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Non, l’OMS n’a pas imposé un programme d’éducation à la sexualité prônant la “pédophilie”

Non, l'OMS n'a pas imposé un programme d'éducation à la sexualité prônant la "pédophilie" - Featured image

Author(s): Claire-Line NASS / AFP France

Dans une vidéo diffusée en 2017 et de nouveau relayée de façon virale sur les réseaux sociaux en 2023, un homme présenté comme un pédopsychiatre assure qu’un programme d’éducation à la sexualité imposé dans les écoles françaises par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) prône la masturbation infantile et ouvre la voie à la “légalisation de la pédophilie”. C’est faux : il s’agit d’une mauvaise interprétation d’un guide proposant des pistes pour parler d’éducation à la sexualité. En France, bien que cette dernière soit obligatoire dans les milieux scolaires, des associations déplorent que la loi soit inégalement appliquée.

Un programme d’éducation à la sexualité, qui proposerait de “commencer entre 0 et 4 ans” et qu’il faudrait “expliquer aux enfants de cet âge ce qu’est la masturbation infantile précoce et leur proposer de jouer au docteur“, aurait été “imposé” par l’OMS dans les écoles françaises, prétend un homme présenté comme un pédopsychiatre, dans une vidéo publiée en 2017.

Il ajoute qu’il s’agit de la “porte ouverte à la pédophilie“, et qu’il n’est “jamais indiqué” dans les “textes internationaux” de l’OMS “l’âge au-dessous duquel il serait interdit d’avoir des relations sexuelles avec un mineur“, sous-entendant à tort que les relations sexuelles entre enfants et adultes seraient encouragées par l’instance internationale.

Cette intervention, virale en 2017 sur YouTube, a été repartagée en mars 2023, et nous a été transmise par un internaute sur WhatsApp.

Les propos qui y sont avancés sont largement trompeurs : le document comporte uniquement des recommandations, qui n’ont rien d’obligatoire pour les Etats, et surtout, il n’encourage en rien les relations sexuelles entre adultes et mineurs mais veut plutôt proposer d’ouvrir des discussions et de répondre aux interrogations que peuvent avoir les enfants, comme l’a expliqué l’OMS à l’AFP.

Capture d’écran de Facebook prise le 25 avril 2023

Des recommandations de 2010

Le document auquel il est fait référence dans la vidéo a été publié en 2010, et voulait proposer des “standards” ou “lignes directrices” pour parler d’éducation sexuelle, afin “d’améliorer le niveau global en matière de santé sexuelle” à l’échelle mondiale, à destination des “décideurs politiques“, des “autorités compétentes en matière d’éducation et de santé” et des “spécialistes“.

S’il n’existe plus en 2023 sur le site de l’OMS, il est possible d’en consulter des versions archivées sur internet, présentes depuis 2014. Il y est mentionné que le document a été produit pour le bureau régional européen de l’OMS, par le centre fédéral allemand pour l’éducation à la santé BZgA (version archivée) en 2010.

Une traduction française du document a été réalisée par l’organisation Santé Sexuelle Suisse (version archivée), équivalent helvétique du Planning familial, en 2013.

On retrouve par ailleurs le document (version archivée), traduit en de nombreuses langues européennes, sur le site du BZgA.

Capture d’écran du site du BZgA, prise le 25/04/2023

Il indique vouloir proposer “une approche holistique de l’éducation sexuelle, qui commence à la naissance“, car “l’enfant est un être sexué dès sa naissance, même si sa sexualité est différente de celle des adultes à de nombreux égards“.

Le document propose des recommandations pour aborder des sujets, selon les demandes des enfants, en fonction des âges et de différents thèmes, dont la sexualité.

Pour les enfants de 0 à 4 ans, dans la catégorie “informations“, il est indiqué qu’il est possible de mentionner avec des enfants “le plaisir et le satisfaction liés au toucher de son propre corps, la masturbation infantile précoce“.

Cela ne signifie pas que la masturbation serait “prônée” comme l’avancent des publications sur les réseaux sociaux, mais plutôt que, suivant les questions des enfants, qui peuvent avoir un niveau de “développement sexuel” différent, il est possible pour des adultes d’être amenés à leur parler de sujets comme la masturbation, détaille une “FAQ” (version archivée) réalisée après publication du rapport, notamment en réaction à des interprétations trompeuses ayant circulé sur les réseaux sociaux à propos de ce dernier.

Le document “préconise d’informer les enfants de 0 à 4 ans (page 38) qu’il est possible d’éprouver du plaisir en se touchant soi-même. Il propose aussi de fournir des informations sur l’éjaculation aux enfants âgés de 6 à 9 ans (page 42). Ce guide a été élaboré par des instances de pays européens avec des institutions européennes, dans un contexte social et culturel vu comme plus libéral que dans d’autres parties du monde et il demande que l’éducation et les informations sur la sexualité commencent tôt dans la vie, et que l’on parle de la sexualité comme d’une chose normale et non comme d’une chose diabolisée“, détaille l’institution auprès de l’AFP le 21 avril 2023.

Le document indique par ailleurs bien que lorsque les enfants “commencent à découvrir le monde qui les entourent“, ils commencent également “à découvrir leurs propres corps (masturbation précoce, autostimulation) et ils essaient également d’examiner le corps de leurs amis (en jouant au docteur)“, mais “il s’agit là d’une observation et non d’une recommandation“, précise l’OMS.

