année “hors normes” selon les termes de Harry Zekollari, glaciologue Belge à l’École polytechnique fédérale de Zürich (ETH). Ce dernier estime que “les fontes des glaciers alpins que l’on a observés jusqu’à présent sont normalement celles qui se produisent au cours d’un été entier“.

Le réchauffement climatique en toile de fond

Le bilan de masse déficitaire cette année est loin d’être un cas à part. “Sur les 40 dernières années, et encore plus depuis 15 ans, la fonte a énormément augmenté par rapport aux précipitations qui sont, elles, restées constantes” indique Christian Vincent, glaciologue et ingénieur de recherche au CNRS, Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement de Grenoble. Il faut désormais remonter à 2001 pour retrouver une année d’équilibre entre les précipitations hivernales et la fonte estivale dans les Alpes.

Tandis que la fonte est particulièrement marquée durant les épisodes caniculaires, celle-ci est surtout dépendante des flux d’énergie moyens, autrement dit la température moyenne annuelle” ajoute-t-il.

Des températures moyennes qui ne cessent d’augmenter sur l’ensemble de la Terre, et plus sérieusement dans les zones de montagnes et polaires, plus sensibles aux variations du climat. Depuis la période préindustrielle (1850-1900), les températures moyennes à la surface du globe ont augmenté d’environ 1.1 °C, quant celles des Alpes ont augmenté d’environ 2 °C.

Cette flambée des températures dans les Alpes ne cesse de s’accélérer : ces quarante dernières années, cette hausse a atteint 0.5 °C par décennie en été dans la région.

(Ci-dessous : Bilan de masse net spécifique cumulé de cinq glaciers alpins étudiés par le CNRS)

Un Mont-Blanc moins blanc

Outre la hausse du taux de fonte, les températures élevées diminuent aussi le taux d’enneigement. Christian Vincent explique ainsi que “la limite pluie/neige augmente, c’est-à-dire que la neige – si ce n’est de la pluie – tombe désormais a une altitude de plus en plus élevée“.

Un autre impact de ce réchauffement porte sur le phénomène de l’albédo, c’est-à-dire du pouvoir réfléchissant de la neige ou de la glace. “Avec des températures élevées, le manteau neigeux hivernal disparaît plus rapidement ce qui laisse apparaître la glace sous-jacente. Elle est plus sombre et absorbe donc plus l’énergie du Soleil ce qui a un effet amplificateur très important“. Un véritable cercle vicieux qui accélère fortement la fonte des glaciers.

Un phénomène qui s’est d’ailleurs accentué cette année avec les nuages de sable du Sahara qui ont traversé l’Europe en mars dernier. “Suite à leur passage, nous avons pu observer des glaciers de couleurs rouge brun, ce qui a accentué l’absorption de l’énergie solaire au sol” souligne Harry Zekollari.

Des glaciers globalement en moins bonne santé

Tandis que certains internautes climatosceptiques insistent sur le fait que certains glaciers ne fondent pas, mais au contraire augmentent, pour remettre en question le réchauffement climatique, le professeur Jean-Louis Tison, tient à préciser que “ce réchauffement doit être compris sur un grand nombre d’années et sur un grand nombre de glaciers. Sur tous les glaciers d’une région, environ 98% d’entre eux perdent de la masse. Certes, 2% d’entre eux vont encore en gagner, soit parce qu’ils sont bien orientés au nord ou qu’ils sont sur la trajectoire de masses d’air riches en pluviosité, mais cela ne remet pas en cause le fait que, statistiquement, la masse de ces glaciers diminue plus qu’elle n’augmente“.

Ces phénomènes isolés ne donc sont que la partie congrue d’un phénomène global : celui de la fonte inéluctable des glaciers dans le monde et particulièrement dans les Alpes.

Les petits glaciers en première ligne

Conséquence de la hausse des températures : les glaciers perdent de la masse depuis le début du XXe siècle (à l’exception d’une période de progression durant la seconde partie du siècle précédent), avec une accélération de la perte de masse au cours des dernières décennies.

Toutefois, tous les glaciers ne sont égaux face au réchauffement climatique comme l’explique Harry Zekollari : “les gros glaciers réagissent de façon plus lente à la hausse des températures que les plus petits qui résistent moins et fondent plus vite”.

Une fonte accélérée qui peut même entraîner leur perte comme c’est le cas pour l’ancien glacier du Pizol en Suisse situé aux alentours de 2700 mètres d’altitude qui a complètement disparu en 2019, après avoir perdu environ 80 à 90% de son volume en une quinzaine d’années.

(Dans l’image ci-dessous, faites glisser le filtre central pour faire apparaître l’évolution entre les deux vues satellite du glacier).

Selon une étude publiée dans Nature Communicationsle recul le plus important est d’ailleurs observé dans les Alpes suisses dans la zone du Glaris et du massif des lépontines, qui comptent respectivement le glacier de Glärnisch et ceux de Gries, du Paradis et de Basòdino.

Depuis 1850, on estime qu’il y a plus que 500 glaciers suisses qui ont complètement disparu” estime Matthias Huss.

De l’autre côté des Alpes en France, l’état des glaciers n’est guère plus reluisant. À titre d’exemple et selon les données de météo France, entre les périodes 1960/1961-1989/1990 et 1990/1991-2019/2020, le manteau neigeux au Col de Porte, dans le massif de la Chartreuse a diminué en moyenne de 38 cm.

