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La pollution de l’air engendre-t-elle 7000 décès prématurés en Belgique chaque année ?

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Author(s): Grégoire Ryckmans

Alain Maron a affirmé à plusieurs reprises ces derniers jours, dans le débat sur le maintien du calendrier de la LEZ bruxelloise, que la pollution de l’air est responsable de 7000 décès prématurés en Belgique par an. Le ministre bruxellois de l’Environnement (Ecolo) base ces déclarations sur des chiffres tirés d’un rapport annuel de l’Agence Européenne de l’Environnement (AEE). Si la somme des décès attribuables à la présence dans l’air de particules fines, de dioxyde d’azote et à l’ozone répertoriés dans ce rapport de 2023 fait bien 6810, soit près de 7000, la terminologie utilisée a évolué. Par ailleurs, l’AEE précise que les différentes valeurs sont des estimations qui se basent sur des analyses statistiques et que ces valeurs ne doivent pas être additionnées car elles se recoupent potentiellement.

Dans plusieurs articles de presse publiés ces derniers jours (1234), ainsi que sur le réseau social « X », le ministre bruxellois en charge de la Transition climatique, de l’Environnement, de l’Énergie et de la Propreté publique, Alain Maron (Ecolo) a affirmé : « En Belgique, la qualité de l’air est à l’origine de 7000 décès prématurés/an. »

Ces chiffres ont été avancés par le ministre dans le débat qui entoure la zone de basses émissions à Bruxelles (LEZ), après la demande de Touring (l’organisation de défense des usagers de la route) de reporter le calendrier de mise en place des interdictions des véhicules diesel Euro 5 dans la capitale, au 1er janvier 2025. Dans la foulée, le PS, partenaire d’Ecolo dans la majorité bruxelloise, a également plaidé pour un moratoire.

Interrogée sur la source de ces « 7000 décès prématurés/an » avancés par le ministre écologiste, l’équipe d’Alain Maron nous a indiqué qu’ils provenaient de l’Agence européenne de l’Environnement (AEE).

Qu’indique le dernier rapport de l’Agence européenne de l’Environnement ?

Sur son site internet, nous avons retrouvé le dernier rapport en date de l’Agence européenne de l’Environnement (AEE) sur la qualité de l’air en Europe. Il s’agit de celui de l’année 2023. Chaque année, l’AEE répertorie et analyse des données liées à la qualité de l’air dans les différents pays européens, dont les membres de l’Union européenne. Toutes les informations de l’AEE que nous avons référencées dans cet article sont en anglais.

Parmi les données présentées, une page est dédiée à l’impact de la pollution de l’air sur la santé et, sur celle-ci, un lien redirige vers une page reprenant une estimation du nombre de ‘décès attribuables’ à la qualité de l’air, pays par pays. Dans le détail, le tableau expose le nombre de « décès attribuables », liés à la présence de particules fines (PM 2,5) de dioxyde d’azote (NO2) et à l’ozone (03) dans l’air pour chaque pays observé, pour l’année 2021.

Pour la Belgique, le décompte recense les « décès attribuables estimés » de la manière suivant : 5100 sont liés aux émissions de particules fines, 1400 aux émissions de dioxyde d’azote et 310 aux émissions d’ozone.

L’addition de ces différents chiffres fait un total de 6810 « décès attribuables » à la pollution de l’air. Par rapport aux « 7000 décès prématurés par an », annoncés par M. Maron, la somme des chiffres a été arrondie mais se trouve dans le bon ordre de grandeur.

 

Cependant, d’une part la terminologie utilisée par l’AEE concernant ces « décès prématurés » a évolué, d’autre part ces chiffres sont construits à partir de calculs statistiques et l’AEE indique qu’ils ne « devraient pas être additionnés ».

Une nouvelle terminologie pour mieux comprendre comment interpréter les chiffres

Le terme « décès prématuré » est défini par l’AEE comme « les décès qui surviennent avant qu’une personne n’atteigne l’âge prévu. Cet âge attendu est généralement l’espérance de vie d’un pays, stratifiée par sexe et par âge. » Par exemple, l’espérance de vie d’une femme en Belgique était de 83,8 ans en 2022.

Si dans le passé, l’AEE reprenait dans ses rapports ce terme de « décès prématuré » (comme dans le rapport de 2022), la terminologie a évolué dans le dernier rapport de 2023, pour plus de précision.

L’AEE indique : « […] Tout décès est prématuré, en ce sens qu’il reste toujours une espérance de vie pour tous les âges. Par conséquent, lorsque l’on utilise l’approche de la charge de morbidité environnementale (ndlr : qui estime la part de la charge de morbidité attribuée à l’exposition à la pollution atmosphérique) il est plus correct d’utiliser le terme « décès attribuable ».