Pas de remise en cause de l’âge du consentement

Le document ne remet par ailleurs pas en cause l’âge du consentement établi par les pays. Il précise simplement que les informations et façons de parler de sexualité doivent être adaptées à l’âge des enfants et à leur “développement sexuel“.

L’OMS ne recommande pas d’avoir une activité sexuelle en dessous de l’âge de consentement à l’activité sexuelle fixé au niveau national. Sur ce point comme sur d’autres, l’OMS n’appelle pas à enfreindre les lois nationales“, clarifie l’institution auprès de l’AFP.

La législation en la matière varie suivant les pays du monde, comme indiqué sur ce site qui recense l’âge de consentement autour du globe.

En France par exemple, l’âge légal du consentement sexuel est établi à 15 ans, et 18 ans en cas d’inceste. Toutefois, à partir de 13 ans, les mineurs peuvent consentir si l’écart d’âge avec leur partenaire est inférieur à 5 ans, comme le rappelle ce site officiel consacré à la prévention en santé à destination des jeunes (version archivée).

En résumé, la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux propose une “présentation erronée” du contenu du document, qui “ne recommande pas la masturbation, ni ne demande aux enfants de jouer au docteur“, martèle l’OMS auprès de l’AFP.

Pas “imposé” aux Etats

Par ailleurs, ces recommandations n’ont pas valeur d’obligation auprès des Etats, qui peuvent ou non choisir de les prendre en compte.

En ce qui concerne l’éducation sexuelle et toutes les autres questions, l’OMS ne donne pas d’instructions ou d’ordres aux pays sur ce qu’ils doivent faire. L’OMS fournit des guides pour les politiques et les programmes sur la base des résultats de la recherche et de l’expérience des programmes“, détaille l’institution auprès de l’AFP.

Les pays peuvent ensuite choisir, ou non, de suivre ces recommandations pour les inclure dans des politiques ou la législation nationale, comme détaillé dans ce précédent article de vérification de l’AFP sur des publications trompeuses prétendant que l’OMS voudrait forcer des pays à imposer la vaccination obligatoire à travers un traité.

Le droit pénal s’inscrit dans un cadre régalien, c’est-à-dire qu’il faut passer par le parlement français pour modifier la loi, et celui-ci est tenu par de nombreuses conventions internationales établissant qu’il faut protéger les enfants“, expliquait en janvier la magistrate Magali Lafourcade, dans un précédent article de vérification de l’AFP.

En France, d’après le code de l’Éducation, les élèves des écoles, collèges et lycées doivent bénéficier d’au moins trois séances annuelles d’éducation à la sexualité, y compris une sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles.

Dans la pratique, ces séances sont toutefois pas toujours proposées aux élèves, déplorent des associations, pour qui ces thématiques “restent délaissées par les autorités publiques“.

En mars 2023, les associations SOS Homophobie, Sidaction et le Planning familial ont ainsi annoncé attaquer l’État (version archivée) devant la justice administrative pour le contraindre à organiser chaque année au moins ces trois séances d’éducation à la sexualité à l’école, comme prévu dans la loi.

La pédocriminalité instrumentalisée par les complotistes

Ces allégations sur la prétendue “légalisation de la pédophilie” sont récurrentes et se déclinent sous de nombreuses formes. L’AFP a récemment vérifié des affirmations très virales dans plusieurs pays prétendant à tort que l’ONU recommandait dans un document publié en mars 2023 la dépénalisation des relations sexuelles avec les mineurs.

Il s’agit d’une mauvaise interprétation et d’une confusion : le document aborde les relations sexuelles consenties entre adolescents du même âge, et indique que “les droits et la capacité” de ces mineurs à décider d’avoir des relations sexuelles consenties doit être pris en compte, mais cela ne concerne pas les relations entre adultes et enfants, dont la criminalité n’est pas remise en cause.

Le document visait plutôt à éviter de criminaliser des relations entre personnes du même sexe, comme l’ont expliqué l’ONUSIDA, une de ses agences de l’ONU qui a participé à la mis en ligne du rapport ainsi qu’une professeure de droit à l’AFP.

La pédocriminalité est régulièrement instrumentalisée par les adeptes de théories du complot, qui prétendent que des “élites” entretiennent et protègent de vastes réseaux pédocriminels. Cette tendance alarme les associations de protection de l’enfance, comme l’explique ce récent article de l’AFP (lien archivé ici).

En janvier, des fausses affirmations selon lesquelles le Forum de Davos appelait à “légaliser la pédophilie” avaient circulé. Plusieurs experts interrogés alors par l’AFP avaient expliqué que le droit français allait vers une plus grande répression de la pédocriminalité.

“Depuis la loi du 21 avril 2021 [lien archivé ici], qui a dit que dans les cas de viol sur des victimes de moins de 15 ans, les magistrats n’ont par exemple plus besoin d’établir l’existence de violence, d’une contrainte, d’une menace ou d’une surprise pour caractériser le viol,  il suffit de prouver l’existence d’une relation sexuelle pour qualifier un viol lorsqu’il existe une différence d’au moins cinq ans  entre le majeur et le mineur. Cela ne va pas dans le sens d’une décriminalisation des violences sur les mineurs”, avait ainsi exposé le 10 janvier Océane Perona, maîtresse de conférences en sociologie à l’université d’Aix-Marseille et auteure d’une thèse sur “Le consentement sexuel saisi par les institutions pénales” (lien archivé ici).

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.33DR987.