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Cette vidéo ne prouve pas que le masque peut provoquer une grave hypoxie ou une intoxication au CO2

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Author(s): Marie Genries, AFP Belgique

Une vidéo partagée plusieurs centaines de fois en janvier 2022 assure, expérience à l’appui, que le masque provoquerait un grave manque d’oxygène et une concentration en CO2 pouvant mener à la mort. On y voit une femme placer sous le masque d’une petite fille un appareil de mesure du CO2, qui affiche rapidement des valeurs très élevées. Selon l’auteure de la vidéo, cela prouve que le port du masque peut entraîner une intoxication au CO2, un grave manque d’oxygène et des lésions irréversibles au cerveau. En réalité cette expérience ne prouve rien, ce capteur n’étant pas destiné à être utilisé de cette façon. Comme l’ont expliqué plusieurs médecins à l’AFP depuis le début de la pandémie, bien porté, le masque ne présente pas de risque particulier.

“Test de qualité de l’air sous le masque, fait en direct avec cette petite fille”, écrit cette internaute, qui partage une vidéo de 4 minutes 30, relayée près de 350 fois depuis le 11 janvier. On y voit une petite fille enfiler un masque puis une femme, dont on ne voit jamais le visage, placer un capteur de CO2 sous le masque de l’enfant et commenter les chiffres indiqués par l’appareil, qui augmentent très rapidement.

“Là on est à 4 000, après 3 minutes… 5 500… Au-dessus de 5 000, il faut savoir que ça correspond à un air extrêmement pollué, avec un grave risque d’hypoxie, des lésions au cerveau irréversibles sur le long terme, coma jusqu’à la mort”, commente ainsi l’auteure de la vidéo, à 3 minutes. L’appareil finit par afficher 10 000 ppm, sa valeur maximum. “On voulait juste faire cette petite expérience (…) pour faire comprendre facilement, mieux que des mots, les dangers du masque”, conclut-elle.

La vidéo a été partagée par la militante Chloé Frammery, connue en Suisse pour ses positions anti-mesures sanitaires. Elle évoque dans sa publication l‘obligation du port du masque à l’école dès la 5e primaire – c’est-à-dire pour des enfants d’environ 8 ans et plus -, entrée en vigueur mi-janvier en Suisse.

Capture d’écran réalisée le 21/01/2022 sur Facebook

A la fin de la vidéo, la femme montre un document imprimé, issu selon elle de la notice du fabricant, sur lequel apparaissent plusieurs valeurs de concentration en dioxyde de carbone et leurs conséquences supposées pour la santé. A une concentration supérieure à 5 000 ppm, l’air est considéré comme “extrêmement pollué” et peut provoquer une “grave hypoxie” – un dangereux manque d’oxygène – et des “lésions (au) cerveau irréversibles à long terme”, voire un “coma”, selon ce document.

Capture d’écran de la vidéo virale; réalisée sur Facebook le 21/01/2022

En réalité, cette expérience est trompeuse et ne prouve pas que le masque met en danger les enfants, ont expliqué plusieurs spécialistes et médecins à l’AFP.

De plus, le CO2 rejeté dans l’air expiré ne reste pas coincé dans le masque, qui n’est pas hermétique, comme l’ont rappelé de nombreux médecins à plusieurs reprises depuis le début de la pandémie.

Plusieurs expériences similaires à celle montrée dans cette vidéo ont circulé ces deux dernières années et ont été vérifiées par l’AFP, ici ou encore ici en allemand, par exemple.

Comment s’utilisent les capteurs de CO2

Les capteurs de CO2 servent à mesurer la concentration de dioxyde de carbone dans une pièce. Ils évaluent la qualité de l’air en “ppm”, ou “partie par millions“: 400 ppm signifie qu’il y a 400 molécules polluées sur 1 million de molécules d’air.

Dans le contexte de la pandémie, ces capteurs permettent d’évaluer la qualité de l’air, afin de limiter la transmission du Covid-19 par aérosol. Ils sont désormais utilisés dans de nombreux lieux fermés et notamment dans les écoles en France et en Belgique et dans certains cantons suisses.

En Suisse, un projet pilote, publié par les chercheurs du laboratoire fédéral d’essai des matériaux et recherches (EMPA) en décembre 2021 a montré que, dans les écoles “à haut risque” de contaminations, la concentration en CO2 dépassait souvent 3 000 ppm.