Ces « décès attribuables » sont définis par l’AEE comme « des décès statistiquement attribuables à l’exposition à un facteur de risque, (par exemple la pollution de l’air). L’attribution est basée sur la preuve du lien de causalité entre un facteur de risque et un résultat sanitaire conduisant au décès. Les décès attribuables sont considérés comme évitables si leur cause peut être éliminée. »

Néanmoins, l’agence européenne a décidé de conserver l’utilisation du terme « décès prématurés » pour « rester en relation » (ndlr : pour garder le terme utilisé dans le texte officiel européen) avec l’objectif politique fixé dans le plan d’action « Zéro Pollution » de l’UE, dont l’un des objectifs est de réduire de 55% le nombre de décès prématurés causés par la pollution de l’air à l’horizon 2030.

Le lien entre la pollution et les décès de l’AEE suit des recommandations de l’OMS

Dans son document, l’AEE indique suivre les lignes directrices de l’OMS sur la qualité de l’air pour 2021 pour publier ses chiffres. Ces « guidelines » définissent l’impact des taux de polluants dans l’air et leur impact étudiés sur la santé.

Elle précise aussi : « Il est important de noter que les décès attribuables présentés […] ne tiennent pas compte des éventuels décès supplémentaires causés par l’exposition à des concentrations de PM2,5 et de NO2 inférieures aux niveaux indicatifs de l’OMS pour 2021 ». Elle explique que « les preuves scientifiques des effets (ndlr : des polluants dans l’air) sont moins certaines pour les expositions inférieures aux niveaux indicatifs de l’OMS que pour les effets sur la santé supérieurs à ces niveaux ».

Faute de certaines données scientifiques suffisantes, certains risques ne sont donc pas pris en compte. Dès lors, les chiffres des « décès attribuables » pourraient être supérieurs à ceux publiés par l’agence.

Comment est fait le calcul ?

Interrogé sur la façon dont le rapport fait le lien entre les différents types de pollution atmosphérique et les décès, le service presse de l’AEE estime que c’est « un peu technique » et nous renvoie à la section « méthodologie » du rapport qui aborde les « fonctions concentration-réponse ».

Sur cette page, l’Agence Européenne de l’Environnement indique : « Les fonctions concentration-réponse sont utilisées pour attribuer un risque sanitaire à l’exposition à la pollution atmosphérique. Ces fonctions sont basées sur des études épidémiologiques et estiment l’augmentation du risque par unité de concentration d’un certain polluant atmosphérique ».

Nos confrères de la VRT ont interrogé Brecht Deleeschauwer, épidémiologiste pour Sciensano. Il explique comment ces estimations sont réalisées : « Les chiffres sont calculés au niveau d’une population entière, et non d’un seul individu. On ne peut donc pas dire que le décès du cancer du poumon d’une personne donnée est dû à la pollution atmosphérique ».

Toutefois, les scientifiques peuvent établir un lien entre les décès et la pollution atmosphérique au moyen d’associations statistiques. La pollution de l’air par les particules est associée à un certain nombre de maladies, comme le cancer du poumon. Cependant, tous les cas de cancer du poumon ne peuvent pas être directement attribués à cette pollution atmosphérique. Le tabagisme, par exemple, en est également une cause majeure.

Si un scientifique sait combien de personnes meurent chaque année d’un cancer du poumon, il peut établir un lien avec les concentrations de particules mesurées cette année-là. Il est donc possible d’effectuer une analyse statistique pour déterminer combien de ces décès peuvent être liés à ces émissions.

Pas d’addition des chiffres car il existe un risque de double comptage

Le rapport de l’AEE pointe également le fait que les chiffres de décès attribuables ne doivent pas être additionnés parce qu’ils peuvent montrer une certaine corrélation, particulièrement pour les émissions de particules fines et de dioxyde d’azote. En d’autres termes, un « décès attribuable » pourrait être comptabilisé deux fois.

Dans son communiqué de presse publié en lien avec le dernier rapport de 2023, l’AEE mentionne clairement : « Comme les années précédentes, les effets sur la santé des différents polluants atmosphériques ne doivent pas être additionnés, afin d’éviter les doubles comptages dus à certains chevauchements de données. C’est le cas pour la mortalité et les maladies. »

Brecht Devleesschauwer confirme également qu’il ne faut pas faire l’addition de ces décès à cause du risque de dédoublement de comptage : « Ces chiffres conviennent surtout pour comparer différentes causes de décès entre elles ou pour étudier les évolutions au fil des ans », précise l’épidémiologiste de Sciensano.

En faisant l’addition des trois chiffres des décès attribuables aux particules fines (PM 2,5) de dioxyde d’azote (NO2) et à l’ozone (03), M. Maron ne prend pas en compte la remarque méthodologique de l’agence qui a rédigé le rapport sur lequel il se base.

Conclusion

Si les chiffres annoncés par le ministre Maron manquent de contexte, il est pour autant actuellement impossible à ce stade de faire un décompte précis des décès attribuables à la pollution atmosphérique en Belgique.

Selon les différents éléments précisés dans les chiffres et notes méthodologiques de l’AEE, le chiffre avancé par le ministre bruxellois manque de précision par rapport au fait qu’un « décès attribuables » à l’un des polluants de l’air pris en compte pourrait être compté deux fois. Par contre, selon les chiffres officiels il y a bien des milliers de décès en Belgique liés à la pollution atmosphérique et les chiffres se rapprochent des chiffres officiels, son affirmation est donc plutôt vraie.