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Non, cette image ne montre pas un “billet de banque de Palestine en 1929”

Non, cette image ne montre pas un "billet de banque de Palestine en 1929" - Featured image

Author(s): AFP France

La guerre entre le Hamas et Israël a fait des milliers de victimes civiles depuis l’attaque contre Israël lancée par le Hamas le 7 octobre 2023 et les représailles israéliennes à Gaza. Dans ce contexte, des internautes ont partagé, ces dernières semaines, l’image d’un billet de banque censé dater de 1929, à l’époque où la Palestine était sous mandat britannique, en soulignant qu’il comportait du texte en “hébreu“. Ils y voient la preuve de l’existence de l’Etat d’Israël avant sa création en mai 1948. Mais cette affirmation est fausse : cette coupure n’a pas été mise en circulation avant août 1948, donc postérieurement à la création du pays, comme l’ont expliqué plusieurs experts à l’AFP. Elle comportait en outre, au verso, du texte en arabe.  

Un billet de banque de Palestine en 1929 ! Message à tous ceux qui pensent qu’Israël a été créé après la Shoah en prenant la terre des Arabes en Palestine. Ca devrait vous interpeller (c’est écrit en hébreu pour ceux qui n’auraient pas remarqué)” : sur Facebook (1, 2, 3), dans des publications partagées en février et mars 2024, alors que la guerre entre Israël et le Hamas déclenchée le 7 octobre 2023 par une attaque sans précédent du Hamas fait rage depuis plus de quatre mois, des internautes partagent l’image d’un billet de banque censé avoir circulé en Palestine dès 1929.

Soit dix-neuf ans avant la création de l’Etat d’Israël, le 14 mai 1948 (lien archivé).

Capture d’écran réalisée sur Facebook le 8 mars 2024.

Comme l’indiquent ces internautes, on distingue, sur cette coupure, des mots rédigés en hébreu. Ceux-ci indiquent sa valeur et le nom de l’émetteur du billet, deux éléments également inscrits en anglais sur cette coupure : “One Palestine Pound” (soit “une livre de Palestine”) et “The Anglo-Palestine Bank Limited“.

L’allégation n’est pas nouvelle : elle circulait déjà en français sur Facebook en 2022, ainsi qu’en anglais et en portugais à l’automne 2023 – et également sur X (ex-Twitter), en anglais, à la même période.

Mais elle est inexacte, comme l’ont expliqué plusieurs experts à l’AFP: ce billet n’existait pas en 1929, à l’époque où la Palestine était encore sous mandat britannique, conformément au statut politique du pays proposé par la Société des Nations en 1920. 

Ce billet ne circulait pas en 1929 […] Il s’agit d’une des coupures mises en place par l’Anglo-Palestine Bank“, qui ont commencé à circuler en Israël en “août 1948“, soit après la proclamation de l’Etat d’Israël, a indiqué à l’AFP, le 8 mars 2024, Paul Wilson (lien archivé), auteur du livre “Shades of Sovereignty : Money and the Making of the State” (non traduit, Rowman & Littlefield Publishers, 2021).

Howard M. Berlin (lien archivé), auteur du livre “The Coins and Banknotes of Palestine Under the British Mandate, 1927-1947” (non traduit, McFarland, 2001 ; 2005), a également expliqué le même jour à l’AFP qu’il “n’est pas possible” qu’un tel billet ait circulé en 1929.

En outre, les inscriptions en hébreu figurant sur cette coupure n’ont pas de signification historique particulière, puisqu’elle comportait également, au verso, les mêmes mentions en arabe, comme on peut le voir sur la capture d’écran ci-dessous, tirée de la page du site (lien archivé) de la Banque d’Israël consacrée à cette série de billets distribués par l’Anglo-Palestine Bank.

Capture d’écran réalisée sur le site de la Bank Leumi, le 11 mars 2024.

Ces coupures mises en circulation à l’été 1948 par l’Anglo-Palestine Bank, pour l’Etat d’Israël proclamé depuis quelques mois, ont en fait succédé à un précédent type de livre de Palestine, qui émanait d’un organisme différent : la Caisse d’émission (“Currency board”) de la Palestine sous mandat britannique.

Dès 1926, des billets trilingues

Jointe par l’AFP le 8 mars 2024, Sreemati Mitter (lien archivé), chargée de recherche à l’Ecole d’économie de Toulouse, au sein de l’université Toulouse Capitole, et autrice d’une thèse à Harvard intitulée “L’histoire de l’argent en Palestine” (2014) rappelle que “les autorités britanniques ont émis une monnaie appelée ‘livre de Palestine‘”, qui était “la devise officielle de la Palestine mandataire, entre 1927 et 1948.

