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Série de fusillades à Bruxelles : pourquoi le nombre de policiers bruxellois et new-yorkais n’est pas comparable ?

Série de fusillades à Bruxelles : pourquoi le nombre de policiers bruxellois et new-yorkais n’est pas comparable ? - Featured image

Author(s): Romane Bonnemé

Dans une interview sur La Première, le ministre de la Justice a dressé l’état des lieux des forces de police bruxelloises, alors que la capitale a connu plusieurs fusillades depuis le début de l’année. En guise de comparaison, il soutient que les effectifs bruxellois sont similaires à ceux de New York. Un parallèle valide sur le plan chiffré mais à recontextualiser, que ce soit au niveau de la criminalité locale ou des systèmes de police des deux villes.

Ces dernières semaines, la capitale belge est le théâtre de nombreuses fusillades – parfois mortelles – entre bandes rivales sous fond de trafic de drogues. Les autorités policières sont-elles suffisamment nombreuses et coordonnées face à ces phénomènes violents ?

Pour y répondre, le ministre de la Justice, Paul Van Tigchelt, était invité sur La Première ce mercredi. Selon lui, les deux priorités pour la région Bruxelles-Capitale sont “une meilleure coordination et investir dans les forces de l’ordre bruxelloises”. Sur ce dernier point, il estime que les effectifs de police sont tout à fait satisfaisants si l’on compare avec d’autres pays occidentaux, à commencer par les États-Unis : “New York est une ville de 11 millions d’habitants et un service de police – le NYPD – de 40.000 policiers. Bruxelles-Capitale est une région de 1,3 million d’habitants avec une police locale de 6500 policiers. On peut faire quelque chose avec cette capacité […] On peut s’attaquer au problème”.

Selon le ministre, la police de la région Bruxelles-Capitale jouerait dans la même cour que celle de “la Grosse Pomme”. Mais cette comparaison est-elle sinon correcte, du moins pertinente ? Si les chiffres avancés par le ministre sont valides, il faut les recontextualiser et les préciser.

Ordres de grandeurs justes…

Concernant les effectifs de policiers bruxellois et new-yorkais, Paul Van Tigchelt ne s’est pas trompé. D’après les dernières données de l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA), la Région de Bruxelles-Capitale compte ainsi 6630 personnels de police au 31 décembre 2022. Ils se répartissent en six zones regroupant plusieurs communes : zone de police Bruxelles-Capitale / Ixelles ; zone de police Bruxelles-Ouest ; zone de police Midi ; zone de police Uccle / Watermael-Boitsfort / Auderghem ; zone de police Montgomery ; et zone de police Schaerbeek / Saint-Josse-ten-Noode / Evere.

Outre-Atlantique, la police de la ville de New York (NYPD) recense environ 55.000 personnels de police, faisant d’elle le plus grand service de police municipale des États-Unis.

Les ordres de grandeurs avancés par le ministre sont donc corrects, voire légèrement en deçà des chiffres officiels.

… mais imprécis

Toutefois, les effectifs totaux ne disent rien sur les missions effectivement dévolues à chaque agent, qu’il soit new-yorkais ou bruxellois. Dans le détail, il apparaît ainsi que sur les 6630 policiers de la Région Bruxelles-Capitale, 1095 d’entre eux sont des personnels administratifs et logistiques et 5535 des personnels opérationnels.

Des intitulés différents pour des missions différentes comme l’explique Vincent Seron, professeur au sein du département de criminologie de l’ULiège : “Les personnels administratifs et logistiques n’ont pas, sauf exception, des compétences de police. Ils sont chargés des aspects, comme leur nom l’indique, logistiques et administratifs. Cela inclut les juristes, le secrétariat, les personnes qui s’occupent des véhicules, de l’armement, etc. Autrement dit, toutes les fonctions qui ne nécessitent pas d’avoir des compétences particulières soit dans le champ de la police administrative et de la sécurité publique au sens large du terme, soit dans le champ de la police judiciaire. Ils ne vont pas être présents sur le terrain et ne pourront pas, à un moment donné, traiter des phénomènes criminels de la même manière que les membres du cadre opérationnel.”

De la même manière, au sein des effectifs de la police new-yorkaise, figurent 36.000 agents opérationnels et 19.000 administratifs. Et parmi les agents opérationnels, la grande majorité sont des officiers de police.

Comparaisons hasardeuses

Au-delà des catégories de policiers, la situation bruxelloise est-elle comparable à la new-yorkaise ? Pour opérer une comparaison probante entre deux villes ou pays, le nombre de policiers pour 100.000 habitants est un bon indice. C’est ce que fait l’Institut européen de statistiques, Eurostat.

Pour cela, il convient de connaître la population totale d’un territoire, comme l’a fait le ministre. Sauf que si les chiffres qu’il a avancés sont corrects pour la région Bruxelles-Capitale, ils ne le sont pas pour New York. Ainsi, selon les dernières statistiques de 2023 de l’IBSA, la région Bruxelles-Capitale comptait 1.241.175 habitants. En revanche, en ce qui concerne la population de New York, la ville comptait 8.335.987 habitants au 1er juillet 2022. C’est 2.664.013 de moins que l’estimation du ministre.

