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Saler ses pâtes à la cuisson est-il nocif pour la santé ?

Saler ses pâtes à la cuisson est-il nocif pour la santé ? - Featured image

Author(s): Grégoire Ryckmans

Sur Instagram, un internaute a publié une vidéo dans laquelle il met en garde ses abonnés sur le danger de cuire des pâtes dans de l’eau salée, à l’aide de sel iodé. Pour appuyer ses propos, il cite une étude scientifique. Si cette étude américaine a bien mis en évidence la création de substances potentiellement toxiques pour les consommateurs lors de la cuisson de pâtes avec du sel iodé et de l’eau désinfectée avec de la chloramine, il existe des moyens pour éviter la production de ces substances génotoxiques. Par ailleurs, si l’usage de la chloramine est courant aux États-Unis, ce produit issu de la réaction entre le chlore et l’ammoniac n’est pas utilisé dans de nombreux pays européens, comme la Belgique, pour désinfecter l’eau courante. Dès lors, les risques pour la santé des consommateurs belges sont limités, en absence d’études spécifiques complémentaires indiquant le contraire.

Une vidéo publiée par “clem_le_diet” ou “Clément diététicien” a recueilli plus de 1,7 million de vues sur Instagram et plus de 39.000 “J’aime” depuis sa publication le 8 novembre dernier. Dans ce “réel”, l’instagrameur alerte sur les dangers potentiels de cuire des pâtes avec de l’eau du robinet et du sel iodé.

“Tu cuis tes pâtes avec de l’eau du robinet, alors écoute bien. Si tu ajoutes du sel iodé pendant la cuisson, l’iode peut réagir avec la chloramine présente dans l’eau et former des sous-produits de désinfection toxiques. Pour éviter ça, ajoute le sel après avoir égoutté tes pâtes”.

L’instagrameur écrit dans la description de la vidéo : “Surprenant mais pas inquiétant !”. Il ajoute également des recommandations :

“Pour éviter cela, tu peux :
* Ajouter du sel après la cuisson
* Cuire sans couvercle
* Utiliser de l’eau provenant d’une autre source
* pour la cuisson. Remplacer le sel iodé par du sel sans iode, ça permet de garder les propriétés du sel dans l’eau (goût, effet sur l’amidon…)
* Bien rincer les pâtes après cuisson”

Il conclut la description de son “réel” par “Vraiment pas de quoi s’inquiéter et se prendre la tête”. Il cite enfin une étude scientifique “Overlooked Iodo-Disinfection Byproduct Formation When Cooking Pasta with Iodized Table Salt”.

Une étude publiée en février 2023 reprise dans la presse

Contacté par la rédaction de Faky, l’instagrameur au plus de 50.000 abonnés explique qu’il a “trouvé cette étude surprenante mais pas inquiétante à la vue des données disponibles pour le moment“. Il ajoute : “On ne sait pas l’impact sur l’humain de ces sous-produits car il n’y a pas d’études in vivo dans ce contexte“.

L’étude à laquelle l’internaute fait allusion est un article scientifique publié le 20 février 2023 intitulé “Formation négligée de sous-produits de désinfection iodés lors de la cuisson de pâtes avec du sel de table iodé“.

Cette étude a été évoquée dans différents articles en ligne en français (ici, ou ici) au début du mois de mars 2023. Un article du site “Medisite”, “un site de santé qui donne des conseils au quotidien pour préserver sa santé“, est titré : “Saler ses pâtes à la cuisson est une très mauvaise idée”. Des articles sur le même sujet sont publiés dans d’autres langues comme l’anglais (ici). Ces articles mettent, eux aussi, en évidence les dangers potentiels de l’utilisation de sel de cuisine lors de la cuisson des pâtes et citent la même étude.

Que dit l’étude des chercheurs de l’université de Caroline du Sud ?

Le résumé de cette publication scientifique “Formation sous-estimée de sous-produits de désinfection iodés (I-DBP en anglais) lors de la cuisson de pâtes avec du sel de table iodé” menée par des chercheurs de l’université de Caroline du Sud est accessible en ligne (en anglais). Elle détaille les observations de l’équipe scientifique et la création de ces I-DBP, potentiellement toxiques, quand on cuit des pâtes avec de l’eau de robinet et du sel iodé. En voici la traduction (ici), réalisée à l’aide de l’outil de traduction automatique en ligne Deepl.