La spécialiste détaille : “Le mandat britannique pour la Palestine était en vigueur de 1920 à 1948 et la Grande-Bretagne, en tant qu’administrateur colonial de la Palestine mandataire, en a distribué la monnaie et instauré – comme dans ses autres colonies – une Caisse d’émission pour assurer la gestion de ces réserves.

Cette Caisse d’émission installée à Londres, où elle a été créée en 1926, a commencé à émettre des livres de Palestine en 1927. On en trouve aujourd’hui des visuels sur le site de The Holy Land Mint (lien archivé), un ancien organisme gouvernemental israélien (privatisé en 2008) chargé de commémorer les événements marquants de l’histoire d’Israël.

Comme on peut le voir sur sa page consacrée à la livre palestinienne (lien archivé) émise par la Caisse d’émission de la Palestine sous mandat britannique (et sur la capture d’écran ci-dessous), ces billets comportaient en évidence, en anglais, la mention “Palestine Currency Board”, ainsi que du texte en hébreu et en arabe.

Capture d’écran réalisée sur le site The Holy Land Mint, le 11 mars 2024.

Ainsi que l’a rappelé Howard M. Berlin, cette obligation de trilinguisme était prévue par l’article 22 du Mandat pour la Palestine (lien archivé) de la Société des Nations, qui disposait : “L’anglais, l’arabe et l’hébreu seront les langues officielles de la Palestine. Toutes indications ou inscriptions arabes sur les timbres ou la monnaie figureront également en hébreu et réciproquement.

Par respect des trois religions pratiquées dans le pays, ces billets étaient décorés avec des symboles et des sites emblématiques pour les juifs, les chrétiens et les musulmans : le tombeau de Rachel, le dôme du Rocher et la Tour blanche de Ramla“, détaille en outre The Holy Land Mint, tout en précisant que le verso du billet était illustré de la Citadelle de Jérusalem, un symbole de la ville commun aux “trois religions“.

Surtout, le site précise que “ces billets sont restés en circulation jusqu’au 18 août 1948, quand ils ont cédé la place à la monnaie de l’Anglo-Palestine Bank“, y compris, donc, au fameux billet d’une livre de Palestine présenté à tort, sur les réseaux sociaux, comme datant de 1929.

De la “livre de Palestine” du mandat britannique à la “livre de Palestine” de l’Etat d’Israël 

De nombreux obstacles pratiques et politiques ont toutefois dû être surmontés avant que cette nouvelle monnaie ne puisse remplacer la précédente, rappelle Paul Wilson.

L’Anglo-Palestine Bank, fondée en 1902” à Londres, a ainsi été chargée, quelques mois avant la fin du mandat britannique, “de commander de la monnaie vouée à remplacer la livre de Palestine du mandat britannique.

Or, comme l’explique la Banque d’Israël sur son site (lien archivé), “étant donné que le nom [du] nouvel Etat [Israël] n’avait pas encore été décidé, la question s’est posée de savoir ce qui serait imprimé sur les billets.

Les coupures ne pouvaient pas être imprimées dans ce pays, car le mandat britannique n’avait pas encore expiré, et parce que le savoir technique requis pour ce faire était manquant. Il était aussi clair qu’aucune entreprise étrangère digne de ce nom n’imprimerait la monnaie d’un Etat [encore] non existant. Au terme d’efforts considérables, S. Hoofien, le président du Conseil de l’Anglo-Palestine Bank à l’époque, a convaincu [l’imprimeur] American Banknote Company, à New York, d’imprimer les billets“, détaille encore l’institution bancaire.

C’est également ce qu’explique la banque Leumi – anciennement l’Anglo-Palestine Bank (lien archivé), renommée Leumi dans les années 1950 – sur son site (lien archivé) : “Malgré la proclamation de l’Etat d’Israël, [en] mai 1948, la monnaie du mandat britannique était toujours utilisée” : “L’Anglo-Palestine Bank a reçu pour mission d’établir le système monétaire de ce nouvel Etat. La demande d’impression de cette monnaie s’est faite aux Etats-Unis, tandis qu’on constituait simultanément un stock de billets d’urgence à Tel-Aviv.

C’est ce qui explique, comme on peut le voir sur la capture d’écran ci-dessous, que ces billets, commandés avant la proclamation de l’Etat d’Israël, gardent l’appellation de “livre de Palestine” en vigueur sous le mandat britannique et qu’ils ne mentionnent pas le nom “Israël”.

