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“Une pilule connectée qui envoie un signal aux autorités quand elle est prise” : cette vidéo du PDG de Pfizer est sortie de son contexte

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Author(s): Laura Dubois, RTBF

Une vidéo devenue virale sur Twitter montre Albert Bourla, PDG de Pfizer, en train de parler d’une “pilule comestible” comportant une minuscule puce qui enverrait un signal aux autorités compétentes, une fois le médicament digéré. Sortis de leur contexte, ces propos qui datent en réalité de 2018 font référence à une technologie destinée à soigner les maladies et troubles mentaux, et qui est commercialisée par une entreprise pharmaceutique japonaise.

La vidéo publiée ce 20 mai dernier a fait plus de quatre millions de vues sur Twitter et a été repartagée plus de 20.000 fois. Devant un fond bleu qui correspond au décor du forum économique mondial de Davos, Albert Bourla, qui est devenu PDG de Pfizer en 2019, dit ceci : “C’est une puce biologique intégrée dans le médicament qui, lorsqu’elle se dissout dans l’estomac, envoie un signal alertant que la pilule a été digérée.” L’ancien vétérinaire argumente en disant que ça permettrait aux médecins d’être sûrs que le patient a bien pris son médicament. “C’est fascinant ce qui se passe dans ce domaine“, conclut-il.

En texte d’introduction à la vidéo, on peut y lire : “Le PDG de Pfizer, Albert Bourla, explique la nouvelle technologie de Pfizer à la foule de Davos : les ‘pilules comestibles’ – une pilule avec une minuscule puce qui envoie un signal sans fil aux autorités compétentes une fois le médicament digéré. ‘Imaginez la conformité’, dit-il.

Imagine the compliance“, exprimait également Albert Bourla dans la vidéo. Traduit littéralement, cela signifie : “Imaginez la conformité“, une phrase qui a notamment fait beaucoup réagir les internautes et nourrit les théories complotistes : “Et c’est nous, les “théoriciens du complot” qui sommes les cinglés.“. Ou encore : “Il dit ‘conformité’ – les consommateurs ne sont clairement pas ses clients, les organismes gouvernementaux le sont.

En anglais, “compliance” signifie notamment “conformité“. Mais “patient compliance“, signifie “observance du patient” ou “observance thérapeutique“. En langage médical, l’observance thérapeutique réfère à la façon dont un patient suit, ou ne suit pas, les prescriptions médicales et coopère à son traitement.

Une vidéo sortie de son contexte

La vidéo date en réalité de janvier 2018 et est disponible dans son entièreté ici. Il s’agit d’une rencontre au forum de Davos entre plusieurs experts, dont le docteur Bourla, consacrée à l’avenir de la santé. A la 45e minute, une personne présente dans le public pose cette question : “Même si vous inventez le meilleur médicament ou le meilleur appareil, il n’y a aucune garantie que le patient prendra le médicament prescrit ou portera l’appareil. Comment la technologie peut-elle améliorer l’observance du patient ?“. Une question à laquelle le PDG de Pfizer a répondu en évoquant une pilule intelligente déjà commercialisée par Otsuka Pharmaceutical Co, une entreprise pharmaceutique japonaise.

Cette pilule s’appelle “Abilify MyCite“. “ABILIFY MYCITE est une pilule intelligente sur ordonnance avec une technologie intégrée de la taille d’un grain de sable. Après avoir été avalé, ABILIFY MYCITE (comprimés d’aripiprazole avec capteur) envoie un petit signal à un patch portable qui se connecte à votre smartphone, vous permettant de voir vos données quotidiennes en un seul endroit”, peut-on lire sur leur site internet.

Le produit est admis pour le traitement de la schizophrénie, le traitement aigu des épisodes maniaques et mixtes associés au trouble bipolaire I et pour une utilisation comme traitement complémentaire de la dépression chez l’adulte.

