Scroll Top

La boxeuse Imane Khelif, qui fait l’objet d’une polémique aux Jeux Olympiques de Paris, n’est pas un homme

La boxeuse Imane Khelif, qui fait l’objet d’une polémique aux Jeux Olympiques de Paris, n’est pas un homme - Featured image

Author(s): Grégoire Ryckmans

La boxeuse Imane Khelif a fait l’objet d’accusation selon laquelle elle était un “homme” sur les réseaux sociaux. Après sa victoire en quart de finale contre une boxeuse italienne qui a jeté l’éponge, de nombreux utilisateurs des réseaux sociaux et des personnalités ont pris la défense de l’athlète italienne en estimant le combat déloyal en raison de la “masculinité” de son adversaire. Même s’il est possible qu’Imane Khelif ait une particularité chromosomique, elle est bien une femme.

La victoire de la boxeuse algérienne Imane Khelif face à l’italienne Angela Carini en quart de finale du tournoi olympique de boxe féminine en catégorie des -66 kg, ce 1er août 2024, a suscité énormément de réactions.

Après 45 secondes de combat et avoir reçu un direct au visage adressé par Khelif, Carini retourne pour la deuxième fois vers son coin et signifie qu’elle ne souhaite pas continuer. Son entraîneur signifie ensuite à l’arbitre son abandon. Au moment de l’annonce de la victoire de Khelif, la boxeuse italienne prononce distinctement (02:25 de la vidéo) au moins deux fois en italien : “Non è giusto”, “Ce n’est pas juste”, en français.

Pour de nombreux observateurs, l’abandon de la boxeuse italienne est lié à l’hyperandrogénie, qui se manifeste par un “excès d’hormones masculinisantes dans l’organisme” chez une femme, de son adversaire. Pour eux, cette hyperandrogénie créerait un désavantage sportif avec les autres athlètes. Plusieurs personnalités s’emparent alors de cette séquence. Des publications présentent Imane Khelif comme un “homme”.

Des publications virales, portées par des personnalités influentes sur X

La nageuse étasunienne Riley Gaines publie sur X une photo d’Angela Carini avec le commentaire : “Les hommes n’ont pas leur place dans les sports féminins”. La publication compte à cette heure plus de 212,2 millions de vues et continue de circuler de façon virale sur l’ex-Twitter.

Le compte X, “FairPlayForWomen” tweete en anglais : “Angela Carini (bleu, femme) abandonne le combat face à Imane Khelif (rouge, homme) quelques minutes après le début du combat”. La publication est notamment partagée par Elon Musk qui commente “Absolument” mais la publication initiale qui a dépassé les 41 millions de vues a été retirée de la plateforme pour infraction aux droits d’images.

“L’homme biologique algérien Imane Khelif a battu l’Italienne Angela Carini après seulement 45 secondes dans les préliminaires de boxe des 66 kg aux #Olympiques”, peut-on lire également dans une publication d’une géopolitologue australienne qui cumule plus de 35,5 millions de vues sur X.

D’autres personnalités ont utilisé le terme “homme” pour qualifier l’athlète algérienne. C’est le cas de la romancière britannique Joanne Rowling, auteure d’Harry Potter : “Le sourire d’un homme qui se sait protégé par un établissement sportif misogyne profitant du désarroi d’une femme qu’il vient de frapper à la tête et dont il vient de briser l’ambition d’une vie”. Une publication qui a dépassé les 100 millions de vues sur X, également.

En Italie, la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni a commenté l’abandon de l’athlète italienne et a dénoncé l’issue du combat : “Je pense que les athlètes qui ont des caractéristiques génétiques masculines ne devraient pas être admis aux compétitions féminines”, a-t-elle dit, dans une vidéo postée sur X. Le vice-président du conseil italien et dirigeant d’extrême droite Matteo Salvini a commenté : “Honte aux bureaucrates qui ont autorisé un combat qui n’était manifestement pas à armes égales.”

Qui est Imane Khelif ?

