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“Matriochka”, la nouvelle campagne de désinformation anti-ukrainienne à destination des médias occidentaux

"Matriochka", la nouvelle campagne de désinformation anti-ukrainienne à destination des médias occidentaux - Featured image

Author(s): Théo MARIE-COURTOIS / Juliette MANSOUR / AFP France

Alors que l’Ukraine fait face à l’invasion russe depuis bientôt deux ans, la propagande pro-russe continue d’inonder les réseaux sociaux et les pays européens, dans le but notamment de saper le soutien occidental à Kiev. Depuis septembre, la désinformation en ligne attribuée à la Russie ne consiste plus seulement à relayer des infox anti-ukrainiennes mais aussi à interpeller directement les médias occidentaux pour les inciter à en vérifier certaines, comme le montrent les données du collectif “Antibot4Navalny” analysées par l’AFP. Une vaste “entreprise de diversion” à destination des journalistes, alertent les experts. 

“Vérifiez cette information, s’il vous plaît” : le mode opératoire est bien rôdé et s’inscrit dans une opération surnommée “Matriochka” (ou “poupées russes”) par le collectif “Antibot4Navalny” (@antibot4navalny sur X, lien archivé ici) qui traque les opérations d’influence en lien avec la Russie sur ce réseau social.

Une internaute, “Käthe”, commente par exemple sur X le 4 décembre une publication de BFM pour demander à la chaîne de vérifier une vidéo qui ressemble à un reportage de la télévision allemande Deutsche Welle affirmant qu’un “artiste ukrainien a scié la Tour Eiffel”.

Je vois ce genre d’informations tous les jours. Les médias officiels n’en parlent pas, que dois-je croire?”, interroge-t-elle.

Capture d’écran d’une publication X archivée, prise le 29/01/2024
Capture d’écran d’une publication X archivée, prise le 29/01/2024

En quelques heures, ce profil interpelle de la même façon des dizaines de médias français comme Le Progrès, Paris Match, Mediapart, Le Point, Franceinfo, Le Figaro, RFI, Le Parisien…

Montage réalisé le 29/01/2024 par l’AFP à partir de plusieurs messages publiés sur X par le même compte

Le compte reste ensuite inactif jusqu’au 20 décembre : il diffuse alors un graffiti de Zelensky caricaturé en SDF à Los Angeles, un visuel qu’un autre compte demandera à son tour à des médias de vérifier, et ainsi de suite.

Capture d’écran d’une publication X archivée, prise le 29/01/2024

Les publications à vérifier sont dans la très grande majorité des cas des vidéos reprenant les codes de grands médias français et internationaux. Ci-dessous à gauche, une publication imite par exemple le logo de RFI, pour faire croire qu’il s’agirait d’un vrai reportage sur des vols dans les catacombes de Paris par un Ukrainien.

Capture d’écran prise le 29/01/2024 d’une fausse vidéo reprenant les codes du média RFI publiée sur X
Capture d’écran prise le 29/01/2024 d’une vraie vidéo de RFI publiée sur X

Les données fournies par “Antibot4Navalny” et sur lesquelles l’AFP a enquêté permettent de documenter l’existence de dizaines voire de centaines de profils usant de cette stratégie d’interpellation massive des médias. Il s’agit pour la plupart de comptes laissés à l’abandon par leur propriétaire puis piratés. Signe que ces comptes ont été pris en main par des “bots”, les publications se succèdent parfois au rythme d’une par minute, pour mieux inonder les réseaux.

L’analyse de l’AFP a révélé aussi que comptes qui demandent aux médias de vérifier des infox vont eux-mêmes en diffuser quelque temps plus tard.

Capture d’écran d’une publication X archivée, prise le 29/01/2024
Capture d’écran d’une publication X archivée, prise le 29/01/2024
Capture d’écran d’une publication X archivée, prise le 29/01/2024
Capture d’écran d’une publication X archivée, prise le 29/01/2024

Détournements d’aides militaires à l’Ukraine, graffitis de Zelensky tronqués ou inventés et fausses publicités sur Times Square : ces publications mettent toujours en cause des Ukrainiens et cherchent à attiser l’idée d’une lassitude des Européens et des Américains à l’égard de Kiev.

La plupart de ces visuels ont été partagés pour la première fois par des internautes russes, notamment sur le réseau social Telegram et sur des blogs d’actualité, comme le montrent les recherches de l’AFP.

Cette campagne semble survenir dans le sillage d’une autre, appelée “Doppelganger” qui a consisté ces derniers mois à diffuser des infox anti-Ukraine via des visuels usurpant l’identité de médias occidentaux, une campagne clairement attribuée à la Russie par les services de renseignements français, relèvent les experts interrogés par l’AFP.

“Entreprise de diversion”

David Chavalarias, mathématicien en sciences sociales et directeur de recherche au CNRS, voit dans cette campagne une “entreprise de diversion à destination des fact-checkeurs” afin de les “occuper sur des sujets grossiers, difficiles à vérifier”. Pour le chercheur, interrogé par l’AFP le 24 janvier, cette opération peut également viser à donner de la visibilité à ces infox en les utilisant comme relais, à leur insu.

“L’objectif semble être de capter l’attention des fact-checkeurs pour contourner leur travail et avoir des effets tactiques et à plus long terme sur des points du récit sur ce conflit en cours” en testant la viralité de certains contenus, complète le même jour le chercheur en géopolitique du numérique et spécialiste de la Russie Julien Nocetti, ajoutant que “les Russes apprennent”. “Et il y a une sorte d’agilité à tester différentes méthodes”.

Auprès de l’AFP le 26 janvier, une source sécuritaire française confiait ne “pas être étonnée” par cette nouvelle opération puisque “les Russes cherchent à avoir de la visibilité, ils veulent qu’on parle d’eux en bien ou en mal”.

Deux jours après la publication de la première dépêche de l’AFP sur l’opération Matriochka, un grand nombre de comptes dont les données avaient été analysées ont fait disparaître les contenus spécifiquement liés à cette campagne de leur profil.

“Cela semble indiquer que l’opérateur  à l’origine de cette campagne a réalisé qu’il avait été mis au jour”, souligne le collectif “Antibot4Navalny” auprès de l’AFP le 29 janvier.

“Bataille de récits”

Les visuels anti-ukrainiens utilisés dans le cadre de “Matriochka” ont également été promus sur différents réseaux sociaux par les mêmes bots que ceux qui faisaient partie de la campagne Doppelgänger.

En décembre 2023, un rapport d’Insikt Group (archivé ici), entité de la société de renseignement Recorded Future, indiquait que la campagne Doppelgänger était toujours très active sur les réseaux sociaux avec au moins 800 bots consacrés à la promotion de faux articles usurpant l’identité de médias ukrainiens.

D’ailleurs, selon des révélations de la presse allemande parues le 26 janvier,  l’Allemagne a identifié une vaste “campagne de désinformation pro-russe” utilisant des milliers de faux comptes X (ex-Twitter) publiant des messages néfastes pour l’Ukraine, en utilisant des visuels de médias allemands.

“L’Ukraine reste le pays le plus souvent visé par la manipulation de l’information – et ce n’est pas par hasard”, déclarait le 23 janvier Josep Borrell (lien archivé ici), chef de la diplomatie européenne lors d’une conférence de presse sur la désinformation et l’ingérence étrangère, évoquant une “bataille de récits”.

“La sécurité n’est plus seulement une question d’armes, c’est une question d’information”, concluait-il.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.34H32VP.