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Suède : l’extrême droite a-t-elle vraiment convaincu les électeurs des quartiers les plus violents ?

Suède : l’extrême droite a-t-elle vraiment convaincu les électeurs des quartiers les plus violents ? - Featured image

Author(s): Romane Bonnemé

Avec son projet politique anti-immigration, le bloc conservateur et d’extrême droite a remporté les dernières élections législatives en Suède. Pourtant son discours destiné à “rétablir l’ordre” dans certains quartiers a moins convaincu les électeurs vivant dans lesdits quartiers, que ceux des régions plus calmes et rurales.

Les résultats définitifs sont tombés ce 15 septembre : le bloc de droite et d’extrême droite suédois remporte les élections législatives. C’est une première dans l’histoire du pays, réputé pour être un “refuge des idéaux progressistes et pluralistes” comme le notait récemment le Washington Post.

La coalition a obtenu 176 sièges, dont 73 pour le parti d’extrême droite des Démocrates de Suède (SD), contre 173 pour le bloc de gauche mené par Mme Andersson, selon les derniers chiffres communiqués.

Cette victoire des Modérés (conservateurs) et des Démocrates de Suède est notamment le fruit de leur campagne largement dominée par un de leurs sujets phares : la hausse de la criminalité croissante dans le pays. Le slogan choisi par le parti conservateur durant cette campagne législative 2022 “Mettons de l’ordre en Suède maintenant” (“nu får vi ordning på Sverige“) est, à ce titre, un exemple probant, de leur projet de sauvetage du pays, ou plutôt, de certains de ses territoires soi-disant désordonnés.

Sur les réseaux sociaux, les partisans conservateurs et d’extrême droite qui avaient massivement relayé ce message pendant la campagne (ici ou ), se félicitent de ce verdict : il est pour eux le symbole du rejet par les citoyens de la politique migratoire suédoise passée responsable de cette violence dans certains quartiers (ici).

Pourtant dans les faits, le bloc de droite doit-il sa victoire aux électeurs des quartiers où la violence qui y règne a fait le lit de leur discours de campagne ? Les résultats électoraux par circonscriptions semblent montrer le contraire : les quartiers où cette violence est la plus présente ont davantage voté à gauche.

Une hausse des violences par armes à feu circonscrite à certains quartiers

Tandis que la plupart des pays occidentaux ont vu leurs taux d’homicides volontaires baisser depuis les années 1990, en Suède la tendance est effectivement inverse : ce taux était de 11 personnes victimes d’homicides par million d’habitants en 2017 puis de 12 personnes victimes d’homicides par million d’habitants en 2020 (contre 8 personnes par million d’habitants pour la moyenne européenne en 2017).

Cette hausse du nombre de crimes en Suède se caractérise surtout par le fait qu’elle est “principalement liée à une augmentation des homicides par arme à feu, qui a commencé à augmenter à partir de l’année 2005“, peut-on lire dans le rapport de Brå, le Conseil national suédois pour la prévention de la criminalité.

Entre 2012 et 2021, les cas de violence avec armes à feu ont ainsi été multipliés par 1,5 en Suède, selon les dernières statistiques de Brå.

Comment expliquer cette violence dans ces quartiers ?

Ces violences par armes à feu sont toutefois circonscrites à des zones spécifiques du territoire suédois : dans certains quartiers des grandes villes, où les rivalités entre bandes s’affrontent, généralement sous fond de trafic de drogues.

Les résultats d’une étude de Manne Gerel, professeur associé en criminologie à l’université de Malmö, publiée en février 2020 montrent ainsi que “la violence armée est fortement concentrée sur les marchés ouverts de la drogue dans les quartiers vulnérables, et que ces endroits présentent en outre des risques élevés de fusillades répétées après une première fusillade“.

Outre son caractère localisé en lien avec le trafic de stupéfiants, “cette violence est souvent corrélée à des groupes liés à des gangs dans lesquels les victimes sont de jeunes hommes pauvres, issus de l’immigration, qui ont souvent un passé d’implication dans des activités criminelles” selon une étude du Journal européen de Gestion immobilière.