Imane Khelif est une boxeuse, née le 2 mai 1999. Dans un long entretien accordé à Canal Algérie, publié en juin 2024 sur YouTube, la sportive de 25 ans explique qu’elle a grandi dans un village rural de la province de Tiaret, au nord-ouest de l’Algérie.

Issue d’une famille modeste, Imane Khelif pratique d’abord le football puis se tourne vers la boxe : “J’ai toujours aimé le football et j’en ai pratiqué dans mon petit village, mon père a toujours préféré le foot à la boxe”, explique-t-elle. C’est un professeur qui la poussera plus tard vers la boxe en raison de ces capacités physiques, malgré des réticences dans son entourage : “Je viens d’une famille conservatrice. La boxe était un sport dédié uniquement aux hommes.”

Pour illustrer son parcours, Canal Algérie diffuse dans son reportage des images d’Imane Khelif, datant de son enfance.

Trois clichés d’Imane Khelif, pris dans son enfance et diffusés dans un reportage consacré à la boxeuse par Canal Algérie.
Trois clichés d’Imane Khelif, pris dans son enfance et diffusés dans un reportage consacré à la boxeuse par Canal Algérie. © Captures d’écran Youtube / Canal Algérie

De ses premiers pas de boxeuse à sa présence aux JO de Tokyo en 2020

En 2016, la boxeuse fait son premier combat et commence ensuite à participer à des championnats de plus en plus relevés. Elle obtient la 17e place au championnat du monde de New Delhi en 2018 puis représente l’Algérie au championnat du monde de 2019 qui se déroule en Russie. Elle s’y classe 33e.

En 2019, elle participe aux Jeux africains et prend part ensuite aux Jeux olympiques de Tokyo de 2020 où elle obtient à chaque fois la cinquième place dans la catégorie féminine des poids légers (moins de 60 kg).

Elle décroche la médaille d’argent dans la catégorie des poids super-légers aux Championnats du monde féminins de boxe amateur 2022 à Istanbul. Elle enchaîne avec une médaille d’or dans la catégorie des moins de 63 kg aux Jeux méditerranéens de 2022 à Oran et remporte également l’or aux Championnats d’Afrique de boxe amateur 2022, à Maputo.

En mars 2023, Imane Khelif participe aux Championnats du monde de boxe féminin et atteint la finale. Elle est disqualifiée peu de temps avant de monter sur le ring pour “manquement aux règles d’éligibilité”.

Début des discussions autour de son statut et de la présence de chromosomes XY chez l’athlète

Cette disqualification, qui a aussi concerné une autre boxeuse Lin Yu-Ting, par l’association internationale est le début d’une polémique.

Le président de l’IBA (l’association internationale de boxe amateur), Umar Kremlev, a déclaré à l’agence de presse russe Tass, en 2023, que ces disqualifications étaient dues au fait “qu’il a été prouvé qu’elles avaient des chromosomes XY”. Depuis, il n’est pas revenu sur ces déclarations.

Cette combinaison “XY” est généralement celle qu’on trouve chez les hommes, tandis que les femmes possèdent deux chromosomes X. Toutefois, dans certains cas, cette distinction ne s’applique pas aussi aisément.

“Il s’agit de variations dans le développement du sexe biologique”, explique à la VRT, l’urologue à l’UZ Gent, Piet Hoebeke. “Nous ne savons pas ce que cela signifie dans le cas de Khelif, mais elle est biologiquement une femme”.

Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins. On parle ici de troubles du développement sexuel.

D’après les experts, entre 0,05% et 1,7% (dans une étude publiée en 2002 dans la revue American Journal of Biology) de la population mondiale naît avec des caractères intersexués.

Reste qu’il n’existe aucune preuve qu’Imane Khelif soit intersexe : ni la délégation algérienne, ni l’athlète, ni le Comité international olympique (CIO) n’ont confirmé l’information venue de l’IBA. Les tests de féminité, qui comportaient notamment la recherche de certains gènes, ont été supprimés en 2000.

Les tests sur les taux de testostérone, pas suffisants

Dans le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de l’IBA qui s’est tenue deux jours après la disqualification des femmes, George A. Yerolimpos, le PDG et secrétaire général de l’organisation, a déclaré aux participants que les femmes avaient “échoué à des tests effectués par un laboratoire indépendant”.

