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Attention à ces publications affirmant à tort que les crèmes solaires provoqueraient le cancer de la peau

Attention à ces publications affirmant à tort que les crèmes solaires provoqueraient le cancer de la peau - Featured image

Author(s): Paula CABESCU / Gaëlle GEOFFROY / AFP Etats-Unis / AFP France / AFP Finlande / AFP Roumanie

Rester à l’ombre, se couvrir et, le cas échéant, utiliser de la crème solaire : dermatologues et autorités sanitaires soulignent l’importance de prendre de bonnes habitudes contre les effets néfastes des rayons ultraviolets (UV) du soleil, qui provoquent un vieillissement prématuré de l’épiderme voire des cancers de la peau. En plein été, des publications sur les réseaux sociaux affirment toutefois que des ingrédients chimiques des crèmes solaires provoquent eux-mêmes ces cancers. Pourtant, même si certaines substances présentes dans ces crèmes posent question, aucune preuve scientifique ne permet à ce jour de lier leur usage à des cancers de la peau et les crèmes solaires restent sûres et efficaces, soulignent des experts interrogés par l’AFP. Il est aussi scientifiquement établi qu’une surexposition au soleil peut provoquer des cancers de la peau et qu’il est crucial de s’en protéger par tous les moyens.

“La lumière du soleil augmente la production de vitamine D par votre corps, qui combat le cancer. Les crèmes solaires sont pleines de produits chimiques qui causent le cancer. Les crèmes solaires chimiques contiennent souvent des ingrédients comme l’oxybenzone ou l’octinoxate, qui sont des perturbateurs endocriniens”, assurent des publications sur Facebook et X en juillet 2024, en soulignant qu’“il est donc important de vérifier les étiquettes et d’éviter ces ingrédients”.

Beaucoup relaient un extrait non daté d’un programme de la chaîne américaine locale ABC 15 Arizona affirmant que selon “une nouvelle étude”, les produits chimiques dans les crèmes solaires pénètrent dans le sang après “seulement une journée” – le reportage cite ensuite l’avobenzone et l’oxybenzone lorsqu’ils sont “mélangés” avec l’octocrylène et l’ecamsule.

Capture d’écran, réalisée le 8 aoput 2024, d’une publication sur Facebook

Des publications évoquant les dangers supposés des crèmes solaires circulent dans plusieurs autres langues, en allemand, en roumain ou bien encore en finnois.

Mais elles sont, selon les versions, fausses ou trompeuses : les publications en français mésinterprètent l’étude citée par ABC 15 Arizona, une étude datant de 2019 qui d’ailleurs comportait elle-même des limites méthodologiques. Il n’existe aucune preuve scientifique d’une quelconque dangerosité des crèmes solaires pour la santé humaine, elles restent sûres et efficaces, et elles ne peuvent pas non plus être responsables de carences en vitamine D, ont expliqué des experts à l’AFP.

Bonnes habitudes à prendre

Alors que les thématiques de santé constituent un domaine de prédilection pour la désinformation, un sondage Ipsos réalisé en mars 2024 auprès de 1.021 personnes âgées d’au moins 18 ans montrait que parmi les moins de 35 ans, une personne sur sept considérait l’application quotidienne de crème solaire plus dangereuse qu’une exposition directe au soleil (archive).

Pourtant, bien au contraire, ces crèmes, qui absorbent, réfléchissent ou éparpillent les radiations des UV, jouent un rôle important dans la protection de la peau contre les dommages générés par les UV, rappellent dermatologues et autorités sanitaires. Quel que soit son âge, son sexe ou sa couleur de peau, elles sont à utiliser en complément des règles de base pour se protéger du soleil : limiter la durée d’exposition au soleil, sortir couvert, et rechercher l’ombre (archive).

Capture d’écran, réalisée le 2 août 2024, d’un visuel d’une campagne de prévention des dangers de la surexposition aux UV solaires menée par l’agence Santé publique France

Pour maximiser la protection contre les rayons UV, on peut donc utiliser des vêtements “en conjonction avec l’usage de la crème solaire pour la peau qui reste exposée”, par exemple celle du visage, des oreilles, de la nuque, des mains, des pieds, ont expliqué Anne Chapas et Pooja Rambhia, membres de l’Académie américaine de dermatologie, dans un email à l’AFP le 10 juillet 2024 (archives 1, 2).