Une étude surtout pertinente pour les États-Unis, selon le toxicologue Alfred Bernard (UCLouvain)

L’équipe de Faky a pris connaissance de la version complète de l’étude et a demandé au toxicologue Alfred Bernard de l’analyser pour nous.

Les expériences dans cette étude ont été menées avec de l’eau contenant environ 1 mg/l de chloramine (monochloramine plus précisément), qui est la concentration requise pour avoir une eau désinfectante. Quant aux risques des sous-produits de désinfection iodés décrits dans la publication, il s’agit probablement de risques marginaux mais qui viennent s’ajouter aux risques des innombrables sous-produits de désinfection présents dans l’eau potable“, détaille M. Bernard.

Les sous-produits de désinfection iodés décrits dans cette étude sont des produits chimiques qui se forment lorsque la chloramine qui est utilisée pour désinfecter l’eau potable en vue de prévenir les maladies interagit avec de la matière organique en présence d’iode.

Le schéma ci-dessous met en évidence la façon dont l’interaction entre l’eau de consommation contenant de la chloramine et le sel iodé lors de la cuisson des pâtes débouche sur la formation de sous-produits de désinfection iodés, des substances génotoxiques.

Schéma du processus de formation de sous-produits de désinfection (SPD) d’après l’étude "Overlooked Iodo-Disinfection Byproduct Formation When Cooking Pasta with Iodized Table Salt" de l’université de Caroline du Sud (https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs)
Schéma du processus de formation de sous-produits de désinfection (SPD) d’après l’étude “Overlooked Iodo-Disinfection Byproduct Formation When Cooking Pasta with Iodized Table Salt” de l’université de Caroline du Sud (https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs) © RTBF

Quels risques pour la santé ?

Alfred Bernard explique que “la présence d’iode, tout comme celle du brome qui est inévitable dans la plupart des sels iodés, augmente la génotoxicité et donc la cancérogénicité des sous-produits de désinfection“. Une substance génotoxique ou mutagène est un produit chimique (ou un rayonnement électromagnétique) qui peut provoquer des dommages à l’ADN et peut donc entraîner des modifications génétiques chez l’être humain.

Le chlore, utilisé pour désinfecter l’eau courante, a donc un impact potentiel sur la santé. “L’eau désinfectée par chloration n’est pas classée parmi les agents cancérogènes par le CIRC (centre international de recherche sur le cancer) ou l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA). Néanmoins, on sait depuis longtemps que l’eau désinfectée par chloration est génotoxique. Parmi les plus de 700 sous-produits de chloration identifiés, on dénombre au moins une centaine de substances génotoxiques et une vingtaine de substances cancérogènes chez l’animalC’est d’ailleurs pour réduire l’exposition à ces innombrables substances génotoxiques que certains états ont opté pour la désinfection avec la chloramine (chloramination).”

Plusieurs études ont démontré une association entre l’exposition à l’eau désinfectée par chloration (par ingestion mais aussi par inhalation et contact cutané en prenant une douche ou un bain) et le risque de cancer de la vessie. Aux USA et dans l’Union européenne, la proportion de cancer de la vessie due aux trihalométhane (THM) (ndlr : les THM se forment lorsque le chlore utilisé pour désinfecter l’eau réagit avec les matières organiques naturelles (végétation, feuilles mortes, etc.) présentes dans l’eau) serait d’environ 10% et 5%, respectivement. Ce risque toutefois ne serait significatif que lorsque la concentration des THM dans l’eau potable dépasse largement 20 microgrammes/litre (la norme en Belgique est de 100 microgrammes par litre). Tout récemment des études ont rapporté des associations entre les THM (surtout les THM contenant du brome) et un risque accru de cancer colorectal ou d’une forme de leucémie chronique. Des observations qui restent à confirmer“, précise encore le toxicologue.

Sel iodé, ou non ?

L’un des éléments clés de cette étude est la mise en évidence de la réaction de l’iode, présente dans certains sels, lors de la cuisson des aliments avec de l’eau du robinet.