Une fois les comptes faits, calculons le ratio policiers/habitants pour ces deux métropoles :

  • Région de Bruxelles-Capitale : 534 policiers (opérationnels et administratifs) pour 100.000 habitants dont 446 policiers opérationnels ;
  • New York : 660 policiers (opérationnels et administratifs) pour 100.000 habitants dont 432 policiers opérationnels.

En moyenne, selon Eurostat, il y avait 335 policiers pour 100.000 habitants dans l’Union européenne sur la période 2019-2021.

Des polices différentes…

Pour autant, cette comparaison est-elle vraiment pertinente ? “L’exercice comparatif est toujours délicat”, répond d’emblée Vincent Seron. Et pour cause : “On est sur des situations qui sont potentiellement différentes. Si on prend l’exemple des États-Unis, on est sur une configuration policière qui est très particulière parce qu’elle a une culture, une organisation, une structure organisationnelle et des pouvoirs de police qui sont différents. On a des polices à la fois fédérales, des polices d’État, des polices de comtés et des polices locales, à l’instar de la police de New York. Donc ne pas prendre en compte ces paramètres-là, c’est quelque peu problématique”, indique le chercheur.

De la même manière en Belgique, et a fortiori à Bruxelles, la police est organisée en deux niveaux, local et fédéral. Ici, on parle d’effectifs de police locale mais il est possible que des agents de la police fédérale soient présents sur le terrain localement. “La police fédérale va prendre en charge soit des missions spécialisées soit des missions supra locales au sein desquels les services se rendent aussi sur le terrain, parfois dans le champ de la police judiciaire”, ajoute le chercheur.

… dans des contextes différents

Outre les structures policières différentes entre Bruxelles et New York, les deux villes se placent dans des contextes bien distincts ce qui rend les comparaisons difficiles. “On a des réalités quotidiennes qui sont différentes entre les villes et surtout entre les États-Unis et l’Europe”, précise ainsi Vincent Seron.

Des effectifs incomplets

Autre précision importante que soulève le chercheur : les policiers comptabilisés dans les chiffres avancés par le ministre sont-ils effectivement en poste ? Rien n’est moins sûr.

Sur La Première, Paul Van Tigchelt faisait référence au cadre réel, soit le nombre de personnes sur terrain. À ne pas confondre avec le cadre théorique, c’est-à-dire ce qui est prévu sur le papier. “Si le cadre théorique n’est pas rempli, on est évidemment en sous-effectif”, souligne Vincent Seron.

Dans les faits, c’est ce que la police bruxelloise expérimente actuellement. Dans ses rangs, la majorité des policiers sont des cadres de base, c’est-à-dire qu’ils exercent des fonctions d’inspecteurs et d’inspectrices. Au 31 décembre 2022, 10% des postes théoriques dans cette catégorie n’étaient pas pourvus.

Augmenter les effectifs de la police… et de la justice

Au-delà de ces carences, Vincent Seron explique que combler les manques n’est pas forcément le meilleur remède pour lutter contre la criminalité. “Le lien de causalité direct entre augmentation des effectifs et diminution de la criminalité est un lien qui, en criminologie, a souvent été démontré comme étant très fragile. Plus de « bleus » en rue n’apportent pas des effets concluants en termes de réduction de la criminalité”. Pour le chercheur, “c’est aussi un leurre de penser qu’il y a uniquement l’approche policière qui peut résoudre le problème. On est dans une approche qui doit être par essence holistique. La police à elle seule ne peut pas traiter le phénomène. La justice le doit aussi, or on sait qu’elle est aussi en problème de sous-effectifs depuis de nombreuses années.”

Justement, sur La Première, le ministre indiquait qu’en octobre dernier, des décisions politiques pour renforcer le parquet et la police judiciaire fédérale à Bruxelles ont été prises. Il signale que huit magistrats et cinq juristes sont venus renforcer le parquet de Bruxelles depuis le mois de novembre. Quinze juristes doivent encore arriver dans les semaines à venir au niveau du parquet de la capitale. Et 67 inspecteurs arriveront, eux aussi, dans les semaines qui viennent gonfler les rangs de la police judiciaire fédérale de Bruxelles, où il y a un manque d’attractivité, a ajouté le ministre.

Pour conclure, le ministre de la Justice a raison quand il avance les chiffres des effectifs policiers en région Bruxelles-Capitale et à New York. En revanche, il est imprécis quant au type de poste et à leur occupation réelle. Par ailleurs, comparer deux villes est délicat, voire trompeur, car l’organisation interne et les contextes locaux sont fortement différents et requièrent des réponses policières spécifiques. Enfin, le nombre de policiers sur le terrain n’est pas forcément le plus déterminant pour réduire la criminalité d’un endroit donné.