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“Estcequejemevaccine.eu” : un site imitant la plateforme officielle wallonne diffuse de la désinformation

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Author(s): Grégoire Ryckmans et Achille Dupas

Des flyers contenant de fausses informations sur les vaccins sont distribués à Bruxelles et renvoient vers un site internet appelé “estcequejemevaccine“, imitant un site d’information officiel sur la campagne de vaccination contre le Covid-19 en Wallonie. Les éditeurs de ce site sont des internautes déjà actifs contre les mesures de restrictions imposées dans le contexte de la crise sanitaire et le CST. Sur le site, de nombreuses fausses informations autour de la dose “booster” ou encore la vaccination des enfants.

Via le formulaire de contact de Faky, une internaute a fait part de son questionnement concernant un flyer contenant des informations sur la vaccination contre le Covid-19. Elle nous envoie une copie du flyer et s’interroge : Ce site est-il l’émanation de citoyens qui s’interrogent en toute bonne foi sur la vaccination ou est-il de tendance complotiste ou antivax ?

Ce flyer indique : “Vacciner mon enfant ? Il y a des risques !”, ainsi qu’un visuel montrant une mère et sa fille à côté d’une seringue de taille importante, le document renvoie vers un site internet intitulé estcequejemevaccine.eu.

Sur le réseau social Twitter également, plusieurs internautes s’interrogent sur un tract similaire, avec le texte : “J’ai eu ma dose. Faut-il faire le booster ? ainsi que “C’est officiel, la campagne de vaccination est un échecLe document renvoie vers le même site internet. Il s’agit en réalité du verso du premier document.

Le flyer ainsi que le site internet imitent le visuel de “jemevaccine.bele site officiel d’informations sur la campagne de vaccination contre le coronavirus mis en place par l’AVIQ (l’agence en charge de l’organisation des centres de tests ou de la vaccination contre le Covid-19 en Wallonie). Le site de l’AVIQ est une plateforme d’informations à destination du grand public. Elle permet notamment aux Wallons de prendre rendez-vous pour se faire vacciner contre le Covid-19 et fournit des ressources pour informer les visiteurs du site.

Montage photos de flyers distribués à Bruxelles.

Montage photos de flyers distribués à Bruxelles. © Tous droits réservés

Deux sites très similaires, en apparence

Une des premières choses observable lorsque l’on se rend sur la plateforme “miroir” (telle que consultable ce 17 février 2022), c’est sa mise en page soignée. Le site est attractif visuellement et dégage une impression de sérieux. L’adresse en “. eu” (extension “ européenne ”) est également de nature à asseoir cette impression de crédibilité. Tout comme le choix du nom “ est-ce que je me vaccine ” qui semble indiquer que l’utilisateur est face à un site internet digne de confiance qui va l’informer sur l’opportunité de se faire vacciner contre le Covid-19 ou de faire vacciner ses enfants.

Cette impression de légitimité dégagée par la plateforme n’est pas un hasard. Des utilisateurs attentifs sur Twitter ont remarqué qu’il s’agit quasiment d’un site miroir de celui mis en ligne par l’AVIQ. Même police de caractères, même mise en page, structure du menu assez similaire…

Le logo, lui aussi, est quasi identique. La page “se protéger” qui évoque des “ fake news ” sur ce site est elle aussi une copie d’une page similaire sur le vrai site de l’AVIQ.

Comment faire le tri ?

Ces deux sites se ressemblent très fortement. Dès lors, quels sont les éléments qui peuvent permettre de distinguer un site officiel d’un site non fiable ?

L’un des aspects importants lorsqu’il s’agit d’évaluer la crédibilité d’un site internet, c’est de pouvoir identifier qui sont les personnes ou groupes de personnes qui le gèrent.

Le RGPD (Règlement général sur la protection des données) prévoit d’ailleurs une politique de confidentialité qui doit permettre d’identifier le responsable du traitement des données et des moyens de contacter l’opérateur d’un site internet.

Sur le site “estcequejemevaccine.eu”, il n’y a cependant aucune mention ou rubrique pour savoir qui sont les personnes derrière la plateforme ou à l’origine du projet.

Cette absence de rubrique ou page “ Qui sommes-nous ? “ ou “ Contact ”, peut être due au fait que le site est en construction, à un oubli, ou à de l’amateurisme. Pour un site développé comme celui-ci, cela peut être apparenté à un manque de transparence et à une volonté de ne pas vouloir se dévoiler.

Un autre élément qui va permettre de se faire une opinion est la qualité rédactionnelle du contenu proposé. Sur un site sérieux ou officiel, l’orthographe et la syntaxe seront soignées.

Sur le site “ estcequejemevaccine.eu, nous avons repéré plusieurs fautes. Par exemple, sur la page d’accueil, il y a un lien qui renvoie vers une rubrique appelée “ Comment rester attentif face aux fake news ”Ici, il manque de façon évidente le point d’interrogation.

