Le gouvernement allemand a proposé de réviser une loi de 2021, qui avait durci les sanctions concernant la possession et la distribution de contenus pédopornographiques. Cette annonce a suscité des affirmations trompeuses sur les réseaux sociaux, selon lesquelles toutes les peines liées à la pédopornographie seraient – ou seraient sur le point d’être – réduites en Allemagne. C’est faux : les modifications proposées sont destinées à éviter que des personnes recueillant des preuves -parfois pour dénoncer des pédocriminels- soient inculpées automatiquement, ce qui est le cas avec la version actuelle du texte, selon le gouvernement fédéral et des représentants d’organisations de protection de l’enfance. La détention et la distribution de contenus pédopornographiques reste punie par la loi allemande.
“L’Allemagne dépénalise les délits de pédopornographie – Blackout des médias“, prétendent des publications Facebook partagées par des dizaines de comptes depuis le 9 février 2024, diffusant un article en anglais provenant du site “The People’s Voice“, qui a déjà été épinglé par plusieurs médias dont l’AFP, pour avoir véhiculé des assertions fausses ou infondées, notamment sur le Forum économique mondial qui aurait “demandé à légaliser la pédocriminalité“.
Dès novembre 2023, des rumeurs trompeuses semblables ont circulé sur les réseaux sociaux francophones : “tiens en Allemagne, ils veulent faire passer la pédopornographie pour un simple délit“, affirmait une publication sur X partagée plus de 1.100 fois depuis le 10 novembre 2023, diffusant une capture d’écran d’un article indiquant “Allemagne – les peines minimales pour la pédopornographie devraient à nouveau être réduites“, sous-entendant que la pédocriminalité de façon générale ne serait plus punie par des peines importantes en Allemagne.
Le même texte associé à la même capture d’écran a aussi été diffusé sur Facebook et sur Telegram (1, 2).
Des mêmes allégations trompeuses semblables ont circulé en serbe et en allemand, parfois indiquant, à tort, que la loi avait d’ores et déjà été votée en Allemagne.
Mais il s’agit d’une mauvaise interprétation d’une proposition de loi allemande, qui n’a pas encore été votée, et qui vise notamment à éviter d’inculper des personnes qui détiennent des contenus à caractère pédopornographique dans le but de les dénoncer, sans pour autant supprimer la peine maximale encourue pour la détention ou la diffusion de matériel pédopornographique.
La capture d’écran véhiculée dans certaines des publications correspond par ailleurs à une traduction automatique d’un extrait d’un article (lien archivé ici) média allemand Die Welt, publié le 10 novembre 2023.
Ce dernier mentionne une proposition de loi envisagée par le ministre de la Justice, qui demande que “les peines minimales” pour “diffusion, l’acquisition et la possession” de contenus pédopornographiques soient réduites, dans les cas où les détenteurs “veulent simplement attirer l’attention sur les abus“.
L’article indique par ailleurs que “les sanctions maximales ne devraient pas être modifiées“, ce qui n’est pas mentionné dans les textes des publications que nous examinons.
Une proposition de loi toujours à l’étude
En 2021, une loi sur la détention d’images à caractère pédopornographique avait été adoptée en Allemagne (l’article 184b du code pénal allemand relatif à la diffusion, à l’acquisition et à la possession de contenus pédopornographiques – lien archivé ici).
Il avait relevé les peines minimales et, en particulier, la peine encourue pour avoir “récupéré ou obtenu la possession de contenus pédopornographiques reproduisant un acte réel ou réaliste, ou [avoir] possédé de tels contenus“, qui peut aller d’un an à cinq ans.
Bien que cette loi vise à lutter contre les violences sexuelles à l’égard des enfants, elle avait été critiquée par certains spécialistes de la protection de l’enfance, des procureurs et des membres des forces de l’ordre, car elle avait conduit à l’ouverture automatique de procédures pénales à l’encontre de personnes qui n’avaient pas volontairement ou pour leur usage personnel été en possession de contenus à caractères pédopornographiques, comme le relatait cet article de janvier 2024 du média allemand Tagesschau (lien archivé ici).
La nouvelle proposition de loi (lien archivé ici) vise à éviter l’ouverture de procédures à l’encontre de telles personnes.
Conformément au processus législatif allemand (lien archivé ici), le gouvernement fédéral a d’abord déposé ce texte (lien archivé ici) pour obtenir l’opinion du Conseil fédéral (Bundesrat), le 9 février 2024.
Le Bundesrat a, à partir de cette date, six semaines pour rendre son opinion. Ensuite, le gouvernement peut répondre à ces commentaires, avant de présenter le projet de loi devant le Parlement (Bundestag).
Au 26 février, le site du Bundestag (lien archivé ici) indiquait que le Bundesrat n’avait pas encore discuté du projet de loi.
Limiter des poursuites pénales contre ceux qui dénoncent la pédopornographie
Comme l’indique le texte proposé par le ministère fédéral de la Justice allemand, la peine minimale d’un an de prison inscrite dans la loi actuellement en vigueur est “particulièrement discutable si la personne accusée n’a manifestement pas agi en raison de son propre intérêt sexuel pour les contenus pédopornographiques, mais [pour] empêcher ou clarifier toute diffusion ultérieure ou tout accès public à des contenus pédopornographiques“.