En Belgique, la Task force “ventilation”, chargée d’établir des recommandations pour la ventilation et la qualité de l’air intérieur, estime qu’une pièce est suffisamment ventilée si la concentration en CO2 y est inférieure à 900 ppm.

Pour une utilisation correcte, les capteurs de CO2 doivent être placés loin des aérations (portes, fenêtres ou ventilation) et des personnes. Ainsi, ce document de la Task force ventilation, qui détaille l’utilisation de ces appareils, enjoint: “n’expirez pas à proximité du capteur” – ce que fait pourtant la petite fille dans la vidéo que nous vérifions.

L’AFP a interrogé le directeur technique de l’entreprise belge Insens, qui vend des capteurs de CO2. “Il faut savoir qu’un humain expire un air qui contient entre 4% et 5% de CO2, c’est-à-dire 40 000 à 50 000 ppm”, a indiqué Nicolas Verbeek – bien plus, donc, que la valeur maximum du capteur utilisé dans cette vidéo. “Si une personne expire de l’air directement sur le capteur CO2, la concentration va rapidement monter à de très hautes valeurs de CO2, jusqu’à la saturation complète du capteur, traditionnellement autour de 10 000 ppm. D’où le fait que le capteur affiche cette valeur en fin de la vidéo”, a-t-il expliqué à l’AFP le 19 janvier 2022.

“En réalité, le taux de CO2 pourrait être encore plus élevé. Il est donc primordial de ne pas expirer directement sur le capteur, sinon la mesure ne reflète pas la valeur de CO2 réellement présente à l’intérieur du masque mais se rapproche de la valeur de CO2 expiré par la personne (c’est-à-dire jusqu’à 50 000 ppm)”, a-t-il poursuivi.

“L’expérience faite dans la vidéo donnerait probablement un résultat similaire sans masque”, a ajouté Nicolas Verbeek.

L’AFP n’a pas réussi à retrouver le mode d’emploi du détecteur utilisé dans cette vidéo. Toutefois, à titre d’exemple, la notice de cet autre détecteur de dioxyde de carbone conseille également d’éviter “de respirer en direction de la sonde car cela modifie la concentration de CO2 et perturbe les relevés”.

De la même manière, interrogé au sujet d’une vidéo comparable qui circulait en Allemagne à l’automne 2020, Heinz-Jörn Moriske, responsable de l’hygiène de l’air intérieur à l’Agence fédérale allemande pour l’environnement, avait expliqué à l’AFP que cette technique de mesure n’était pas adaptée.

L’AFP a aussi soumis cette vidéo à Ivan Lunati, un des auteurs de l’étude suisse citée plus haut, qui démontre un lien entre la qualité de l’air dans une salle de classe et le nombre de contaminations au Covid-19.

“Je ne donne aucune valeur scientifique à cette vidéo”, a déclaré à l’AFP Ivan Lunati, interrogé le 24 janvier 2022. “Elle montre la concentration de CO2 au moment où la personne expire et non la concentration dans l’air qu’elle inspire. Une personne expire un air avec une concentration d’environ 40 000 ppm. Un peu de cet air peut s’accumuler dans le masque, mais en inspirant, on va diluer cet air avec l’air ambiant et la concentration de CO2 sera donc bien moindre”, a expliqué le chercheur du laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche.

La concentration en CO2 dans les masques a notamment été mesurée dans une étude revue par des pairs – c’est-à-dire soumise à des scientifiques indépendants, voire ici comment s’y retrouver – parue en octobre 2020 dans la revue Aerosol and Air Quality Research (AAQR).

Les auteurs de cette étude portant sur les masques chirurgicaux, en tissu et les masques KN95 (l’équivalent américain des masques FFP2), qui avaient pris soin de ne pas placer leur tube de prélèvement “directement dans le flux d’air expiré“, ont conclu que la concentration de dioxyde de carbone présente dans les masques n’a “aucun effet toxicologique”, mais que certaines concentrations pouvaient éventuellement “provoquer des symptômes indésirables, tels que la fatigue, les maux de tête et la perte de concentration”.

