Des vidéos virales sur Instagram ciblent la Belgique et son taux d’imposition. Un internaute y affirme que les résidents belges doivent payer “la moitié de leurs revenus au gouvernement”, voire 70% dans une publication antérieure. Si le taux de taxation globale sur le travail en Belgique fait bien partie des plus élevés dans le monde (autour des 50%), il s’agit de l’ensemble des charges qui pèsent sur l’employé mais aussi sur l’employeur. À titre individuel, l’impôt sur les personnes physiques (IPP) est progressif en Belgique avec quatre tranches : de 25 à 50% pour la plus élevée. Cette dernière ne concerne que les revenus supérieurs à 48.320 euros, en 2024.
Sur Instagram, un internaute affirme dans une vidéo en anglais que les travailleurs en Belgique sont trop imposés et qu’ils devraient quitter le pays. Le compte Instagram qui diffuse ce “reel” est actif sous le nom “lowertax” (des taxes moins élevées, en français) et a publié des dizaines de vidéos, ciblant des pays spécifiques pour faire la promotion de Chypre et de ses avantages fiscaux.
“Belgique, je suis désolé pour vous. Vous avez le taux d’imposition le plus élevé d’Europe et peut-être même dans le monde entier. Tout habitant dans ce pays doit être volontairement dément. Comment pouvez-vous abandonner 70% de votre argent durement gagné ? Vous feriez mieux de quitter ce pays aussi vite que possible”, indique un internaute dans une publication datée du 17 novembre 2023 qui a fait plus de 450.000 “vues”.
Plus récemment, dans cette autre vidéo virale qui comptabilise plus de 460.000 “vues”, ce même “instagrameur” affirme : “Si vous vivez toujours en Belgique, vous devez absolument quitter le pays tant que c’est encore possible. Le pays est littéralement le pays avec le taux de taxation le plus élevé au monde. Vous devez retourner la moitié de vos revenus durement gagnés au gouvernement. Quel type de personne accepte simplement les choses en l’état ?”.
Dans la suite de cette vidéo publiée le 19 mars 2024, l’internaute fait également l’éloge du régime de taxation chypriote : “Ici à Chypre, il y a 0% de taxe sur les dividendes, 0% de taxe sur les revenus du capital et l’impôt des sociétés est faible, à hauteur de 2,5%”.
Confusion entre les différentes formes d’imposition
Tout d’abord, ces déclarations sur le taux d’imposition en Belgique ne sont pas claires.
L’internaute évoque dans un premier temps “les revenus durement gagnés”, ce qui fait référence aux revenus liés au travail, les revenus professionnels.
Comme indiqué dans un précédent article de Faky, la Belgique est bien en tête d’un classement publié par l’OCDE en 2022. Dans cette étude, l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) a comparé le “coin fiscal” sur le salaire dans 38 pays européens et non européens. Le “coin fiscal” sur le travail est défini comme “la somme des impôts sur le travail acquittés par les salariés et par les employeurs, minorée des prestations familiales, exprimé en pourcentage du coût du travail pour l’employeur”, indique l’organisation.
Selon l’OCDE, la Belgique a le “coin fiscal” le plus élevé parmi tous les pays de l’OCDE pour un salarié célibataire au salaire moyen, avec 53% du coût de la main-d’œuvre qui part en cotisations et impôts. Ceci veut dire que pour ce profil, 47% de ce que débourse l’employeur arrive finalement en revenu net chez le travailleur. Le prélèvement global en taxes est donc de 53%.
La première affirmation de l’internaute est donc plutôt correcte lorsqu’il indique que la Belgique est “le pays avec le taux de taxation le plus élevé au monde”, s’il se réfère à la taxation globale sur le travail. Cependant, il s’agit dans les chiffres de l’OCDE du montant des charges cumulées de l’employeur et de l’employé : cotisations sociales et impôts sur le revenu.
Pour ce qui est du travailleur et de ses “revenus durement gagnés”, la Belgique fonctionne avec un système de taux d’imposition progressifs, ce qui signifie qu’il évolue au fur et à mesure que les revenus augmentent. Il y a donc une confusion.