L’iode est un élément chimique nécessaire à la production des hormones thyroïdiennes. Cet oligo-élément est naturellement contenu dans les aliments d’origine marine comme les poissons, les algues, les crustacés ou les mollusques. D’autres aliments peuvent apporter un complément d’iode comme les œufs, les produits laitiers et les céréales. “Notre organisme et surtout les femmes enceintes ont besoin d’iode“, précise Alfred Bernard.

Le sel, y compris le sel marin, ne contient de l’iode naturellement qu’à l’état de traces. Pour des raisons de santé un grand nombre de sels de table sont donc enrichis en iode sous forme d’iodure de potassium.

Cependant, tous les sels vendus dans le commerce ne contiennent pas forcément de l’iode. La fleur de sel, le sel marin raffiné, le sel rose de l’Himalaya, le sel kasher ou le sel de Guérande, par exemple ne contiennent normalement pas d’iode ajouté. En Belgique, les sels de table ou “marins” qui ont été enrichis en iode sont généralement indiqués comme tels et portent la mention “enrichi en iode” ou “iodé”.

Chlore, chloramine, quelle différence ?

L’autre élément clé de la réaction chimique mise en évidence dans l’étude est la chloramine, un composé organique dérivé du chlore. Le chlore est utilisé afin de désinfecter l’eau courante de ses bactéries, potentiellement dangereuses pour la santé. Il s’agit donc d’écarter la possibilité pour les consommateurs d’eau du robinet de contracter des maladies infectieuses, parfois mortelles.

Comme l’indique le distributeur d’eau belge Vivaqua, “la désinfection de l’eau de distribution au chlore (sous forme de chlore gazeux ou d’hypochlorite) est une des principales mesures prises pour éviter toute contamination bactérienne pendant le transport dans les conduites et pour s’assurer que seule de l’eau parfaitement sûre est livrée au consommateur”.

En Belgique, on utilise du chlore pour rendre l’eau potable. Toutefois, de la monochloramine (voire de la dichloro-et trichloramine) peut se former lorsque le chlore réagit avec de l’ammoniac ou d’autres matières azotées. C’est un phénomène qui peut se produire lorsque l’eau potable provient d’eaux de surface ou souterraines contaminées par des matières azotées. A priori, à moins d’avoir des eaux très contaminées, ce phénomène ne peut déboucher que sur des concentrations en monochloramine bien plus faibles que celle utilisée pour cette étude“.

Le professeur en toxicologie de l’UCLouvain estime donc que l’étude “est surtout pertinente pour les USA où plusieurs États ont remplacé le chlore par la monochloramine pour désinfecter l’eau potable et ce afin de réduire les risques de cancer dus aux sous-produits de chloration“.

Des recommandations pour éviter la production de ces substances potentiellement toxiques

Comme précisé dans le résumé de l’étude, il existe néanmoins des façons de minimiser les risques pour la santé. La première option consiste à éviter de saler l’eau les pâtes lors de la cuisson avec du sel contenant de l’iode.

Si vous décidez néanmoins d’utiliser un sel iodé et de l’eau du robinet, la formation d’I-DBP peut être évitée en faisant bouillir les pâtes sans couvercle (le chlore de l’eau potable aura ainsi été éliminé), en rinçant les pâtes après cuisson et en ajoutant le sel iodé une fois les pâtes cuites.

Cette interaction de l’iode avec l’eau potable n’est-elle valable que pour les pâtes ?

Enfin, l’interaction entre l’iode et la chloramine ne se résume pas à la cuisson des pâtes. Lors de la cuisson d’autres produits avec de l’eau salée comme le riz ou les pommes de terre, dès lors qu’on ajoute du sel iodé pour cuire des aliments, il y a un risque de formation de sous-produits de désinfection iodés (IDB-P). “Ce qui est intéressant et nouveau dans cette étude c’est qu’elle démontre que la formation des des sous-produits de chloration ne se limite pas à la désinfection de l’eau potable mais peut se poursuivre lors de la cuisson des aliments”, précise M. Bernard.

Il ajoute : Cet article a l’intérêt d’attirer l’attention sur la multitude des sous-produits de chloration potentiellement toxiques dont on ne cesse d’en découvrir de nouveaux.

Cependant, les risques pour les consommateurs belges restent bien limités, en l’absence d’étude scientifique complémentaire, car l’eau de distribution contient chez nous (comme dans de nombreux pays européens) pas ou peu de chloramine, à l’heure actuelle.