 

Collège Françoise-Giroud à Vincennes, à l’est de Paris, le 1er septembre 2020, le jour de la rentrée scolaire. ( AFP / Martin BUREAU)

 

Quant à une éventuelle hypoxie provoquée par le masque, on ne “la mesure pas de cette manière”, a expliqué le 21 janvier 2022 à l’AFP Yves Coppieters, médecin épidémiologiste et professeur de santé publique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB): pour évaluer un potentiel manque d’oxygène chez une personne, il faut utiliser “un saturomètre digital, qu’on met au doigt avec des embouts pédiatriques. Et là, on peut mesurer la saturation en oxygène du sang”, a déclaré Yves Coppieters, indiquant que ces appareils sont notamment utilisés chez les patients hospitalisés à cause du covid.

Cette procédure est décrite dans ce document de la Haute autorité de santé française, dans lequel il est indiqué que “la mesure de la saturation pulsée en oxygène (SpO2) au doigt fait partie de l’évaluation médicale du patient” hospitalisé pour Covid-19. Ce type d’appareil, qui se place au bout du doigt du patient, n’est pas le même que celui utilisé dans la vidéo que nous vérifions.

Attention cependant: même avec ces saturomètres, le test doit être réalisé par un médecin et ne doit faire l’objet d’interprétations hâtives, comme expliqué dans ce précédent article de vérification, dans lequel les mesures indiquées par un appareil similaire étaient mal interprétées.

Les masques laissent passer oxygène et CO2

Par ailleurs, le dioxyde de carbone expiré par la petite fille dans cette vidéo ne reste pas coincé dans son masque, ne risquant donc pas de provoquer une intoxication, comme l’expliquait déjà Yves Coppieters en juillet 2020: “Le masque peut éventuellement gêner la respiration d’une personne avec des problèmes cardiaques ou respiratoires, ou en cas de grand effort physique comme un jogging, parce que la ventilation est plus faible. Il peut aussi y avoir une sensation d’inconfort qui provoque une impression d’étouffer, mais c’est psychologique. Dans le cas d’une personne en bonne santé, il n’empêche pas du tout d’effectuer des activités quotidiennes normalement. Le masque n’est pas un circuit clos, il laisse passer l’oxygène, avait-il déclaré.

Le 21 janvier 2022, Yves Coppieters a de nouveau expliqué que “les masques qu’on utilise laissent facilement passer les molécules d’oxygène et de CO2. Porter un masque peut potentiellement accélérer le rythme respiratoire et entraîner une diminution de la capacité respiratoire qui peu être un peu altérée, mais cela n’a aucune répercussion sur l’organisme”. “Je pense que cette expérience n’est ni pertinente, ni interprétative”, a estimé l’infectiologue.

Le masque, destiné à protéger les autres de la projection de gouttelettes et aérosols contaminés, laisse en revanche passer l’air expiré très facilement, ont confirmé plusieurs médecins interrogés par l’AFP depuis le début de la pandémie. Ainsi, en juillet 2020, le directeur du programme des maladies pulmonaires de l’hôpital public de Toronto et enseignant Shane Shapera expliquait que “presque tout l’air expiré s’échappe du masque donc vous ne respirez pas votre propre CO2”. En septembre de la même année, Nathan Clumeck, membre de l’Académie royale de médecine de Belgique et spécialiste des maladies infectieuses, confirmait que “le CO2 est un gaz très volatil qui passe très facilement à travers le masque”.

Dans sa rubrique “En finir avec les idées reçues” disponible sur son site, l’OMS écrit que “l’utilisation prolongée de masques médicaux peut être inconfortable, mais elle n’entraîne ni intoxication au CO2 ni manque d’oxygène”.

Dans un document publié en juillet 2021, les autorités de santé publique de l’Ontario, au Canada, expliquaient qu‘”aucune donnée n’indique que le port du masque chez les enfants entraîne des effets physiologiques néfastes cliniquement significatifs”. Cependant, “les conclusions relatives aux effets néfastes du port du masque sur la santé respiratoire et psychologique des enfants sont variables”, rappelaient-ils, recommandant de “nouvelles études pour évaluer les effets potentiellement néfastes du port du masque chez les enfants, surtout les effets d’une utilisation à long terme”.

Si pour le moment les masques ne paraissent pas mettre particulièrement en danger la santé des enfants, certains spécialistes s’interrogent en revanche sur de potentielles conséquences psychologiques.

Dans une FAQ (Foire aux questions) mise à jour en juillet 2020, l’OMS recommande de ne pas obliger les enfants de moins de 5 ans à porter un masque. Aux Etats-Unis, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) recommandent le port du masque à partir de 2 ans.

En France et en Belgique, le port du masque est désormais obligatoire dès 6 ans dans certains lieux clos.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.9WM66N.