Approuvé en novembre 2017 par la FDA (Food and Drug administration, l’organisme qui a le mandat d’autoriser la commercialisation des médicaments sur le territoire des États-Unis), Abilify MyCite est le premier médicament doté d’un système de suivi numérique de l’ingestion : “Le produit est admis pour le traitement de la schizophrénie, le traitement aigu des épisodes maniaques et mixtes associés au trouble bipolaire I et pour une utilisation comme traitement complémentaire de la dépression chez l’adulte“, peut-on lire dans ce communiqué de presse. “La FDA a accordé l’approbation d’Abilify MyCite à Otsuka Pharmaceutical Co.

Ce médicament n’est cependant pas disponible en Europe. Une tentative a bien été faite en 2020, comme en témoigne cette page de l’Agence européenne des médicaments (EMA). Mais l’entreprise à l’origine de la demande de mise sur le marché a ensuite fait marche arrière.

Il n’y a pas suffisamment de preuves qu’Abilify MyCite soit capable de mesurer de manière fiable la consommation du médicament dans la population cible“, pointait l’Agence dans un document daté de juillet 2020. Selon la même source, il existe un risque que le patient prenne une dose trop importante car le système peut ne pas fonctionner de manière fiable. Enfin, “le patch peut provoquer des réactions cutanées et des tissus sous-cutanés“, évaluait l’avis de l’EMA.

Pfizer n’a donc aucun lien avec cette pilule intelligente destinée seulement à soigner les troubles mentaux, et qui n’est pas vendue sur le territoire européen.

Des données certifiées comme « protégées »

Les arguments en faveur de cette pilule postulent qu’elle permettrait au patient de se rappeler qu’il a bien pris son traitement. L’enregistrement de données via une application lui offrirait alors la possibilité de “rester au courant de son traitement“, grâce notamment à une collecte de données issues de la pilule à puce.

Le système propose une autre fonction : “Le système vous permet de partager des données quotidiennes avec votre équipe soignante, comme votre médecin, votre infirmière ou votre thérapeute.” De cette manière, les médecins peuvent avoir la garantie que le patient prend bien son traitement. Cependant, ces résultats sont partagés seulement avec l’autorisation du patient, comme le stipulent les “conditions d’utilisation et avis de confidentialité des patients“.

Même si cela est techniquement possible, rien n’indique donc que ces données sont systématiquement envoyées, sans l’accord du patient, aux autorités compétentes, contrairement à ce qu’affirme le tweet présenté en début d’article.

Ce n’est pas la première fois que cette vidéo ressurgit sur les réseaux sociaux. En janvier 2022, le passage en question avait servi à nouveau à alimenter les théories du complot après la sortie des pilules antivirales de Pfizer pour traiter le Covid-19, le Paxlovid, comme l’indique cet article de fact-checking : “Les pilules de traitement et les vaccins Covid-19 de Pfizer ne contiennent pas de capteurs de suivi numériques, selon les listes d’ingrédients et les communiqués de presse de la société“. L’article concluait qu’il n’y avait aucun lien entre la pilule d’Abilify MyCite mentionnée en 2018 par Albert Bourla et le “Paxlovid” autorisé en 2021 par l’Agence européenne des médicaments.

Une fausse rumeur

Pfizer n’a jamais commercialisé une pilule intelligente capable d’envoyer un signal aux autorités une fois celle-ci digérée. Les propos de M. Bourla, sortis de leur contexte, ont vraisemblablement induit les internautes en erreur.

La vidéo de M. Bourla qui circule sur Twitter est issue d’une rencontre au forum de Davos qui a eu lieu en 2018. Après une question adressée par une personne présente dans le public au sujet de l’”observance d’un patient”, à savoir l’engagement d’un patient vis-à-vis d’un traitement, il avait pris la parole pour évoquer les atouts d’une pilule intelligente commercialisée par une firme pharmaceutique japonaise : l’Ambilify MyCite.

Ce médicament dans lequel est intégrée une puce qui envoie un signal à une application une fois le médicament digéré, permet aux patients souffrant de troubles ou de maladies mentaux de suivre l’évolution de leur traitement. Les données personnelles collectées, le patient peut autoriser leur accès à une équipe soignante. Ce partage de résultats peut avoir lieu uniquement avec l’autorisation du patient.

En conclusion, la rumeur selon laquelle Pfizer commercialise une pilule à puce qui envoie un signal aux autorités une fois celle-ci digérée, est fausse.