Plus globalement, le bilan moyen d’une sélection de glaciers français montre un retrait de 18,8 mètres équivalent eau (unité de mesure utilisée pour désigner le bilan de masse d’un glacier) en 2013 par rapport à 2001, selon les chiffres de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (France).

Toutefois, même si les grands glaciers, notamment en France, tels que celui de la mer de Glace ou de l’Argentière, résistent mieux à ces conditions climatiques, “ils devraient quand même perdre 80% de leur surface d’ici 2100” envisage Christian Vincent.

C’est également vrai hors des Alpes – que ce soit dans l’Himalaya ou dans les pôles – pour les glaciers démesurément plus grands, qui connaissent également une fonte plus lente.

Une perte de la moitié du volume des glaciers alpins dans 30 ans

Dans les années et dans les décennies à venir, le recul des glaciers alpins sera, en effet, extrêmement important. “Selon nos projections, les glaciers alpins perdront environ 50% de leur volume dans les trente prochaines années” estime Harry Zekollari.

Pour le glaciologue à l’École polytechnique fédérale de Zürich, quels que soient les scénarios considérés, l’avenir des glaciers alpins est “dramatique“. Selon lui, “si l’on prend un scenario optimiste dans lequel les conditions de l’Accord de Paris sont respectées et que les températures globales n’augmentent pas au-delà de 1,5 ou 2 degrés par rapport à l’ère préindustrielle, alors “seuls” deux tiers des glaciers alpins auront disparu d’ici la fin du siècle. En revanche, si l’on prend un scénario pessimiste dans lequel la transition énergétique est insuffisante et que les températures globales augmentent de 3 à 4 degrés, alors plus de 90% des glaciers Alpins auront disparu en 2100″.

Suivant le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), les activités humaines et les émissions de gaz à effet de serre devraient faire passer la température globale au-delà du seuil de 1,5 °C depuis l’ère préindustrielle entre 2021 et 2040.

Fragilité des glaciers et vallées en danger

Autre conséquence probable de la hausse des températures : la fragilisation progressive des glaciers, pouvant provoquer des ruptures dramatiques.

Avec la fonte des glaciers ou du pergélisol (ndlr : aussi appelé permafrost, c’est-à-dire le sol gelé depuis des décennies), une partie de l’eau va éventuellement pénétrer dans les crevasses du glacier, et s’insérer entre la glace et la roche. Cela va créer un effet de type “peau de banane”, c’est-à-dire que le glacier va éventuellement se déstabiliser et une partie de sa masse peut glisser vers le bas de la vallée, avec des éboulements de glace qui sont dommageables pour les villageois ou les randonneurs à proximité” explique Jean-Louis Tison de l’ULB.

Si ce phénomène est l’une des hypothèses retenues (sans être confirmée à l’heure où nous écrivons ces lignes) pour expliquer l’effondrement du glacier de la Marmolada en Italie, il ne s’agit pas d’un cas unique. En 1892, le glacier de la Tête-Rousse dans le massif du Mont-Blanc avait connu un épisode similaire. En étudiant cet évènement, l’équipe de Christian Vincent avait notamment démontré que de telles poches d’eau souterraines “ne se forment pas en une saison, mais sur plusieurs décennies“. Selon lui, le drame de la Marmolada “pourrait être indirectement causé par le réchauffement du climat : c’est un phénomène de long terme“.

Ces catastrophes sont-elles prévisibles ? “Vous pouvez surveiller comment la perte de glace se déplace et si vous voyez une certaine accélération de la masse de glace, alors il est possible de prédire quand elle va s’effondrer. Mais pour faire cela, vous devez savoir où regarder. Et c’est le défi” répond Matthias Huss. “En Italie, ajoute le glaciologue, il n’y avait pas de surveillance en place à ce moment-là. Mais en Suisse ou dans d’autres pays d’Europe, plusieurs glaciers sont surveillés depuis longtemps car on sait qu’ils sont dangereux”.

Une montée des eaux inévitable

Avec la fonte des glaciers, le niveau des eaux devrait inéluctablement monter, non seulement celui des lacs et rivières de montagnes, mais aussi des mers et océans. Selon Harry Zekollar, “si les 200.000 glaciers de la Terre fondaient, le niveau marin augmenterait d’environ 30 à 40 centimètres“. Pire encore, cette hausse atteindre 7 mètres si le Groenland fondait et 50 mètres si l’Antarctique disparaissait.

De 1901 à 2015, les glaciers manquants et disparus auraient produit une élévation du niveau de la mer d’environ 16,7 à 48,0 millimètres, selon une autre étude publiée dans Nature.

Une élévation non sans conséquence pour la faune et la flore marines, mais aussi sur l’activité humaine sur les côtes, notamment européennes. “Le port d’Anvers serait ainsi directement impacté” estime Harry Zekollari.

In fine, la canicule de 2022 n’est qu’un coup d’accélérateur de la fonte continue des glaciers alpins depuis des décennies.

Tandis que le déséquilibre entre les précipitations de neige et leur dégel pendant l’été s’accentue, le moindre enneigement couplé avec le phénomène de l’albédo aggrave la disparition progressive des glaciers. Les plus petits étant les premières victimes, c’est bientôt la grande majorité des glaciers du massif des Alpes qui pourrait disparaître si la hausse des températures n’est pas limitée dans les prochaines années.