Après l’arrêt cardiaque du joueur de football américain Damar Hamlin début janvier en plein match des Buffalo Bills – qui aujourd’hui “se porte bien” selon le centre médical dans lequel il avait été hospitalisé – des internautes ont partagé sur les réseaux sociaux une “étude” affirmant qu’autant d’athlètes sont décédés des suites de problèmes cardiaques entre 2021 et 2023 qu’entre 1966 et 2004, et attribuant cela aux vaccins contre le Covid-19. Cependant, il ne s’agit pas d’une étude scientifique mais d’une compilation d’articles de presse, qui ne permet ni de comparer les décès de sportifs entre ces deux périodes ni d’attribuer ces décès au vaccin, comme l’expliquent plusieurs experts en cardiologie sportive à l’AFP. Les allégations liant vaccin et morts subites sont récurrentes sur les réseaux sociaux mais sans fondement scientifique.
“INCROYABLE ! De 1966 à 2004, 1101 athlètes de moins de 35 ans sont morts (problèmes cardiaques, infections…). A partir du moment où ils ont injecté tout le monde (janvier 2021) : 1598 athlètes ont eu un infarctus, et 1101 en sont morts ! 1101 en 38 ans… 1101 en 23 mois…“, affirment des publications partagées plus de 2500 fois sur Twitter (1, 2, 3) et sur Facebook.
Des allégations semblables ont également été partagées en anglais, notamment par Simone Gold, fondatrice du groupe America’s Frontline Doctors – qui relaie régulièrement des allégations trompeuses que l’AFP a déjà vérifiées ici ou ici.
Tous citent comme preuve une “lettre à l’éditeur“ publiée fin décembre dans le ‘Scandinavian Journal of Immunology’ par Panagis Polykretis et Peter McCullough, un cardiologue américain relais récurrent d’infox médicales, qui avait par exemple affirmé, à tort, que les données officielles montraient qu’il y avait “plus de blessures et de décès liés aux vaccins” qu’au Covid-19 aux Etats-Unis.
“Ce récent article du Dr Polykretis et de moi-même fait apparaître la forte augmentation des décès d’athlètes dans PUBMED [bibliothèque en ligne d’études scientifiques médicales, gérée par les National Institutes of Health américains, NDLR]. Depuis la vaccination, ‘1598 athlètes ont subi un arrêt cardiaque, dont 1101 ont connu une issue fatale. Au cours des 38 années précédentes (1966-2004), 1101 athlètes âgés de 35 ans sont morts (environ 29/an)’ “, a-t-il écrit sur Twitter le 3 janvier 2023 dans un message partagé près de 8000 fois.
Intervenant le même jour dans l’émission de Tucker Carlson sur Fox News (émission qui relaie fréquemment de fausses allégations), Peter McCullough a déclaré que les problèmes cardiaques dont souffrent des athlètes comme Damar Hamlin – joueur de football américain, victime d’un arrêt cardiaque en plein match mais qui aujourd’hui “se porte bien“ – pourraient être liés aux vaccins contre le Covid-19 qui, selon lui, peuvent être “mortels“.
Aucune preuve scientifique
Cependant, les autorités de santé publique et experts expliquent que les allégations concernant un récent pic de décès des suites de problèmes cardiaques sont sans fondement.
“Il s’agit d’une absurdité totale, provenant d’un billet de blog publié par un médecin en disgrâce“, a affirmé à l’AFP Benjamin Levine, cardiologue à l’hôpital Texas Health Presbyterian de Dallas, le 5 janvier.
Les allégations avancées par le texte de Peter McCullough repose sur deux éléments censés les étayer : une étude revue par des pairs et une compilation d’articles de presse.
L’étude, intitulée “Sudden cardiac death in athletes : the Lausanne Recommendations“, a été publiée dans le European Journal of Preventive Cardiology en décembre 2006. Pour celle-ci, des chercheurs affiliés au Comité international olympique ont analysé des signalements dans des bases de données telles que Medline et Pubmed pour étudier l’incidence de “morts subites cardiaques” – sudden cardiac death (SCD) en anglais – chez les jeunes athlètes.
Ils ont constaté qu’entre 1996 et 2004, 1101 cas d’athlètes de moins de 35 ans ayant souffert de cette pathologie avaient été signalés.
“Le SCD est plus fréquent que prévu chez les jeunes athlètes, même chez ceux âgés de moins de 18 ans, et est principalement causé par des anomalies cardiaques congénitales préexistantes“, indique l’étude soulignant également que cette affection est plus fréquente chez les athlètes que chez les non-athlètes.
Dans sa “lettre à l’éditeur“, Peter McCullough a comparé ces chiffres à des cas rapportés plus récemment de “malaises et décès d’athlètes” compilés sur GoodSciencing.com.