Le nouveau texte propose ainsi de clarifier ce point, et vise ainsi, selon le gouvernement fédéral, à “garantir qu’une réponse adaptée au crime et à la culpabilité soit à nouveau possible dans chaque cas individuel“.
Cette clarification fait suite aux critiques d’organisations telles que l’association des avocats allemands (lien archivé ici), l’association fédérale des avocats (lien archivé ici) et l’association allemande des tribunaux pour mineurs et de l’assistance aux tribunaux pour mineurs (lien archivé ici), est-il expliqué dans la proposition de loi.
Leontine Päßler, représentante de l’association pour l’autorégulation volontaire des services multimédias, organisme à but non lucratif qui “s’engage pour protéger les mineurs sur les médias en ligne“, a déploré auprès de l’AFP que la loi actuelle “a eu des conséquences indésirables” pour certaines personnes qui avaient voulu en réalité dénoncer la circulation de contenus pédopornographiques.
La loi de 2021 “signifiait que les procédures ne pouvaient pas être abandonnées, même dans les cas de personnes qui ne méritaient pas d’être sanctionnées. Cela a entraîné une augmentation des poursuites contre des personnes qui n’avaient manifestement pas agi par intérêt sexuel pour des contenus pédopornographiques. De tels cas se sont produits particulièrement fréquemment avec des parents et des enseignants, qui ont documenté ou partagé du matériel pédopornographique trouvé sur les appareils de leurs enfants ou de leurs élèves afin d’attirer l’attention sur la présence de ces contenus, de résoudre ou de prévenir des infractions pénales“, a-t-elle développé le 13 février 2024 auprès de l’AFP.
En août 2023, les médias allemands avaient par exemple rapporté le cas d’une enseignante qui avait téléchargé une vidéo qu’elle avait trouvée en circulation dans l’école avec l’intention d’alerter les parents de l’élève.
“Le ministère public est tenu d’enquêter sur cette femme et de l’inculper, même si les enquêteurs supposent que l’enseignante a agi avec les meilleures intentions du monde“, explique cet article de la SWR (archivé ici).
La proposition de loi cite également le cas d’une femme “sur le téléphone de laquelle se trouvait du matériel pédopornographique enregistré involontairement par téléchargement automatique“.
Par ailleurs, la proposition de loi ne suggère pas de modifier la peine maximale encourue pour détention ou diffusion de matériel pédopornographique, mais propose plutôt de ne pas traduire en justice une personne dont les autorités ne pensent pas qu’elle a agi avec une intention criminelle.
Le ministre fédéral de la Justice allemand, Marco Buschmann, a ainsi déclaré dans un communiqué de presse (archivé ici) annonçant l’approbation de la proposition de loi par le gouvernement fédéral le 7 février 2024, que “la diffusion de contenus pédopornographiques est une infraction grave. Elle peut être punie d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de prison. C’est juste et rien ne changera [avec la proposition de loi]“.
La sociologue Barbara Kavemann, chercheuse à l’institut de recherche en sciences sociales sur les questions de genre de Fribourg et membre de la Commission indépendante d’enquête sur les abus sexuels commis sur des enfants, a déclaré à l’AFP le 14 février 2024 que le changement prévu par la proposition de loi “vise à garantir que, par exemple, les parents qui trouvent du matériel pornographique sur les téléphones portables de leurs enfants et le transmettent à des centres d’aide et de conseil ou à la police ne puissent pas être poursuivis pour un crime. Il en va de même pour les enfants et les jeunes qui reçoivent du matériel pornographique“.
La distribution, l’acquisition et la possession de matériel pédopornographique “restent illégales et pourront faire l’objet de poursuites“, a également confirmé Leontine Päßler auprès de l’AFP.
“En modifiant la loi, les autorités allemandes auront, je l’espère, plus de moyens pour traiter les cas graves d’abus sexuels sur des enfants“, a-t-elle ajouté.
Affirmations erronées sur la France
Les théories complotistes prétendant que des “élites” entretiennent et protègent de vastes réseaux pédocriminels se déclinent sous de nombreuses formes, et sont régulièrement instrumentalisées, comme le détaillait déjà l’AFP dans cet article d’avril 2023.
Leur diffusion à de larges audiences alarme les associations de protection de l’enfance, car elle déforme la réalité de la pédocriminalité et dessert leur cause.
Le procédé est efficace : dénoncer la pédocriminalité ne peut que remporter l’adhésion et assurer une visibilité maximale en déclenchant à coup sûr l’indignation du public, notent les experts du complotisme, qui rappellent que taxer ses ennemis de dépravation est une technique de diabolisation qui remonte à loin.
L’article de “The People’s Voice” mentionne également plusieurs fausses affirmations anciennes qui ont déjà été vérifiées par des médias, notamment que les pays suivent un appel du Forum économique mondial à décriminaliser la pédophilie.
Des assertions en anglais et en serbe prétendaient aussi à tort que la France aurait elle aussi “dépénalisé les relations sexuelles avec des enfants“.
En 2018, la “loi Schiappa” avait été critiquée pour son manque de fermeté, mais de nouvelles législations ont été votées depuis.
Le texte de la “loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste” votée en 2021 indique qu'”aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans ou moins de 18 ans en cas d’inceste“.
Cette loi indique aussi que le viol sur mineur de moins de 15 ans est puni d’une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison.