La propagande pro-russe continue d’inonder les réseaux sociaux et les sociétés européennes, tentant notamment de saper le soutien occidental à Kiev, qui fait face à l’invasion russe depuis plus de 18 mois. De nombreuses publications virales montrant de fausses publicités ou de faux graffitis anti-Zelensky tentent depuis des mois de ridiculiser la cause ukrainienne en Occident ou d’accréditer l’idée d’une lassitude croissante des opinions publiques en Europe et aux Etats-Unis, qui pourrait faire perdre le soutien européen et américain au président ukrainien.
Selon des publications virales dans de nombreuses langues, il y aurait en France et en Allemagne des artistes de rue qui auraient peint des fresques murales représentant Volodymyr Zelensky en cannibale, sous-entendu : les manifestations spontanées hostiles au président ukrainien se multiplieraient dans les pays occidentaux, dont les dirigeants soutiennent pourtant en grande majorité Kiev.
Reposant sur un procédé classique de la désinformation à visée politique, ces narratifs cherchent ainsi à attiser les dissentions au sein des sociétés occidentales.
Les journalistes de vérification de l’AFP ont démystifié nombre de ces fausses affirmations.
Parmi elles, l’entreprise française Promovacances aurait lancé un jeu concours sordide impliquant les soldats ukrainiens morts au combat, un garde du corps du président ukrainien aurait déclenché une bagarre dans un bar à New York, un panneau publicitaire dans cette même ville aurait proclamé “Gloire à l’urine” au lieu de “Gloire à l’Ukraine” dans un lapsus ridiculisant la cause ukrainienne.
Tout comme ces images prétendant montrer Volodymyr Zelensky moulé dans une tenue à paillettes alors qu’il s’agissait d’un danseur argentin en costume de scène.
Souvent aussi, ces publications affirment que des grands médias occidentaux s’en sont fait l’écho, via des montages et fausses captures d’écran utilisant leurs logos et chartes graphiques.
Ainsi, l’hebdomadaire français Le Point aurait fait un article sur les peintures murales, le journal français Le Monde sur le jeu concours de Promovacances, le quotidien américain USA Today aurait raconté l’esclandre du garde du corps tandis que la chaîne américaine Fox News aurait diffusé les images du panneau “Gloire à l’urine”. Les médias ont démenti ces allégations.
“Cette approche, qui a déjà été utilisée par le passé, comme par exemple lors qu’on voulait faire croire de Zelensky était cocaïnomane, a été relancée”, souligne auprès de l’AFP David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS.
“Ce sont des choses qui s’inscrivent complètement dans la campagne Doppelgänger, qui veulent porter l’idée d’un lâchage de l’Ukraine par la société civile”, explique à l’AFP Alexandre Alaphilippe, directeur exécutif de l’organisation européenne de lutte contre la désinformation EU DisinfoLab.
L’opération Doppelgänger est une campagne de désinformation au long cours dénoncée notamment par le groupe Meta, propriétaire entre autre de Facebook et WhatsApp, et les autorités françaises, qui y voient l’action de groupes proches de la Russie. La campagne, qui court depuis 2022 et se poursuit, consiste notamment à usurper l’identité visuelle de certains grands médias pour distiller des fausses informations.
“Il y a une stratégie d’ensemble d’affaiblir le soutien extérieur à l’Ukraine” dans laquelle s’inscrivent ces tentatives, explique à l’AFP David Colon, professeur à Sciences Po Paris et auteur notamment de “La guerre de l’information” (éditions Taillandier).
Et ce phénomène survient alors que l’Ukraine est en train de se démener pour conserver le soutien occidental. “Nous avons besoin du soutien des dirigeants, voila pourquoi je suis là”, a déclaré M. Zelensky mercredi 11 octobre lors d’une visite surprise à l’Otan.
Il a affirmé à cette occasion avoir obtenu de l’administration Biden l’assurance que l’aide militaire à son pays restera “constante et ininterrompue”, alors que Kiev s’attend à une nouvelle campagne de bombardements russes cet hiver, comme expliqué dans cette dépêche de l’AFP (archive).
“Je suis reconnaissant à tous les partenaires pour leur volonté constante d’aider notre défense”, a-t-il poursuivi, évoquant des discussions sur le “renforcement de la défense aérienne et des moyens les plus importants sur la ligne de front”, dont l’artillerie et les missiles à longue portée.
L’Ukraine s’attend, comme à l’hiver 2022, à une nouvelle campagne de bombardements massifs russes sur ses infrastructures essentielles, qui avait plongé l’année dernière des millions de personnes dans le noir et le froid.
Alors que l’attention des Etats-Unis se fixe sur le conflit entre Israël et le Hamas palestinien, Kiev craint aussi une diminution de l’aide occidentale, cruciale pour son effort de guerre face à Moscou. Les pays de l’Otan ont assuré le 11 octobre qu’ils ne faibliraient pas dans ce soutien.
“Le Kremlin est en train de capitaliser sur la fatigue du conflit, l’apathie, mais aussi l’euroscepticisme et les craintes des sociétés d’Europe de l’Ouest et centrale”, explique à l’AFP Ruslan Trad, du laboratoire d’analyse numérique de l’Atlantic Council (DFRLab) qui relève qu’il y a depuis plusieurs mois “une augmentation visible de la propagande russe en Europe”, par rapport aux premiers mois de 2022 et les débuts de la guerre, quand “Moscou se préoccupait plus de l’Afrique”, un de ses terrain d’action prioritaire en matière de désinformation, selon chercheurs et services de renseignements.
David Colon relève aussi que le renseignement militaire ukrainien, le GUR a affirmé le 29 août que l’administration russe a tenu le 25 août une réunion de haut niveau sur “l’approbation de discours spécifiques qui devraient discréditer l’Ukraine et influencer ses partenaires dans le monde”.
Pour atteindre ses objectifs, “le Kremlin ne réinvente pas la roue”, souligne le Docteur Adam Lelonek, coordinateur régional pour l’Europe centrale et de l’Est du Beacon Project du centre de réflexion américain IRI, insistant sur les dynamiques nationales propres à chaque pays sur lesquelles joue la Russie pour tenter de saper le soutien à Kiev, mais aussi les sociétés elles-mêmes.
“La Russie est concentrée sur le temps long”, rappelle-t-il alors que Moscou est accusé de longue date d’oeuvrer à saper l’unité des sociétés occidentales, en interférant dans des élections par exemple.
“Elle tire profit de décennies d’activité informationnelle, qui ont préparé le terrain pour l’exploitation actuelle, facilité par les défis réels posés par la situation économique mondiale et la guerre en Ukraine. Elle capitalise sur la peur d’une potentielle escalade du conflit avec l’Otan ou une guerre nucléaire, et les craintes des gens pour leurs proches alimentées par les théories du complot qu’elle amplifie. Dans certains pays, comme la Slovaquie, cela a fonctionné”, souligne-t-il, alors que les dernières élections législatives fin septembre ont été remportées par un parti populiste opposé au soutien à l’Ukraine.
Les députés européens ont voté le 17 octobre 2023 en faveur d’un soutien à l’Ukraine à hauteur de 50 milliards d’euros sur quatre ans (2024-2027) pour la “reconstruction” et la “modernisation” du pays, dans le cadre d’une rallonge du budget pluriannuel de l’UE.