Il a également indiqué aux participants à la réunion que les deux femmes avaient échoué à un “test similaire”, effectué par un autre laboratoire, lors des championnats du monde de l’année précédente à Istanbul, mais que “les résultats étaient arrivés trop tard pour que les combattantes soient disqualifiées”.

Dans un communiqué publié ce 31 juillet, l’IBA a déclaré que les femmes n’avaient pas “subi un examen de testostérone” mais “un test distinct et reconnu”. Le communiqué ajoute que ce test et les résultats sont “confidentiels”.

Si les tests avaient mis en évidence un taux de testostérone chez Imane Khelif, cela ne voudrait cependant pas dire qu’elle est un homme pour autant. “Il existe de nombreuses variations dans le développement du sexe”, explique M. Hoebeke. “Le fait que Khelif ne rendent pas publique la variation dont elle est porteuse est son droit le plus strict”.

La testostérone, cette hormone généralement plus présente chez les mammifères mâles, n’est pas forcément un facteur critique dans la qualité de la performance sportive. Comme expliqué dans un article de Faky sur la présence d’athlètes transgenres dans les compétitions sportives, l’hypothèse selon laquelle les athlètes qui présentent des forts taux de testostérone seraient systématiquement avantagés, n’est pas avérée scientifiquement.

Mark Adams, le porte-parole du CIO s’est exprimé sur ces tests de taux de testostérone : “La testostérone n’est pas un test parfait. Beaucoup de femmes peuvent avoir des taux élevés de testostérone à ce qu’on dirait des ‘niveaux masculins’ et seraient toujours des femmes”. Comme l’indiquait la conclusion de notre article de fact-checking, Mark Adams indique que chaque sport doit avoir des règles “sur mesure”, sans pour autant “revenir aux tests de féminité” de l’époque “qui étaient une chose terrible”.

Le CIO se base sur le passeport des athlètes

Autre élément factuel notable dans cette polémique, le CIO (Comité International Olympique) a enlevé en 2023 à l’IBA sa “reconnaissance” et la fédération de boxe ne peut plus organiser les tournois olympiques. Les allégations portent sur la corruption, notamment le “manque de transparence financière”, un “manque d’intégrité dans les processus d’arbitrage” et des relations trop étroites avec le pouvoir russe.

Par ailleurs, le CIO, qui supervise la compétition de boxe à Paris, a déclaré dans un communiqué que : “Tous les athlètes participant au tournoi de boxe des Jeux olympiques de Paris 2024 respectent les règles d’admissibilité et d’inscription à la compétition, ainsi que toutes les réglementations médicales applicables”.

“Il ne s’agit pas ici d’une question de personne trans”, a également insisté Mark Adams. “Comme lors des précédentes compétitions olympiques de boxe, le genre et l’âge des athlètes se fondent sur leur passeport”, a indiqué le CIO dans un communiqué publié jeudi soir.

Lors d’une conférence de presse, le président du comité olympique Thomas Bach a évoqué la polémique impliquant Imane Khelif et l’autre boxeuse interdite de combattre par l’IBA en 2023, Lin Yu-Ting : “Soyons très clairs, nous parlons ici de boxe féminine. Et nous avons deux boxeuses qui sont nées femmes, qui ont été élevées comme des femmes, qui ont des passeports en tant que femmes, et qui ont participé à des compétitions depuis de nombreuses années en tant que femmes. Et c’est la définition claire d’une femme. Il n’y a jamais eu aucun doute à leurs égards sur le fait qu’elles soient des femmes”.

Effectivement, Imane Kheli a toujours concouru dans les rangs des femmes. Depuis son premier au Championnat féminin de la Fédération internationale de boxe, en 2018, et également aux Jeux olympiques d’été de 2020, à Tokyo, sans que cela ne provoque la moindre polémique.

Enfin, il n’a jamais été prouvé qu’Imane Khelif ait des chromosomes masculins, ni même des niveaux élevés de testostérone.