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Ce sondage sur le “droit des militaires israéliens à violer les prisonniers palestiniens” est faux

Ce sondage sur le "droit des militaires israéliens à violer les prisonniers palestiniens" est faux - Featured image

Author(s): Romane Bonnemé et Grégoire Ryckmans

Plusieurs internautes partagent l’image d’un sondage diffusé à la télévision israélienne. Ce sondage indique que 47% des Israéliens sont en faveur du droit des militaires à violer des Palestiniens, alors que 43% d’entre eux seraient opposés. Ce visuel est faux. Il s’agit d’une reprise d’un sondage de 2022 sur une autre thématique. L’intitulé de celui-ci a été modifié à l’aide d’un outil de retouche d’image.

Le 7 août, le compte “Eye on Palestine” publie un tweet en anglais qui indique :”La chaîne israélienne Channel 12 a posé une question dans le cadre d’un sondage d’opinion : êtes-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle un soldat est autorisé à violer un prisonnier qui a les mains liées ? 47% Oui ; 43% Non”.

Le visuel qui accompagne le texte est une capture d’écran de l’image d’un plateau télévisé avec un homme qui présente un sondage. Le texte est en hébreu, cependant les chiffres “47%” et “43%” sont représentés par des jauges et apparaissent clairement. Au moment de publier cet article, la publication a été vue plus de 119.000 fois.

Un tweet avec le même contenu, traduit en français, a été publié le lendemain et a accumulé près de 380.000 vues.

Sur Instagram également, plusieurs “reels” reprennent ce sondage, comme cette vidéo d’une internaute francophone qui a fait près de 20.000 vues.

Un même visuel avec un contexte légèrement différent

Dans les heures qui ont suivi, plusieurs autres comptes X ont repris le même visuel et les mêmes chiffres, comme ici. Dans les légendes, l’interprétation de la question du sondage varie parfois. Certains indiquent qu’il s’agirait du “droit à violer les Palestiniens” (lien archivé), et non pas des prisonniers palestiniens.

Dans cette publication en français, un autre utilisateur de X indique, avec les mêmes chiffres à l’appui que la question du sondage est : “Êtes-vous d’accord pour qu’un soldat soit autorisé à violer une Palestinienne ?”.

De nombreuses publications supprimées et des tweets parfois “contextualisés”

Depuis le 7 août, un grand nombre des publications sur X qui réutilisaient le sondage et sa légende modifiée ont été supprimés par leurs auteurs (exemple).

C’est notamment le cas d’un retweet de Rashida Tlaib, représentante démocrate au Congrès des États-Unis.

Par ailleurs, parmi les publications toujours en ligne, certaines contiennent actuellement un “contexte”, c’est-à-dire un outil de modération collective mis en place par X. Ces “notes de la communauté” offrent la possibilité aux internautes de “rédiger une note contenant des informations supplémentaires, afin de fournir à la communauté un contexte public sur un post qu’ils jugent trompeur”, lit-on sur le service client de “X”.

Celle-ci indique en anglais que “l’image a été digitalement altérée”, avec une courte explication et des liens.

Une photo manipulée d’un sondage de 2022

En effet, l’image originale de cette photo truquée remonte à mai 2022. Mais d’où provient la photo d’origine ?

Le 25 mai 2022, l’analyste politique Amit Segal présente les résultats d’un sondage sur la chaîne de télévision israélienne Channel 12 News. Ce sondage, commandé par la chaîne via l’institut Midgam, porte sur cette question : “Êtes-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle le gouvernement s’appuie sur des partisans du terrorisme ?”. Les résultats affichent les chiffres suivants : 47% des sondés avaient répondu par l’affirmative, tandis que 43% avaient répondu par la négative.

© Capture d’écran X

 

“Êtes-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle le gouvernement s’appuie sur les partisans du terrorisme ?”, en hébreu dans le sondage original de Channel 12 (à gauche). “Êtes-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle un soldat est autorisé à violer un terroriste ?”, dans une version altérée de l’image publiée sur les réseaux sociaux (à droite).

