Les émissions de gaz à effet de serre causées par les activités humaines sont responsables du réchauffement climatique actuel, comme établi par un consensus scientifique. Pourtant, des publications partagées massivement en octobre 2024 assurent que ce seraient plutôt les essais nucléaires réalisés au XXème siècle qui seraient la cause principale du réchauffement. Mais cet argument est trompeur. Si ces essais ont causé des dégâts environnementaux très importants, ils n’ont pas eu d’effet durable sur le climat, montrent les données connues à ce jour. Plusieurs scientifiques ont expliqué à l’AFP qu’à chaque seconde, c’est plusieurs fois l’équivalent en énergie (chaleur) de la puissance de la bombe atomique d’Hiroshima qui est piégé dans l’atmosphère, en raison de la quantité croissante de gaz à effet de serre.
“Plus de 1.000 essais thermonucléaires ont été effectués dans l’atmosphère depuis 1945. Bien sûr, aucun d’entre eux n’a causé le réchauffement climatique, mais votre poêle à bois est autre chose !“, assure la légende d’une publication Facebook partagée plus d’un millier et demi de fois depuis le 6 octobre.
Le même texte a aussi été relayé par des internautes basés au Québec et en Belgique sur Facebook et Instagram. Il a été partagé en de nombreuses langues comme le hongrois, l’allemand, le tchèque, le polonais, le croate ou encore le bulgare.
Ces affirmations tentent de minimiser -sur le ton de l’ironie- le réchauffement climatique en comparant des émissions d’énergie individuelles, celles d’un “poêle à bois“, à celles causées par les essais de bombes nucléaires réalisés au vingtième siècle.
Mais, comme l’ont expliqué plusieurs scientifiques auprès de l’AFP, l’argument est trompeur : le réchauffement climatique est bien causé par des émissions de gaz à effet de serre, dont le CO2, et non par des émissions directes d’énergie causées par des explosions. Et les explosions nucléaires n’émettent pas des gaz à effet de serre.
Par ailleurs, le surplus d’énergie piégé par les gaz à effet de serre dans l’atmosphère équivaut à plusieurs explosions nucléaires à chaque seconde.
En outre, les changements les plus importants dans le climat global sont survenus après l’interdiction planétaire des essais nucléaires en 1996.
Les essais nucléaires au XXème siècle
Pendant les premières décennies de la guerre froide, les puissances nucléaires ont procédé à de nombreux essais d’armes nucléaires des deux côtés du rideau de fer (lien archivé ici).
Selon l’ONU, entre le premier essai nucléaire en 1945 et “l’ouverture à la signature du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) en 1996, plus de 2.000 essais nucléaires ont été effectués dans le monde entier” (liens archivés ici et ici). Le TICE interdit toute explosion nucléaire, que ce soit à des fins militaires ou pacifiques. Depuis, dix essais nucléaires ont néanmoins été effectués, la plupart par la Corée du Nord.
Sur l’ensemble des essais, 25% ont eu lieu dans l’atmosphère, 75% sous terre et quelques essais ont été effectués sous l’eau, d’après le site de l’ONU.
Les essais atmosphériques et sous-marins étaient déjà interdits par le traité d’interdiction partielle des essais nucléaires de 1963 (lien archivé ici), principalement par crainte que des particules radioactives ne pénètrent dans l’atmosphère et ne retombent à la surface (appelées les “retombées“).
En octobre 2024, le prix Nobel de la paix a récompensé le groupe japonais Nihon Hidankyo, qui regroupe des survivants d’Hiroshima et Nagasaki aujourd’hui défenseurs d’un monde purgé de l’arme atomique, à un moment où des Etats comme la Russie menacent de briser ce tabou (lien archivé ici).
Le réchauffement climatique est causé par les gaz à effet de serre
Les émissions causées par la combustion de matières fossiles constituent la cause principale du réchauffement climatique : ce dernier n’est pas directement lié à l’énergie (la chaleur) libérée lors d’une combustion, mais par l’émission de gaz à effet de serre qui en résulte (lien archivé ici).
Le dernier rapport du Giec, publié en 2021, et considéré comme référence en matière de connaissances sur le climat, détaille la manière dont les différents gaz contribuent au processus de réchauffement, via lequel plus de chaleur provenant du soleil pénètre dans l’atmosphère terrestre que n’en sort (lien archivé ici).
Le Giec établit une “relation quasi linéaire” entre les émissions de CO2 et le réchauffement récent de la planète.
“Le réchauffement climatique est causé par l’émission de gaz à effet de serre comme le CO2, qui retiennent dans l’atmosphère terrestre la chaleur réfléchie par la surface de la Terre, l’empêchant ainsi de quitter l’atmosphère. Cela n’a rien à voir avec l’énergie elle-même émise par les poêles à bois, mais avec les gaz à effet de serre libérés lors de la combustion“, a expliqué le Dr Malte Göttsche, professeure de sciences naturelles et de recherche sur la paix au département de physique de l’université technique de Darmstadt, en Allemagne (lien archivé ici), le 14 octobre à l’AFP.
Or, ces émissions n’ont cessé d’augmenter au cours du siècle dernier.
Les explosions nucléaires ne libèrent pas de gaz à effet de serre
Les explosions nucléaires ont des effets néfastes sur l’environnement, mais elles ne provoquent pas le réchauffement de la planète, selon les scientifiques interrogés par l’AFP (lien archivé ici).
“Les nombreux essais d’armes nucléaires ont en effet causé des dommages environnementaux considérables. Certains endroits, comme les îles Marshall, sont toujours inhabitables en raison de la contamination radioactive de l’environnement […] Cependant, aucune émission de gaz à effet de serre liées au réchauffement du climat n’a résulté de ces essais“, a déclaré Malte Göttsche à l’AFP.
Mais la spécialiste a expliqué que si “des centaines d’armes nucléaires, voire plus, devaient être utilisées lors d’une future guerre et devaient exploser près de la surface de la Terre, de grands incendies se produiraient. En raison du déploiement de suie, la lumière du soleil atteindrait moins la surface de la Terre“.
Ce qui en résulterait serait donc, selon elle, un effet de refroidissement dont les conséquences pourraient être catastrophiques – et non d’un réchauffement.
Gerald Kirchner, le chef de département du Carl Friedrich von Weizsäcker Centre for Science and Peace Research de l’université de Hambourg, a souligné que les dates des essais nucléaires montrent également que ce sont les gaz à effet de serre, et non ces essais, qui sont à l’origine du changement climatique (lien archivé ici).
“En 1958 et 1961, il y a eu de nombreux essais. En 1963, un accord a été conclu entre les Etats-Unis et l’Union soviétique pour interdire les essais d’armes nucléaires. Cela signifie que ces essais ne pourraient en aucun cas expliquer le réchauffement massif de la Terre depuis les années 2000 et 2010. Celui-ci aurait dû être constaté dans les années 1970. C’est donc absolument clair : ces deux choses ne sont pas liées“, a détaillé l’expert à l’AFP le 15 octobre 2024.
Le physicien nucléaire Tonči Tadić, chercheur à l’institut croate Ruđer Bošković, a confirmé que les explosions nucléaires ne conduisaient pas au réchauffement climatique (lien archivé ici).
Il est également d’accord avec les deux chercheurs allemands pour que même une guerre nucléaire aurait en réalité plutôt tendance à avoir l’effet inverse : “l’effet est similaire à celui des éruptions volcaniques, qui émettent de la poussière dans la stratosphère. Une guerre nucléaire totale provoquerait donc un ‘hiver nucléaire'”, a-t-il déclaré à l’AFP le 15 octobre 2024.
Des échelles différentes
Diana Ürge-Vorsatz, chercheuse en climatologie et vice-présidente du Giec a elle aussi confirmé que c’est l’émission de gaz à effet de serre qui est à l’origine du changement climatique, et non l’énergie elle-même directement (lien archivé ici).