Ce site, géré par un groupe anonyme “d’enquêteurs, de rédacteurs, de journalistes et de chercheurs de vérité“, affirme dans un texte mis à jour fin décembre 2022, qu’il y a eu 1598 “arrêts cardiaques d’athlètes” et “problèmes graves” depuis le lancement de la vaccination contre le Covid-19. Parmi eux, 1101 seraient morts, selon GoodSciencing.com.
“Il n’est absolument pas normal qu’un si grand nombre d’athlètes, principalement jeunes, souffrent d’arrêts cardiaques ou meurent en pratiquant leur sport, mais cette année, ça se produit“, indiquent les auteurs. “Beaucoup de ces problèmes cardiaques et décès surviennent peu de temps après leur vaccination contre le Covid-19″, poursuivent-ils.
Comme preuve, le site mentionne une longue liste d’articles de presse au sujet de personnes qui auraient souffert de malaises ou seraient décédées à la suite de diverses affections.
Pas de lien établi entre les décès et la vaccination
Cependant, cette liste ne prouve pas que plus de 1000 athlètes ont souffert de morts subites cardiaques depuis l’ouverture de la vaccination contre le Covid-19 et encore moins que leurs problèmes de santé soient liés aux vaccins.
“Ce n’est pas de la science rigoureuse“, a déclaré Jonathan Kim, chef en cardiologie sportive à l’hôpital universitaire Emory d’Atlanta, en Géorgie, à l’AFP le 5 janvier 2023. “Ces ‘rapports’ cités sur ce blog, si on peut les appeler ainsi, proviennent du monde entier, avec des âges complètement différents. Il ne s’agit pas d’un registre rigoureux d’athlètes en compétition dont les cas auraient été examinés de manière appropriée.”
Par exemple, GoodSciencing.com renvoie vers des articles sur Mike Leach, l’entraîneur principal de l’équipe de football américain de l’université d’Etat du Mississippi, décédé à la mi-décembre d’un arrêt cardiaque ; des articles sur le décès d’un joueur de curling canadien de 62 ans ou d’un coureur d’orientation norvégien de 25 ans, tous les deux des suites d’un cancer.
Aucun des articles n’établit de lien entre le décès et la vaccination contre le Covid-19.
“Il est difficile de comparer directement un billet de blog qui énumère des événements à un article de recherche évaluée par des pairs, car la méthode exacte d’identification des sujets dans le blog n’est pas décrite“, explique à l’AFP Neel Chokshi, directeur médical du Penn Medicine Sports Cardiology and Fitness Program, le 5 janvier 2023. “Par conséquent, il serait incorrect de comparer ces deux groupes d’informations pour la question posée.”
“Les données présentées ici ne soutiennent pas l’idée que les vaccins ont provoqué une augmentation de la mort subite“, ajoute-t-il.
Après le malaise cardiaque du danois Christian Eriksen en plein match de l’Euro de football en 2021 – qui n’était pas vacciné à ce moment-là -, l’AFP avait déjà vérifié une affirmation selon laquelle le nombre de malaises cardiaques mortels sur les terrains de football aurait été multiplié par 5 en 2021 par rapport aux années précédentes, pointant là aussi une responsabilité des vaccins contre le Covid-19.
Utilisant le même procédé, les internautes citaient une liste de 108 publications faisant état de la mort soudaine de sportifs en 2021. Toutefois, sur une trentaine de liens examinés par l’AFP, le statut vaccinal de l’athlète n’était pas précisé ou le lien de causalité entre le décès et le vaccin n’avait pas été établi.
“De mon point de vue, l’affirmation selon laquelle les décès dans le sport ou dans le football en particulier ont augmenté après l’introduction de la vaccination contre le Covid-19 n’a aucun fondement“, affirmait alors, en octobre 2021 Tim Meyer, président de la commission médicale de la Fédération allemande de football (DFB) et médecin de l’équipe nationale allemande, contacté par l’AFP.
Avec environ 325.000 cas par an chez l’adulte, la mort subite cardiaque est “la plus grande cause de mort naturelle aux Etats-Unis“, selon la Cleveland Clinic. D’après le centre médical universitaire, cette affection est responsable de la moitié des décès dus à des maladies cardiaques et touche le plus souvent des hommes adultes âgés entre 30 et 40 ans.
En France, la mort subite cardiaque touche environ 1000 sportifs professionnels ou amateurs par an. Une centaine a moins de 35 ans, principalement des hommes. A ce stade, cela reste des occurrences “rares“, selon plusieurs experts.