Capture d’écran du site internet : estcequejemevaccine.eu

Le site contient par ailleurs d’autres coquilles, fautes d’orthographe ou de syntaxeExemple : “3e dose : une geste civique ?” ou Les risques de cardiomyopathies, de troubles de la coagulation, de troubles neurologiques graves (paralysies, épilepsies, tremblements) … (ndlr : les points de suspension ne sont jamais précédés d’un espace en fin de phrase).

Plus bas, c’est la présence d’un point d’exclamation qui attire l’attentionVacciner mon enfant ? Il y a des risques !”L’utilisation de ce point d’exclamation n’est pas anodine. Il s’agit ici d’attirer l’attention de façon manifeste et de mettre en garde en faisant appel aux émotions. C’est un indicateur d’une possible désinformation.

Capture d’écran du site internet : estcequejemevaccine.eu

Sur la page dédiée aux “boosters”, ce processus d’appel aux émotions à travers l’utilisation de certains mots est également présent, d’une autre manière. Ici, l’utilisation du “vous, couplée avec des éléments de langage vise à “rassembler” au travers d’un champ lexical que l’on peut qualifier de “concernant.

Capture d’écran du site internet : estcequejemevaccine.eu

Il y a également l’usage de certains mots visant à susciter des émotions comme la peur ou la méfiance. Par exemple, sur la page dédiée à la vaccination des enfants, les mots : “nocifs, corruption, conflits d’intérêts, corrompus, mortalité, handicap, mort” sont utilisés.

Il s’agit d’un champ lexical spécifique qui ne semble pas être utilisé par hasard. La volonté ici est manifestement de dissuader les personnes de recevoir leur dose booster ou de vacciner leurs enfants. Aucun des arguments en faveur des boosters ou de la vaccination des enfants n’est présenté.

Capture d’écran du site internet : estcequejemevaccine.eu

L’utilisation des images est aussi un élément capital d’un site internet.

Sur la page d’accueil, la qualité du visuel utilisé pour illustrer le virologue Emmanuel André est de mauvaise facture. Les pixels sont apparents.

Plus important encore, l’image est aussi un élément porteur de sensSur la page dédiée à la vaccination des enfants, un visuel illustrant un enfant couché dans un lit d’hôpital et intubé de façon impressionnante vient soutenir le propos général de la page mettant en garde contre les dangers de la vaccination des plus jeunes contre le Covid-19.

Il est possible de retrouver la trace de cette image, non sourcée sur le site, via le moteur d’image inversée de Faky. Il s‘agit de la photo de Jayden Hardowar, un garçon de huit ans.

Ce jeune new-Yorkais a fait l’objet d’un reportage de la chaîne NBC New York au début de l’année 2020. Ce dernier a développé le syndrome de Kawasaki, consécutif à une infection au Covid-19, et s’est retrouvé sous un respirateur aux soins intensifs en cinq jours.

Une utilisation paradoxalde l’image pour défendre la non-vaccination des enfants en raison de la non-utilité des vaccins parce qu’ils “ ne risquent rien avec le Covid“.

Capture d’écran du site internet : estcequejemevaccine.eu

Qui se trouve derrière ce site ?

Après quelques recherches au sujet du site internet, il apparaît que l’adresse du site a été enregistrée le 24 janvier 2022. Comme l’a remarqué un internaute sur le réseau Twitter, les informations disponibles publiquement renvoient vers une société établie à Bruxelles, cogérée par un certain M. B.*

L’activité de M. B. sur les réseaux sociaux montre un engagement dans les revendications contre les restrictions sanitaires et contre le Covid Safe Ticket. M. B. a également d’autres activités annexes à sa société, dont les différents comptes sur les réseaux sociaux témoignent d’un engagement similaire.

Il est également administrateur d’un groupe Facebook d’environ 200 personnes aux revendications ouvertement anti CST et anti vaccination contre le Covid-19. Ce groupe possède également un site internet, et se présente comme une initiative citoyenne sans affiliation politique” dont le but principal est “la protection de la constitution et l’état de droit.” Le site propose aussi de télécharger des affiches et des flyers contre le CST pour “mettre dans la boîte aux lettres des voisins”.

*Le nom a été anonymisé.

Capture d’écran d’un document partagé sur un groupe de messagerie privée

Capture d’écran d’un document partagé sur un groupe de messagerie privée. Capture d’écran Telegram

Le site internet ne possède pas non plus de mentions légales. Il renvoie néanmoins vers un groupe sur une messagerie chiffrée, dans lequel les membres sont appelés à participer à la distribution des flyers de promotion du site “Estcequejemevaccine.eu“, évoqués en début d’article. Sur un autre canal de discussion lié, les différents membres se répartissent la distribution de “200.000 flyers” en fonction des différents quartiers de Bruxelles.

Contacté par Faky pour l’interroger sur la démarche derrière le site internet et cette distribution de flyers, M. B. n’a pas donné suite à nos sollicitations à l’heure de la publication de cet article.

Des arguments non factuels ou détournés

Le site internet comporte pourtant plusieurs fausses affirmations concernant les vaccins contre le coronavirus. La rubrique “Faut-il vacciner les enfants ?”en contient à elle seule un nombre important.

En voici quelques-unes :

  • “Vos enfants ne risquent rien avec le Covid. Le vaccin, par contre, peut avoir un impact bouleversant pour eux”. “Risquez-vous un handicap ou la mort de votre enfant ? Un accident “prévisible”, ce n’est plus un accident – c’est un délit.”

Les enfants sont peu sujets aux formes graves, c’est exact. Cependant le nombre d’enfants admis en réanimation n’est pas nul, et la balance bénéfice-risque reste positive en faveur de la vaccinationmême si certains scientifiques recommandent surtout le vaccin pédiatrique pour des enfants ayant des comorbidités.

  • “De nombreux jeunes sportifs décèdent de crises cardiaques, sans autres explications”

Cette affirmation reprend, sans l’exprimer clairement, une rumeur très répandue affirmant que les vaccins contre le Covid seraient à l’origine d’une augmentation des arrêts cardiaques chez les sportifs. Cette information a fait l’objet de nombreuses vérifications, dont un article de Faky, qui montrent que les calculs et estimations sur lesquels elle se base sont trompeurs.

  • “Il faut noter qu’ils (les vaccins) sont encore en phase 3 d’expérimentation, et que nous n’avons pas le recul suffisant.”

Il est vrai que les vaccins ARN comme celui de Pzifer ou Moderna sont encore en “phase 3”. Si la phase de validation la plus importante a déjà été réalisée et les conditions strictes de mise sur le marché ont été respectées, les laboratoires poursuivent les essais cliniques pour recueillir des données d’efficacité à long terme et de sécurité. Les vaccinés ne sont donc pas des “cobayes”.

  • “L’immunité naturelle est supérieure en qualité et en durée à l’immunité vaccinale”

L’immunité acquise à la suite d’une infection au coronavirus et l’immunité vaccinale sont différentes en termes d’intensité et de durée, ainsi qu’en fonction du variant contracté et du vaccin administré. La vaccination permet une “quantité standardisée d’antigènes, non soumise à variabilité en fonction de l’intensité de l’infection”, comme expliqué dans un article précédent, publié par la RTBF. La vaccination protège également des formes graves, contrairement à une infection.

Enfin, la rubrique “Faut-il faire les boosters ?” affirme :

  • “Le vaccin n’a pas tenu sa promesse. La campagne de vaccination de masse est un échec”

S’ils ne préviennent que partiellement des infections, les vaccins contre le Covid-19 sont très efficaces contre les formes graves. En novembre 2021, la branche européenne de l’OMS estimait à 470.000 le nombre de vies sauvées en Europe grâce à la vaccination, et ce seulement chez les personnes de plus de 60 ans.

Vaccination des enfants et boosters, qu’en est-il vraiment ?

L’opportunité ou non de vacciner les enfants âgés de 5 à 11 ans fait l’objet de débats. En Belgique, la vaccination des plus jeunes (comme celle des adultes, à ce stade) se fait sur base volontaire. Il n’y a donc aucune obligation légale de faire vacciner ses enfants contre le Covid-19.

Des avis divergents s’expriment, notamment sur la balance bénéfices-risques et sur l’efficacité des vaccins actuels sur la transmission du virus, en particulier face au variant Omicron.

Ce variant Omicron étant plus contagieux, il est donc plus susceptible de toucher les enfants et donc potentiellement de provoquer des formes graves, même si elles restent rares. Les données actuellement disponibles montrent que le vaccin reste très efficace dans la prévention des formes sévères chez les enfants, même avec Omicron.

Pour la balance bénéfices-risques, les autorités sanitaires européennes et américaines ont approuvé l’utilisation des vaccins adaptés de Pfizer. Dans l’état actuel des connaissances, le consensus scientifique indique que cette balance est positive.

La liberté de faire vacciner reste de la responsabilité et de la volonté des parents. Cependant, suggérer que les enfants atteints du virus du SARS-CoV-2 “ ne risquent rien ”, comme le prétend le site estcequejemevaccine.eu est faux.

Pour ce qui est des boostersun article de la RTBF publié fin janvier 2022 fait un état des lieux de l’effet de la dose booster sur le variant Omicron du Covid-19, majoritaire en Belgique. En reprenant des chiffres de Sciensano, on constate que l’impact de la dose booster sur les formes graves varie selon les catégories d’âge : il est notamment plus important chez les personnes entre 65 et 84 ans. Cependant, la dose booster a un effet positif sur la transmission du virus chez les plus jeunes.

Un autre article publié par la RTBF le 7 février 2022 faisait un point nuancé sur la pertinence de se faire administrer ou non la “ troisième dose ”, rappelant au passage que “ dire que l’infection elle-même donne une meilleure immunité que le vaccin est de la désinformation ”.

L’utilisation déléments de désinformation, comme le fait le site “estcequejemevaccine.eu ne permet assurément pas un débat basé sur des éléments factuels et n’offre pas la possibilité à chaque individu de se positionner en connaissance de cause face à ces enjeux.