“Ce n’est pas la combustion elle-même qui réchauffe le climat, mais les gaz libérés lors de la combustion comme le dioxyde de carbone, qui piègent l’énergie solaire“, a déclaré la chercheuse à l’AFP le 15 octobre 2024.
La climatologue souligne aussi que le surplus d’énergie piégé dans l’atmosphère par les gaz à effet de serre provenant des activités humaines représente “des centaines de milliers de fois la quantité libérée lors des essais nucléaires” du XXème siècle, citant des données qui montrent qu’à chaque seconde, ce sont plusieurs fois l’équivalent en énergie (chaleur) de la puissance de la bombe atomique d’Hiroshima qui sont piégés dans l’atmosphère, en raison de la quantité croissante de gaz à effet de serre.
Dans un article publié en mai 2023, des scientifiques de l’université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie) indiquent que “l’effet des émissions de gaz à effet de serre de l’humanité pendant les 50 ans précédant l’année 2020 représente environ 25 milliards de fois l’énergie émise par la bombe nucléaire d’Hiroshima” (lien archivé ici).
John Cook, chercheur principal au Melbourne Centre for Behaviour Change, propose sur un site consacré à la sensibilisation aux questions liées au réchauffement climatique un compteur interactif qui indique la chaleur accumulée dans l’atmosphère depuis 1998 en équivalents de bombes nucléaires d’Hiroshima (lien archivé ici). Le compteur dépasse actuellement les 3,4 milliards.
Tonči Tadić a également mis en garde concernant la comparaison qui prend en compte des échelles totalement différentes, en notant que tenter de réchauffer la Terre avec des bombes nucléaires équivaudrait à “essayer de réchauffer un appartement avec des pétards“.
La combustion du bois, une problématique liée à la santé
Les publications trompeuses établissent un lien entre les poêles à bois et le changement climatique qui est également erroné.
La combustion de bois de chauffage entre dans la catégorie de ce qui est appelé de la bioénergie, tout comme de celles d’autres produits dont les biocarburants liquides ou les composants organiques des déchets solides municipaux. Nombre d’entre eux peuvent être utilisés pour produire de l’énergie (chaleur, électricité) et sont considérés comme renouvelables (lien archivé ici).
Diana Ürge-Vorsatz a expliqué que la biomasse (dont fait partie le bois de chauffage) n’a pratiquement pas d’empreinte carbone, car la quantité de dioxyde de carbone libérée lors de la combustion est la même que celle absorbée par la plante au cours de sa vie. S’il y a des émissions liées, elles proviennent principalement de processus connexes à la combustion elle-même, comme le transport.
Mais cela ne signifie pas que la combustion de la biomasse est inoffensive : “de façon générale, la biomasse peut être considérée comme neutre en carbone. Elle est extrêmement nocive, pas pour le réchauffement climatique, mais en termes de pollution de l’air. Malheureusement, la pollution de l’air est un problème très grave en Europe à l’heure actuelle, et la situation est encore pire en Europe centrale“, a précisé l’experte.
Elle a ajouté que les particules d’aérosols telles que la suie qui sont libérées dans l’atmosphère lors de la combustion de biomasse réfléchissent une partie du rayonnement solaire, de sorte que moins d’énergie est piégée, mais cet effet est négligeable par rapport au changement climatique global.
Selon l’Agence européenne pour l’environnement, “la pollution de l’air est un problème de santé majeur pour les Européens“, et “l’exposition à des concentrations de particules fines supérieures au niveau recommandé par l’Organisation mondiale de la santé pour 2021 a entraîné 238.000 décès prématurés dans l’UE-27” (lien archivé ici).
Selon un rapport de l’OMS de 2015, “le chauffage résidentiel au bois et au charbon est une source importante de pollution de l’air ambiant (extérieur)” (lien archivé ici).
L’AFP a vérifié de nombreuses intox concernant le changement climatique, notamment de fausses affirmations sur le rôle du soleil, des interprétations trompeuses d’images satellite ou encore des propos erronés assurant que “plus de CO2, c’est bon pour la planète“. Tous nos articles de vérification sur le climat sont disponibles ici.