Les cancers de la peau, notamment les kératoses solaires, sont en effet “le plus souvent localisés sur des parties du corps exposées au soleil : le visage, la tête, le cou, les oreilles et le dessus des mains”, écrit la dermatologue Ivana Dunić sur le site “We choose life” (“Nous choisissons la vie”) qui soutient les patients cancéreux (archives 12).

Triplement des nouveaux cas de cancers de la peau en France en 30 ans

“Les effets secondaires d’une exposition au soleil sans protection sont bien connus : coups de soleil, formation des rides, développement du cancer de la peau”, a rappelé Henry Lim, dermatologue et ex-président de l’Académie américaine de dermatologie, à l’AFP le 8 juillet 2024 (archive), en conseillant d’appliquer une crème solaire ayant un indice de protection d’au moins 30 sur toutes les parties du corps exposées au soleil.

Il est scientifiquement établi que “l’exposition au soleil est la cause principale des cancers de la peau”, dont les deux grands types sont les carcinomes, les plus fréquents, et les mélanomes, les plus graves du fait de leur fort potentiel métastasique, rappelle l’agence Santé publique France.

Origines et types de cancers de la peau – JOHN SAEKI, LAURENCE CHU / AFP

Plus d’1,5 million de nouveaux cas de cancers de la peau ont été diagnostiqués en 2022 dans le monde, selon les derniers chiffres de l’International Agency for research on cancer (IARC), dont environ 330.000 cas de mélanomes, et près de 60.000 morts (archive). Le seul mélanome représentait 4% des nouveaux cas de cancers diagnostiqués en 2020 dans l’Union européenne (archive).

En France, 17.922 nouveaux cas de mélanomes cutanés, soit environ 10% du total des cancers de la peau, ont été recensés en 2023 en France métropolitaine, selon l’Institut national du cancer, qui souligne que “le nombre de nouveaux cas de cancers de la peau a plus que triplé entre 1990 et 2023” (archive).

Consensus scientifique sur la sûreté des crèmes solaires

En complément de la nécessité de rester à l’ombre ou se couvrir, l’Institut national du cancer recommande d’appliquer sur sa peau toutes les deux heures, ou immédiatement après une baignade ou une séance de sport qui aurait fait transpirer, une crème solaire d’indice de protection (SPF, Sun protection factor) d’au moins 50 anti-UVB et anti-UVA (archive).

Il existe deux types de crèmes solaires : à filtres dits “organiques” ou “chimiques” d’une part ; à filtres dits “minéraux” ou “inorganiques” d’autre part. Les filtres organiques absorbent et neutralisent les rayons UV, tandis que les filtres minéraux, qui contiennent de l’oxyde de zinc et du dioxyde de titane, les deux seuls minéraux autorisés dans l’UE, réfléchissent les UV.

Ces dernières années, des substances chimiques comme l’oxybenzone et l’octinoxate – tous deux cités dans les publications sur les réseaux sociaux en français – ainsi que l’octocrylène, tous trois suspectés d’êtres des perturbateurs endocriniens, ont suscité des inquiétudes.

En Europe, “la Commission européenne a modifié les limites maximum de concentration du benzophénone-3 [c’est-à-dire l’oxybenzone, NDLR], de l’octocrylène, de l’homosalate et du 4-methylbenzylidène camphre, et a interdit le benzophénone. Ces modifications se fondent sur la classification du benzophénone comme cancérogène [par le Centre international de recherche sur le cancer – IARC – de l’Organisation mondiale de la santé – OMS, NDLR] et sur l’évaluation de l’innocuité des quatre autres substances réalisée par le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs [de l’UE, NDLR], a indiqué Johanna Bernsel, porte-parole de la Commission européenne, dans un email à l’AFP le 31 juillet 2024 (archive).

La surveillance se poursuit. Le Danemark est en train d’évaluer la perturbation endocrinienne potentiellement engendrée par l’oxybenzone, et l’Allemagne fait de même pour l’octinoxate, a indiqué l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) à l’AFP le 5 août 2024 (archives 1, 2).