Au moment où les billets ont été commandés, personne ne connaissait encore le nom du futur nouvel Etat et encore moins celui de sa devise. D’où la décision d’imprimer le nom de ‘livre de Palestine‘ sur les coupures, en référence à la devise du mandat [britannique]”, explique la Banque d’Israël sur son site à propos de ces billets comportant, comme leurs prédécesseurs, du texte en hébreu, en arabe et en anglais.

L’Anglo-Palestine Bank existait dès 1902, mais elle n’a pas distribué de billets de banque avant 1948 ! De 1927 à la création de l’Etat d’Israël, en mai 1948, les seules coupures […] autorisées étaient celles distribuées par la Palestine Currency Board [Caisse d’émission de Palestine]”, résume Howard M. Berlin.

Une livraison “secrète” en Israël en août 1948 

L’Agence télégraphique juive, une agence de presse internationale visant à informer les communautés juives à travers le monde, s’était fait l’écho de la mise en place de cette nouvelle devise, comme en attestent ses archives d’époque, consultables en ligne.

Dans une dépêche du 6 août 1948 (lien archivé), elle rapportait ainsi avoir appris le jour même que le gouvernement israélien a décidé “de distribuer sa propre monnaie, en remplacement de l’actuelle livre de Palestine émise par le Royaume-Uni“.

Cette devise nouvellement imprimée est déjà arrivée en Israël. Elle a été gravée aux États-Unis il y a plus de quatre mois, soit un mois avant que les Britanniques ne renoncent au mandat sur la Palestine […]” et elle “a été livrée à l’État juif sous haute surveillance et dans les conditions les plus secrètes“, poursuivait l’Agence télégraphique juive, tout en précisant que cette monnaie compterait des billets d’une demi-livre, d’une livre, de cinq, dix et cinquante livres.

Le 17 août 1948 (lien archivé), l’agence de presse rapporte cette fois que cette nouvelle monnaie doit entrer en circulation le lendemain et détaille : “La population juive disposera d’un délai d’un mois pour échanger ses livres de Palestine émises par la Grande-Bretagne. Après le 15 septembre, seule la monnaie israélienne circulera dans le pays. Les anciens billets de Palestine seront considérés comme des devises étrangères après cette date.

Enfin, comme le souligne Howard M. Berlin, l’Anglo-Palestine Bank est devenue la banque Leumi (“Banque nationale”) en s’installant à Tel-Aviv et a émis, en 1952, une nouvelle devise, la livre israélienne, qui a remplacé la livre de Palestine en juin 1952 – et qui est restée en circulation jusqu’en 1980, date à laquelle la livre israélienne a été remplacée par le shekel.

Israël est en état de guerre avec les pays arabes voisins depuis sa création (lien archivé), qu’ils ont contestée en l’attaquant militairement, lors de la première guerre israélo-arabe, achevée en mars 1949 par une victoire israélienne.

La deuxième guerre israélo-arabe, en 1956, s’est cristallisée autour de la crise du canal de Suez, nationalisé par l’Egypte, et a donné lieu à une intervention militaire israélienne, soutenue par la France et la Grande-Bretagne, contre l’Egypte, pour reprendre le contrôle de ce point stratégique.

Quelque temps après la création, en 1964, de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), prônant la lutte armée contre Israël, la troisième guerre israélo-arabe ou guerre des Six-Jours, en juin 1967, a vu Israël, en réaction à un blocus égyptien, envahir la Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-Est, le Sinaï égyptien et le Golan syrien.

Le conflit israélo-palestinien perdure, émaillé d’affrontements meurtriers.

Et le 7 octobre  2023, une attaque sans précédent menée par des commandos du Hamas infiltrés depuis Gaza dans le sud d’Israël, qui a fait au moins 1.160 morts, la plupart des civils, selon un décompte de l’AFP établi à partir de sources officielles israéliennes.

En représailles, Israël a promis d’anéantir le mouvement islamiste, au pouvoir à Gaza depuis 2007, qu’il considère comme une organisation terroriste de même que les Etats-Unis et l’Union européenne. Son armée a lancé une offensive qui a fait jusqu’à présent près de 32.000 morts dans la bande de Gaza, en majorité des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas. Sur environ 250 personnes enlevées le 7 octobre, 130 se trouvent encore à Gaza, dont 32 seraient mortes, selon Israël.

En dépit de nouvelles discussions début mars 2024 au Caire, les Etats-Unis, le Qatar et l’Egypte, les trois pays médiateurs, ne sont pas parvenus à arracher un accord de trêve accompagné d’une libération des otages retenus à Gaza.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.34L34NR.