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Ce livre pour enfants n’est pas un manuel scolaire allemand promouvant la “fluidité des genres”

Ce livre pour enfants n'est pas un manuel scolaire allemand promouvant la "fluidité des genres" - Featured image

Author(s): Eva WACKENREUTHER / Marin LEFEVRE / AFP Autriche

Une photo montrant une double page d’un livre pour enfants a largement circulé sur les réseaux sociaux en Afrique subsaharienne. Les internautes affirment qu’il s’agit d’un extrait d’un “manuel scolaire destiné aux enfants allemands” affirmant qu’il est possible de “pratiquer la fluidité des genres entre les sexes [pour] explorer le genre avant de trouver une expression ou une identité de genre plus stable”. C’est faux : si ce livre existe bien, les autorités éducatives des Länder contactées par l’AFP ont déclaré que l’ouvrage ne faisait partie d’aucune liste de manuels obligatoires ou recommandés en milieu scolaire. Tout en rappelant que dans de nombreux Etats du pays, les enseignants sont libres de choisir leurs supports pédagogiques tant qu’ils respectent les préconisations fédérales et les lois allemandes.

Une double page d’un livre pour enfants en allemand montrant plusieurs couples ayant des relations intimes circule sur les réseaux sociaux. “Il s’agit d’un manuel scolaire destiné aux enfants allemands“, accusent les internautes qui partagent cette image. Selon eux, cet ouvrage expliquerait aux élèves allemands “que pratiquer la fluidité des genres entre les sexes peut être un moyen d’explorer le genre avant de trouver une expression ou une identité de genre plus stable“.

Capture d’écran d’une publication Facebook, réalisée le 19 juin 2023

Attention : si ce livre pour enfants existe bien et est édité par une maison d’édition allemande, il ne s’agit en aucun cas d’un manuel scolaire, comme l’ont déclaré cette entreprise ainsi que les autorités éducatives de 15 Länder (Etats fédérés) allemands sollicitées par l’AFP. L’Etat de Hambourg n’a pas répondu aux questions de l’AFP, mais le livre n’est pas mentionné dans ses directives concernant l’éducation sexuelle.

Un livre d’images sur la “diversité”

Intitulé “Tant pis pour les choses de la vie !“, cet ouvrage est “un livre d’images de non-fiction recommandé pour les enfants à partir de 5 ans, qui contient non seulement des textes adaptés aux enfants, mais aussi des conseils pour les parents et les professionnels“, a détaillé à l’AFP le 2 juin Mareike Kreß, directrice de publications des éditions Michael Fischer, la maison d’édition qui le publie. Paru fin mars 2021, le livre est signé par le sexothérapeute Carsten Müller (archive) et illustré par l’artiste Emily Claire Völker.

Il a pour but de “montrer la diversité de notre société et [de] sensibiliser au fait de traiter tout le monde avec ouverture, tolérance et respect – indépendamment du sexe, de la couleur de la peau ou des modèles classiques. Il vise à donner aux enfants la confiance en soi, la connaissance du corps et une image de soi positive et à les encourager à décider par eux-mêmes comment ils aiment s’habiller, par exemple, ou si et avec qui ils veulent de la distance ou de l’intimité“, a-t-elle poursuivi. Si l’ouvrage évoque la fluidité de genre, il ne donne d’ailleurs “aucune instruction claire” aux enfants à ce sujet.

Bien que l’ouvrage soit destiné aux parents et aux tuteurs qui souhaitent aborder le thème de l’éducation sexuelle avec des enfants, il n’est pas utilisé comme manuel scolaire par les Länder allemands, comme l’ont confirmé les autorités éducatives des Etats fédérés du pays contactées par l’AFP.

En Allemagne, c’est le Centre fédéral d’éducation sanitaire (BZgA) qui a été mandaté par l’Etat pour développer et diffuser des mesures nationales pour l’éducation sexuelle et la planification familiale (archive). Des programmes-cadres, lois et directives existent au niveau fédéral, répertoriés notamment par le site (archive) de l’Association allemande des gays et des lesbiennes (LSVD). Certains Länder sont également dotés de lois scolaires posant un cadre juridique à ces enseignements.

La responsabilité de l’éducation sexuelle échoit aux ministères de l’Education de chaque Etat fédéré, dont certains ont dressé des listes de manuels recommandés ou approuvés par leurs services tandis que d’autres laissent la liberté de ce choix aux enseignants.

Contactés par l’AFP,  quinze Länder allemands (Bavière, Berlin, Brandenbourg, Brême, Hesse, Mecklenbourg-Poméranie-Occidentale, Niedesachsen, Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Rhénanie-Palatinat, Sarre, Saxe, Saxe-Anhalt, Schleswig-Holstein et Thuringe) ont déclaré que ce livre ne figurait dans aucune liste de matériels obligatoires ou approuvés dans le cadre de l’éducation sexuelle et familiale, lorsque les Etats en étaient dotés. Le livre ne figure pas non plus dans les directives édictées par l’Etat de Hambourg, qui laisse le choix aux enseignants quant aux supports pédagogiques utilisés.

Règles propres à chaque Land

Les Etats de Bade-Wurtemberg, Bavière, Brandenbourg, Brême, Niedesachsen, Rhénanie-du-Nord-Westphatlie, Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe ont une forme de processus d’approbation ou de validation des manuels utilisés à l’école, comme le précise cette liste (archive) actualisée en janvier 2023 publiée par la Conférence des ministres de l’Education des Länder (KMK), que ce soit pour l’éducation sexuelle ou pour d’autres manières. Tous ont confirmé à l’AFP que le livre de Carsten Müller ne figurait pas parmi ces ouvrages. 