Drapeaux européens devant la Commission européenne à Bruxelles le 16 juin 2022 – KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Reste que “même s’il y a des inquiétudes sur l’innocuité de certains ingrédients des crèmes solaires, les bénéfices qu’elles apportent dans la prévention des dommages liés aux UV sur la peau l’emportent sur ces risques potentiels”, assurent Anne Chapas et Pooja Rambhia, de l’Académie américaine de dermatologie (archives 1, 2). Et d’insister : le consensus scientifique, c’est-à-dire l’avis généralement admis dans la communauté scientifique après de multiples études, considère l’utilisation des crèmes solaires comme un moyen sûr et efficace de protection contre le cancer de la peau. 

“L’utilisation de la crème solaire doit être encouragée car nous savons que l’exposition aux UV sans protection peut causer le cancer, y compris des mélanomes”, a insisté Anthony Rossi, dermatologue au Memorial Sloan Kettering Cancer Center à New York, auprès de l’AFP le 9 juillet 2024 (archive).

Mauvaise interprétation d’une étude à la méthodologie et la portée limitées

Dans la séquence d’ABC 15 Arizona non datée relayée sur les réseaux sociaux, la journaliste mentionne une étude selon laquelle des substances présentes dans les crèmes solaires pénétreraient dans le sang. Elle date en fait de mai 2019, et ses résultats doivent être interprétés avec beaucoup de prudence étant donné les limites de sa méthodologie.

Cette étude préliminaire menée par des services de l’agence sanitaire américaine (Food and Drug administration, FDA) avait effectivement montré que certaines substances chimiques communément présentes dans les crèmes solaires pouvaient être retrouvées dans le sang à des niveaux supérieurs à ce qui était jusque-là estimé (archive). Si la FDA avait précisé que leur présence dans le sang ne démontrait pas leur dangerosité, l’étude avait toutefois suscité des appels à poursuivre les recherches pour tenter d’évaluer les éventuelles conséquences à long terme.

Cette étude consistait en l’application d’une quantité standardisée de crème solaire (2 mg/cm2 sur 75% de la surface du corps de 24 volontaires) quatre fois par jour pendant quatre jours et à mesurer quotidiennement les concentrations des substances dans le plasma. Or, non seulement “la plupart des gens n’appliquent pas de telles quantités sur une telle surface de leur corps”, mais l’étude, réalisée en intérieur, n’a pas pu prendre en compte la chaleur et l’humidité que l’on peut trouver en extérieur, soulignent les dermatologues Anne Chapas et Pooja Rambhia.

En janvier 2020, la FDA publiait donc une nouvelle étude tentant d’évaluer la manière dont ces produits chimiques se comportent dans l’organisme (archives 12). Elle montrait que les six substances actives évaluées passaient dans le sang, même après une seule utilisation, et qu’une fois absorbées, elles pouvaient y rester de manière prolongée. Mais la FDA avait alors bien précisé : ces conclusions n’indiquent en aucune façon que ces ingrédients seraient dangereux, ni que les consommateurs devraient s’abstenir d’utiliser de la crème solaire.

Les données actuelles étant insuffisantes, l’agence sanitaire américaine a demandé que des études soient réalisées sur 12 substances présentes dans les crèmes pour mieux comprendre leur absorption et leurs effets à long terme. En attendant, elle recommande de continuer à utiliser les crèmes en complément des autres mesures de protection face au soleil.

 

Capture d’écran, réalisée le 6 août 2024, de la page du site de la FDA recommandant d’utiliser de la crème solaire après l’étude de 2020

 

“Des données additionnelles sont nécessaires pour déterminer la signification de cette absorption” par le corps, mais il n’existe à ce jour aucune donnée montrant un danger pour la santé humaine”, soulignent les dermatologues Anne Chapas et Pooja Rambhia, de l’Académie américaine de dermatologie. Au contraire, “des données scientifiques solides démontrent que l’usage régulier de la crème solaire réduit le risque à la fois de mélanome et de cancers de la peau” (archive).

“Il faut noter que les crèmes solaires sont utilisées depuis la fin des années 1970 et qu’aucun effet indésirable interne n’a été prouvé”, abonde le dermatologue Henry Lim, ex-président de l’Académie américaine de dermatologie (archive).

“Même s’il existe des inquiétudes autour de l’innocuité de certains ingrédients, les bénéfices de l’utilisation de crèmes pour prévenir les dommages sur la peau provoqués par les UV et les cancers de la peau dépassent largement les risques potentiels, insistent les docteurs Chapas et Rambhia.

La vitamine D ne protège pas du soleil

Les publications en français sur les réseaux sociaux sous-entendent par ailleurs que la production de vitamine D par le corps protégerait naturellement des rayons du soleil, ce qui est faux.

“La vitamine D ne protège pas des effets néfastes du soleil, tels que le risque cancérogène sur la peau d’une exposition prolongée au soleil”, souligne l’Anses auprès de l’AFP. Sa fonction principale dans le corps humain est non pas de protéger des UV, mais d’“augmenter les concentrations de calcium et de phosphore dans le sang, ce qui permet une minéralisation optimale des tissus comme les os, le cartilage et les dents, une contraction musculaire efficace, une bonne transmission nerveuse et une coagulation adéquate”.

Sur la plage Victoria, à Cadix, le 26 janvier 2024, alors que les températures atteignaient 30°C en Espagne – CRISTINA QUICLER / AFP

D’autres publications assurent que les crèmes solaires seraient tout de même néfastes puisqu’en réduisant l’exposition aux rayons ultraviolets B (UVB) qui permettent la synthèse de la vitamine D par la peau, elles empêcheraient cette production de vitamine D.

Les crèmes solaires “réduisent effectivement la production endogène de vitamine D”, confirme l’Anses, mais une exposition solaire de seulement 15 à 20 minutes en fin de matinée ou dans l’après-midi assure un apport journalier suffisant en vitamine D“, précise l’agence française.

“Les études n’ont jamais montré que l’utilisation quotidienne d’un écran solaire entraîne une carence en vitamine D. En fait, les personnes qui utilisent quotidiennement un écran solaire peuvent maintenir leur taux de vitamine D”, écrit la dermatologue Anne Marie McNeill sur le site de la Skin Cancer Foundation (archive 1, 2).

Recettes maison risquées

Parce qu’ils n’en ont plus chez eux, ou parce qu’ils veulent savoir précisément ce qu’elle contient, certains internautes et usagers des réseaux sociaux préfèrent, eux, fabriquer leur propre crème solaire et partagent leurs recettes “maison” sur Facebook, Tiktok ou Instagram. En juin 2024, une vidéo de l’influenceuse Nara Smith a même recueilli quelque 20 millions de vues. Dans sa recette : de la noix de coco, du beurre de karité ou bien encore de l’oxyde de zinc.

D’autres utilisent de l’huile d’olive ou des carottes râpées, et certains affirment que l’efficacité de leur mélange est similaire en termes de protection solaire aux crèmes produites par des laboratoires et vendues dans le commerce.

Capture d’écran, réalisée le 5 août 2024, d’une publicatin sur Facebook

Du point de vue de la santé, utiliser une crème solaire “maison” est “effrayant”, a commenté Adam Friedman, professeur de dermatologie à l’école de médecine de l’Université George Washington, à Washington, le 12 juillet 2024 : “Au minimum, cela ne vous protégera pas du soleil et vous prendrez un coup de soleil. Et au pire, il y a des choses là-dedans qui pourraient être dangereuses” (archive).

L’Académie américaine de dermatologie a alerté en juillet 2024 sur le fait que “la plupart des crèmes solaires faites maison ne protègent pas du soleil de manière efficace, rendant les usagers vulnérables aux coups de soleil, à un vieillissement prématuré de la peau et au cancer de la peau” (archive).

Contrairement aux crèmes maison, “les crèmes vendues dans le commerce, parce qu’elles sont soumises à la réglementation, sont testées pour prouver qu’elles apportent la protection mentionnée, qu’elles résistent à l’eau, pendant combien de temps, et qu’elles sont stables”, a rappelé Megan Couvillion, dermatologue au Texas, dans un email à l’AFP le 10 juillet 2024 (archive).

Non testées, les recettes maison peuvent contenir des allergènes, dont certaines plantes, a remarqué Daniel Bennett, professeur de médecine spécialisé dans les pathologies de la peau à l’Université du Wisconsin, le 12 juillet 2024 : “Plus les gens mettent de choses dans un remède maison, plus ils risquent d’effets secondaires indésirables” (archive).

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.368423R.