Seule la tranche la plus élevée de l’impôt des personnes physiques s’établit à 50%
Dans ce système belge d’impôt sur les personnes physiques qui touche le revenu global des habitants de Belgique, notamment les revenus professionnels, il y a quatre “tranches”. Pour les revenus des résidents belges pour l’année 2023 et 2024, il s’établit comme suit :
Tranche de revenus (exercice 2024, revenus 2023) | Taux d’imposition | Tranche de revenus (exercice 2025, revenus 2024) | |
---|---|---|---|
Tranche 1 | De 0,01 euro à 15.200 euros | 25% | De 0,01 euro à 15.820 euros |
Tranche 2 | De 15.200 euro à 26.830 euros | 40% | De 15.820 euro à 27.920 euros |
Tranche 3 | De 26.830 euro à 46.440 euros | 45% | De 27.920 euro à 48.320 euros |
Tranche 4 | Plus de 46.440 euros | 50% | Plus de 48.320 euros |
(Source : SPF Finances, 30 mars 2024)
Par ailleurs, même si un travailleur atteint le plafond de revenus de 48.320 euros bruts en 2024, cela ne veut pas dire que l’ensemble de ces revenus seront taxés à 50%. En effet, il paiera 25% pour les premiers 15.820 euros payés et paiera donc le taux d’imposition ad hoc pour chaque tranche d’imposition suivante (40%, 45% et ensuite 50%).
Ensuite, cet “impôt de base” sera diminué d’une “quotité exemptée” qui s’élève à 10.570 euros pour les revenus de 2024. En fonction de son statut (s’il a des enfants à charge, par exemple), le résident belge peut obtenir une majoration de cette quotité exemptée d’impôts.
Compte tenu de ces éléments, il est impossible qu’un résident soit taxé en Belgique à un taux global sur les revenus de son travail à 70%, ni à 50%.
Une comparaison des taux globaux d’imposition par pays est complexe
Pour revenir au “taux de taxation le plus élevé au monde”, la comparaison des taux d’imposition globaux par pays est un exercice difficile et quelque peu subjectif, car les régimes fiscaux sont complexes dans la plupart des pays du monde.
En fonction de chaque État, la charge fiscale globale est répartie différemment et sur différents groupes de personnes. C’est parfois le cas, même au sein des propres régions de ces États, comme en Belgique.
Par ailleurs, les impôts peuvent prendre différentes formes : impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu des particuliers ou taxe sur les ventes, comme la TVA, par exemple. Cette TVA a parfois elle-même des taux qui varient. En Belgique, par exemple, ils oscillent entre 0% à 21%, selon les services.
Il existe également, selon les pays, des impôts sur le capital comme : les taxes sur les plus-values, l’impôt sur la fortune ou les droits de successions, dont les modalités varient également d’un État à l’autre.
Enfin, les taux d’impositions sont également à mettre en rapport avec les “services reçus par l’État” en retour, comme la qualité de la sécurité sociale ou de l’enseignement public.
De la promotion pour une société de conseils sur la fiscalité chypriote
Derrière ces vidéos Instagram, les liens redirigent les internautes vers une société qui fait la promotion du régime fiscal de Chypre et dont le slogan est “moins de taxes, plus de richesse pour tout le monde”. La société propose des formations ou des conférences en ligne payantes afin d’attirer de potentiels investisseurs.
Ce qu’elle ne mentionne pas c’est que Chypre, membre de l’Union européenne depuis 2004, fait l’objet d’enquêtes de journalistes sur “les dérives du modèle économique de l’île”, comme l’indiquait Le Monde en novembre 2023.
A travers notamment le consortium ICIJ (qui rassemble 69 médias), les enquêteurs ont établi comment le pays a accordé la citoyenneté chypriote – et donc européenne – à 2869 ressortissants russes et comment ce programme a permis à Chypre “d’attirer sept milliards de dollars dans l’île, gonflant ainsi les dépôts des grandes banques chypriotes”. Nos confrères de France Info, ont également détaillé la façon dont le pays “a servi de coffre-fort à la Russie, même après le début de la guerre en Ukraine”.
Des chiffres trompeurs
Concernant les taux d’imposition de 70% ou 50% en Belgique sur les revenus, avancés dans les deux vidéos Instagram, ils sont largement exagérés.
Si notre pays fait bien partie des pays qui ont le “coin fiscal” le plus élevé du monde avec un taux autour des 50%, celui-ci ne représente pas que les “revenus durement gagnés”, mais aussi les charges payées par l’employeur.
Pour les personnes physiques, seule la partie des montants annuels qui dépasse 46.640 euros en 2023 (48.320 euros pour les revenus de 2024) est imposée à 50%. Ces publications sont donc trompeuses.