Dans les Länder de Berlin, Brême, Hambourg, Mecklenbourg-Poméranie-Occidentale, Rhénanie-Palatinat, Sarre et Schleswig-Holstein, les enseignants étaient libres de choisir les manuels qu’ils utilisaient comme supports éducatifs, ce qui figure également dans la liste publié par la KMK (archive). Contactés, toutes les autorités éducatives à l’exception de celles de Hambourg ont expliqué que le livre “Tant pis pour les choses de la vie !” n’était pas enseigné de manière obligatoire.

Elles ont également rappelé que les outils librement choisis par les établissements devaient correspondre aux exigences légales ainsi qu’aux principes éducatifs et constitutionnels en vigueur en Allemagne.

Les supports d’apprentissage doivent respecter le droit constitutionnel et d’autres dispositions légales, en particulier les principes de l’État de droit démocratique libre, la compréhension plurielle de notre société et l’accomplissement du mandat éducatif de l’école“, a par exemple précisé à l’AFP le 26 mai Ulrich Gerecke, porte-parole du ministère de l’Education de Rhénanie-Palatinat.

Ces supports “doivent éviter les engagements idéologiques à sens unique, maintenir des perspectives multiples, viser un mode de vie égalitaire et partenarial des sexes, en tenant compte de la diversité des identités de genre et de sexe, ne doivent contenir aucun élément caché ou la publicité pour les entreprises, doivent éviter l’influence et la manipulation par les entreprises et les groupes d’intérêt, ainsi que se conformer aux normes et spécifications pédagogiques spécifiques au type d’école et au niveau scolaire.

Dans certains Länder comme celui de Hesse, les enseignants peuvent utiliser “d’autres manuels scolaires” que ceux inscrits sur la liste des livres obligatoires, en complément ou supplément. “Tant pis pour les choses de la vie !” ne figure pas parmi les manuels obligatoires dans ce Land, mais “il ne peut être exclu que le livre susmentionné soit utilisé de cette manière“, a déclaré à l’AFP le 25 mai Philipp Bender, porte-parole du ministère de l’Education de Hesse, précisant néanmoins que son cabinet “n’a reçu aucun commentaire ou plainte à ce sujet pour le moment“.

Quant à la nature de l’éducation sexuelle et familiale dispensée aux élèves allemands, tous les Etats fédérés contactés par l’AFP ont expliqué que la diversité des orientations sexuelles et des genres faisait partie intégrante des enseignements. “En classe, la discussion sur son propre genre, les rencontres avec l’autre et son propre genre, ainsi que la relation entre les genres entre eux doit être abordée“, a par exemple expliqué à l’AFP le 25 mai Andreas Tabbert, porte-parole du ministère de l’Education et de la Culture. “Enfin et surtout, dans le contexte du sens constitutionnel du mariage et de la famille, les différents modes de vie et orientations sexuelles (hétéro-, homo-, bisexualité) doivent être abordés par l’enseignant sans préjugés“, a-t-il ajouté.

L’éducation sexuelle à l’école soutient le développement de sa propre identité sexuelle et de genre, permet une gestion sûre et prudente de sa propre sexualité et promeut une convivialité respectueuse, non-discriminatoire, critique et non-violente“, abonde le site du Land de Berlin (archive).

Plusieurs responsables ont également insisté sur le fait que cette éducation était dispensée de manière adaptée à l’âge des élèves : “Le but de l’éducation sexuelle est de familiariser les élèves avec les faits et les rapports biologiques, éthiques, culturels et sociaux de la sexualité humaine selon leur âge“, a ainsi rappelé Simone Oldenburg, ministre de l’éducation de Mecklenbourg-Poméranie-Occidentale.

Des préoccupations reflétées par la ligne fédérale, comme sur le site Loveline.de (archive) vers lequel renvoie le Centre fédéral d’éducation sanitaire et où des jeunes peuvent envoyer leurs questions. Certaines réponses à ces questions (archive) mentionnent ainsi l’existence d’un “troisième genre“, reconnu juridiquement en Allemagne sur les certificats de naissance depuis 2018.

L’adoption de ce texte de loi avait fait du pays un précurseur en Europe dans la reconnaissance des personnes intersexes –  celles dont les caractéristiques physiques ou biologiques, telles que l’anatomie sexuelle, les organes génitaux, le fonctionnement hormonal ou le modèle chromosomique, ne correspondent pas aux définitions classiques de la masculinité et de la féminité, selon les Nations unies (archive).

Commentaires haineux

Dès le début, le livre a reçu beaucoup de commentaires positifs“, affirme Mareike Kreß, directrice de publications des éditions Michael Fischer. “En tant qu’expert qualifié, l’auteur s’est assuré d’expliquer avec sensibilité et de ne pas submerger (d’informations, ndlr). Aux yeux de la plupart des lecteurs, cela fonctionne très bien en combinaison avec les illustrations adaptées aux enfants.

Elle avoue néanmoins avoir été “consternée et choquée” par certains commentaires agressifs au sujet du livre – le qualifiant par exemple de “lavage de cerveau“, d'”absurdité arc-en-ciel“, voire appelant à le bannir – , notamment publiés sur la plateforme de vente Amazon.

Cela rappelle les temps sombres de l’Allemagne“, a-t-elle déploré, tout en disant qu'”il est d’autant plus important d’envoyer un signal de respect, de liberté et de tolérance et de prendre clairement position contre la haine” face à cette violence.

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