La Liste arabe unie dans le viseur de Nétanyahou en 2022

Ce sondage original avait été fortement critiqué au moment de sa publication, il y a plus de deux ans, lit-on dans cet article du journal israélien Haaretz, “car il faisait écho à la fausse campagne du chef de l’opposition de l’époque, Benjamin Netanyahu, contre la Liste arabe unie, qui soutenait le soi-disant gouvernement de changement de Bennet et Lapid”.

Quelques éléments de contexte : le gouvernement israélien d’alors, formé par le leader nationaliste Naftali Bennett et le centriste Yaïr Lapid, était au bord de l’implosion. Selon Le Monde, c’était pourtant “une coalition unique dans l’histoire d’Israël regroupant des partis de droite, de centre, de gauche et, pour la première fois, une formation arabe, afin de mettre un terme au règne de Benyamin Nétanyahou à la tête du gouvernement, qui a tenu douze ans sans discontinuer les rênes du pouvoir.”

Ce dernier, alors leader de l’opposition, concentrait ses critiques autour de la politique de Bennet et Lapid à l’égard des Palestiniens de la bande de Gaza et de Cisjordanie mais aussi de la liste arabe unie (Ra’am), une alliance politique de quatre des partis politiques à majorité arabe en Israël.

Le média I24News soulignait à l’époque que, depuis la formation du gouvernement Bennett/Lapid en juin 2021, Benyamin Netanyahou et son parti, le Likoud, “se sont élevés contre l’inclusion de Ra’am au sein de la coalition, affirmant que celle-ci s’appuyait sur le soutien des “partisans du terrorisme””.

En décembre 2021, le Likoud aurait également “tenté de présenter Abbas [le chef du Ra’am, N.D.L.R] comme étant de mèche avec le groupe terroriste Hamas”, lit-on dans le Times of Israel.

Benyamin Nétanyahou redeviendra Premier ministre en novembre 2022, notamment suite à l’implosion de la coalition Bennett/Lapid, et le retour de la liste unie dans l’opposition.

Quelques jours après la diffusion de ce sondage en mai 2022, plusieurs voix estimaient que la question posée de cette manière venait “renforcer la campagne de délégitimation et d’incitation contre les élus arabes et contre tous les électeurs arabes”, mettant en lumière la “longue campagne menée par Benjamin Netanyahu et le Likoud pour nuire au pouvoir politique de la société arabe après la montée de la liste commune”, écrivait par exemple ce journaliste israélien.

La chaîne avait ensuite présenté ses excuses en précisant, lit-on dans cet avis du médiateur israélien, que “la nature des sondages et leur objectif est d’examiner l’attitude du public à l’égard des revendications et des positions entendues dans l’espace du discours. Il est impossible d’ignorer l’affirmation entendue par les partis d’opposition selon laquelle le gouvernement actuel s’appuie sur ce que l’opposition appelle les factions arabes ‘soutenant le terrorisme'”.

Elle avait aussi admis qu’elle aurait pu affiner la formulation de la question : “Il est entendu que présenter des choses aux personnes interrogées dans le cadre de l’enquête ne signifie pas exprimer une position ou soutenir une affirmation”.

Un faux sondage qui arrive dans un contexte d’accusation d’agressions sexuelles

Ce faux sondage qui circule en ligne depuis ce début du mois d’août 2024 arrive dans le cadre de la guerre Israël-Gaza.

Lors de l’attaque du 7 octobre 2023 sur Israël, l’enquête menée par Human Rights Watch a recensé “un grand nombre de crimes de guerre” commis par “la branche militaire du Hamas et au moins quatre autres groupes armés palestiniens à l’encontre de civils israéliens”, notamment “des crimes impliquant des violences sexuelles”.

Le 29 juillet, neuf soldats israéliens ont été interpellés pour des mauvais traitements présumés sur un détenu de Gaza. Parmi ces mauvais traitements présumés, il y a des accusations de violences sexuelles à l’encontre d’un détenu palestinien.

Pour autant, ce sondage concernant le droit des soldats israéliens à violer des (prisonniers) Palestiniens ou des Palestiniennes n’a jamais existé. La publication est fausse.