Sur les ondes de la Première ce lundi 27 mai 2024, Bernard Clerfayt (Défi), reprochait le manque de financement sous la législature MR-N-VA, de trois secteurs : la santé, la justice et la police. Si le constat est vrai pour la justice, il est plus compliqué à calculer pour la santé. La police fédérale a en revanche été refinancée en fin de législature Michel I. Enfin, les polices locales ont vu leur financement rester constant.
Cet article a a été réalisé dans le cadre d’un marathon de fact checking organisé du 27 mai au 9 juin. Cette initiative, qui vise à vérifier quotidiennement les déclarations des personnalités politiques avant les élections, est une collaboration entre la VRT NWS, la RTBF, Knack, factcheck.vlaanderen, KRO-NCRV Pointer, Het Algemeen Dagblad et deCheckers.
“La santé, la justice, la police… Tout cela a été moins bien financé (pendant le gouvernement MR-N-VA)”, a déclaré Bernard Clerfayt (Défi) dans “Le duel” de ce lundi matin sur la radio La Première. Ce n’est pas la première fois qu’un tel reproche est formulé (exemples ici, là ou encore là).
Le “gouvernement MR-N-VA” dont parle Bernard Clerfayt est le gouvernement Michel I qui a été au pouvoir entre 2014 et 2018. Il rassemble une “coalition suédoise”, de droite, entre les libéraux francophones et flamands, le MR et l’Open VLD, les nationalistes de la N-VA et les chrétiens-démocrates flamands du CD&V.
Retour sur les chiffres des budgets lors de cette législature dans chacun des trois secteurs avec les analyses d’experts en finances publiques.
La santé : compliqué à objectiver
En reprenant les chiffres les plus récents de l’Institut des comptes nationaux, en 2015, le budget alloué aux soins de santé a baissé de 2,5 milliards par rapport à 2014. Mais le budget a ensuite été augmenté de 2,34 milliards entre 2015 et 2018. Résultat : à la fin de la législature, le budget des soins de santé était juste en dessous de celui de 2014, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous :
Si la courbe avait suivi la norme de croissance de 3% (elle a été abaissée à 1,5% sous le gouvernement Michel I) et en y ajoutant l’inflation, on constate une différence de trois milliards d’euros.
Néanmoins, il y a une nuance à apporter. La diminution en 2015 et 2016 s’explique en partie par la 6e réforme de l’État, contextualise Maxime Fontaine, expert en finances publiques au Département d’économie appliquée de l’ULB (Dulbea). “Cette année-là, des compétences sont transférées aux Régions et aux Communautés et il est donc normal qu’une partie du budget leur revienne. Il faudrait donc pouvoir isoler la baisse des dépenses liée à ce transfert pour déterminer si la diminution de la norme de croissance a eu un effet sur les autres dépenses.”
Le budget consacré au secteur de la santé n’a donc pas continué à augmenter pendant le gouvernement Michel I comme il aurait pu le faire si la norme de financement était restée à 3%. Mais il est normal que ce budget diminue étant donné qu’une partie de la compétence a été transférée aux Régions.
La déclaration de Bernard Clerfayt est donc compliquée à objectiver étant donné que les circonstances ont changé entre le début et la fin de la législature.
La Justice : vrai
Le budget de la justice a bel et bien baissé, de 99 millions entre 2014 et 2016. Il a ensuite été augmenté de 117 millions entre 2016 et 2018. En 2018, quand le gouvernement Michel I est passé en affaires courantes, la justice avait sensiblement le même budget qu’en 2014, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous. Alors, que conclure ?
Pour cela, regardons la ligne en pointillé mauve. Elle représente le budget de la justice de 2014 indexé sur base des prix à la consommation du Bureau du Plan. “Cela permet d’obtenir une trajectoire qu’on peut qualifier ‘d’affaires courantes’ et de la comparer avec la trajectoire du gouvernement Michel I”, explique Sébastien Thonet, chercheur au Centre de recherche en économie régionale et politique économique (CERPE) de l’Université de Namur.
Avant d’interpréter la courbe, l’expert prend quelques précautions. “La notion de bon/mauvais financement est relativement subjective, surtout à partir de chiffres agrégés comme ceux-ci. On ne sait pas ce qui se cache derrière ces dépenses. Par ailleurs, dépenser plus ne veut pas forcément dire dépenser mieux. Cela donne uniquement une image des moyens mis à disposition par le gouvernement pour accomplir un service public. ”
Il est néanmoins possible de voir que si la justice avait suivi le même rythme de financement, entre 2015 et 2018, 483 millions d’euros auraient été dépensés en plus. Les moyens alloués à la justice ont donc en effet été revus à la baisse sous le gouvernement Michel I. Bernard Clerfayt a raison sur ce point.
La Police : faux
Comme le budget de la justice, le budget de la police fédérale a également baissé au début des années Michel I avant de remonter de manière importante en 2017 et 2018, certainement suite aux attentats de Paris de novembre 2015 et de Bruxelles de mars 2016. Au plus bas, en 2015, le budget de la police fédérale était de 1,75 milliard, soit 84 millions sous son niveau de 2014. Mais globalement, le budget de la police fédérale était plus important en fin de législature Michel I qu’en début.
Concernant la dotation aux polices locales, elle était de 836 millions en 2014 et 903 millions en 2018, elle a donc augmenté de 67 millions d’euros entre le début et la fin de la législature. C’est ce que l’on voit sur ce graphique :
Même exercice que pour la justice : et si on indexait le budget de la Police de 2014 sur base des prix à la consommation du Bureau du Plan ? D’après les calculs de Sébastien Thonet du Cerpe, “le bilan net de la législature est positif d’environ 121 millions d’euros” pour la police fédérale. “Pour la police locale, la trajectoire des dépenses du gouvernement est relativement proche d’une trajectoire indexée. Le bilan global est légèrement positif : + 29 millions d’euros.”
Au final, il est donc faux de dire que la police a été moins bien financée sous le gouvernement Michel I, en tout cas, par rapport aux autres législatures.
Contacté, Bernard Clerfayt réagit en précisant qu’il parlait spécifiquement des polices locales. “On ne peut pas parler d’augmentation. Cela représente à peine l’inflation sur cette période. Cela signifie que les montants n’ont pas augmenté en termes réels. Les salaires des policiers sont indexés donc évidemment que la dotation doit l’être également. Il n’y a donc pas d’augmentation réelle des moyens octroyés aux polices locales.”
Et de détailler encore davantage sa déclaration : Bernard Clerfayt visait plus spécifiquement les zones de police de la Région de Bruxelles-Capitale. “Les dotations aux zones de police locales sont inégales par zone. […] Les grandes villes ont moins d’argent que la campagne. Anvers, Charleroi, Liège Gand et Bruxelles reçoivent toutes moins d’argent par policier selon le nombre de policiers nécessaires calculé par la KUL.”
Cette “norme KUL” date de 1999 et n’a jamais été revue depuis lors. C’était pourtant l’une des promesses de la Vivaldi. Une enquête de Bruxelles Pouvoirs Locaux de 2023 relayée par l’Echo lui donne raison : la norme actuelle conduit à un sous-financement compris entre 10 et 12% dans les zones de police. Et le constat est en effet encore plus criant dans les grandes villes : depuis 2022, les zones de police bruxelloises ont perdu environ 151 millions d’euros.
En conclusion,
- Bernard Clerfayt (Défi) reproche au gouvernement fédéral Michel I (2014-2018) d’avoir moins bien financé la santé, la justice et les polices.
- La santé a bien vu sa norme de croissance diminuer de 3% à 1,5% pendant la législature Michel I. Néanmoins, une partie de la diminution du budget est due au transfert d’une partie de la compétence santé aux Régions. Il est donc difficile de comparer la situation en début et en fin de législature.
- Il est vrai de dire que la justice a été moins bien financée pendant le gouvernement Michel I car si son budget avait suivi la même trajectoire de financement, entre 2015 et 2018, 483 millions d’euros auraient été dépensés en plus.
- Il est faux de dire que la police a été moins bien financée : la police fédérale a vu son budget augmenter après les attentats de Bruxelles. Les zones de police locale ont été aussi bien financées qu’auparavant. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que la norme de financement des zones de police locales les finance toutes à hauteur de ce qui est nécessaire.