“Il y a toujours eu des décès dans le sport, mais ils étaient et restent très rares“, expliquait Tim Meyer toujours dans cet article de vérification de l’AFP. Selon lui, les athlètes sont en moyenne en meilleure santé que les autres, mais “malheureusement, il existe aussi des maladies cardiaques que l’on ne remarque pas” et qui peuvent déclencher ces problèmes soudains.
Les vaccins sont étroitement surveillés
Les centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) surveillent certains “événements indésirables préoccupants” rares, signalés après la vaccination contre le Covid-19 – notamment des affections cardiaques, comme la myocardite.
Mais de nombreux scientifiques ont expliqué que ces cas liés au vaccin sont extrêmement rares et surtout que le Covid lui-même est bien davantage facteur de risque que les vaccins.
Les myocardites, des inflammations du muscle cardiaque, et les péricardites, des inflammations de la membrane qui entoure le cœur, sont causées, la plupart du temps, par une infection virale (comme le Covid-19) et surviennent plutôt chez des hommes jeunes. Dans la majorité des cas, l’état de santé des patients s’améliore de lui-même ou à l’aide d’un traitement, indique le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
“La myocardite, c’est une maladie cardiaque rare qui a une présentation très hétérogène, très polymorphe, qui va de formes paucisymptomatiques (peu symptomatiques, NDLR) qui heureusement représentent la plupart des cas, à des formes très sévères qui peuvent aller en réanimation“, précisait Mathieu Kerneis, cardiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et chercheur responsable de la filière “myocardites” au sein du groupe Action cœur, en juin 2022 auprès de l’AFP dans cet article de vérification.
Celui-ci s’intéressait à une étude publiée dans The Lancet, mal interprétée, qui indiquait qu’un “ risque accru de myocardites ou de péricardites a été observé après la vaccination à ARNm contre le Covid-19, et était plus élevé chez les hommes âgés de 18 à 25 ans après une deuxième dose du vaccin. […] Cependant, l’incidence était rare. Les résultats de notre étude, ainsi que la balance bénéfices-risques, restent en faveur de la vaccination avec l’un ou l’autre des deux vaccins à ARNm“.
Depuis l’été 2021, les myocardites et les péricardites sont ainsi considérées en France comme des effets indésirables pouvant survenir suite à une vaccination contre le Covid-19 par un vaccin à ARN messager (Pfizer-BioNTech ou Moderna). Toutefois, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans une actualisation des connaissances disponibles à la date du 8 avril 2022, souligne bien qu’“aucun décès n’a été rapporté parmi les personnes hospitalisées pour une myocardite ou une péricardite suite à la vaccination”, comme expliqué dans cet article de vérification de l’AFP.
Dans le cadre de la pharmacovigilance déployée pour suivre les effets indésirables des vaccins, l’ANSM a publié le 25 novembre 2022 un point de situation qui les détaille selon les cinq vaccins utilisés en France.
Elle y écrit notamment que sur le total de plus de 151 millions de doses injectées depuis le début de la campagne de vaccination, 187.958 effets indésirables ont été “déclarés” par les patients – “déclaré ne signifi(ant) pas que l’effet est imputable au vaccin”, prend-elle bien soin de rappeler. On y retrouve notamment mention de myocardites, mais pas de décès.
Aux Etats-Unis, les CDC affirment qu’il n’y a pas de preuve scientifique étayant l’idée que les vaccins soient responsables de vagues de décès.
“Les déclarations qui sous-entendent que les signalements de décès après une vaccination équivalent à des décès causés par la vaccination sont scientifiquement inexactes, trompeuses et irresponsables“, ont déclaré les CDC à l’AFP le 4 janvier. “Les vaccins contre le Covid-19 font l’objet du contrôle de sécurité le plus poussée de l’histoire des Etats-Unis. A ce jour, les CDC n’ont pas détecté de tendances inhabituelles ou inattendues pour les décès survenus après une vaccination qui indiqueraient que les vaccins contre le Covid-19 sont à l’origine ou contribueraient aux décès.”
Les CDC et la Food and Drug Administration (l’agence américaine du médicament) ont identifié neuf décès comme étant “associés de manière directe” au vaccin contre le Covid-19 de Johnson & Johnson (appelé Janssen en Europe), liés à une condition rare de coagulation du sang. Soit environ 4 cas pour un million.
Les CDC recommandent ainsi les vaccins de Pfizer ou Moderna plutôt que celui de Johnson & Johnson. “Nous recommandons à toutes les personnes éligibles de se faire vacciner“, ajoutent-ils.
La théorie – infondée – de décès soudains et inexpliqués causés par les vaccins contre le Covid-19 a été récemment relancée par un “documentaire” américain intitulé “Died Suddenly” (“Mort subitement“), qui reprend plus largement la thèse d’un complot mondial qui utiliserait la vaccination pour réduire la population, comme nous l’avons expliqué dans cet article de vérification.