S’il est clair qu’un grand nombre de ces crimes sont perpétrés par des personnes issues de l’immigration [ndlr : notamment arrivées dans les années 2014-2015 lors de l’accueil de plus de 163.000 réfugiés en Suède], ces crimes sont en fait multifactoriels, et dépendent d’autres éléments tels que le statut socio-économique“, tient à préciser Anders Sundel, politologue à l’université de Göteborg.

Une autre explication à cette hausse de la criminalité est celle d’une certaine absence des pouvoirs publics dans ces quartiers. Un mea culpa d’ailleurs énoncé en 2019 par le ministre de l’Intérieur en 2019, Mikael Damberg, lors d’une interview à l’Agence France Presse, au lendemain d’une fusillade ayant coûté la vie à un adolescent de 15 ans à Malmö : “Ces réseaux existaient depuis un certain temps en Suède. Ils ont pu s’implanter, en particulier dans les zones vulnérables de Suède, où l’État n’est pas assez présent“.

A la suite de ce drame, le gouvernement de coalition de sociaux-démocrates et d’écologistes de l’époque avait annoncé vouloir mettre en place des mesures pour lutter contre l’augmentation de la criminalité dans le pays. Des mesures jugées inefficaces par les Modérés et les Démocrates de Suède, dont la coalition est arrivée victorieuse aux dernières élections législatives.
Les électeurs des quartiers sensibles ont-ils été convaincus par le discours de l’extrême droite ?

Ce qui est intéressant dans les résultats des dernières élections législatives c’est que les Démocrates de Suède ont progressé dans presque toutes les régions du pays, sauf dans les zones où il y a eu de la violence (principalement les banlieues des grandes villes dominées par les immigrés), où leur soutien reste très faible“, répond James Savage, journaliste anglo-suédois et créateur du podcast @SwedenInFocus.

Le quartier de Rinkeky-Kista situé au nord de la Stockholm illustre bien le décalage entre le discours tenu par l’extrême droite sur la volonté de “protéger” voire “sauver” ces quartiers et les votes des résidents de ces mêmes quartiers.

Rinkeky-Kista est l’une des quatre municipalités de l’ouest de Stockholm. Elle enregistrait en 2019 un nombre record de fusillades par rapport aux autres quartiers de la ville, selon les données l’étude du Journal européen de Gestion immobilière. Dans la carte ci-dessus, qui en est issue, le quartier de Rinkeky-Kista est encerclé de rouge. Dans son rapport de décembre 2014, la police suédoise l’avait d’ailleurs classé parmi les zones urbaines où la criminalité est la plus sévère.

Prévalence des fusillades (mortelles et non-mortelles) dans la municipalité de Stockholm en 2019. Mats Wilhelmsson, Vania Ceccato et Manne Gerell

Ces quartiers “violents” qui votent à gauche

Pourtant les votes enregistrés aux dernières élections législatives à Rinkeky-Kista ont montré un large assentiment pour les sociaux-démocrates dans ce quartier. Les électeurs de la circonscription de Västra Söderort, à laquelle appartient le quartier de Rinkeky-Kista, ont ainsi largement plébiscité les élus sociaux-démocrates (37,3%), suivi du parti de gauche (20,6%). Les Modérés et les Démocrates de Suède n’arrivent respectivement qu’en troisième (12,8%) et quatrième position des votes après 8%, selon les derniers résultats officiels.

En zoomant sur la zone de Rinkeky-Kista, la carte ci-dessous développée par le compte Twitter @AJR ElectionsMaps permet d’observer que les électeurs de ce quartier ont largement voté en faveur de candidat sociaux-démocrates (en rouge) et plus faiblement pour le parti des Modérés (en bleu clair) et pas du tout pour les Démocrates Suédois. (Ndlr : plus la couleur du parti est foncée plus la marge de victoire du parti concerné est grande).

Résultats préliminaires des élections législatives suédoises de 2022 – zoom sur le quartier de Rinkeky-Kista à Stockholm. En rouge : parti des sociaux-démocrates / en bleu : parti des modérés. @AJRElectionMaps

Les comportements électoraux des électeurs de Rinkeky-Kista, comme des quartiers similaires, s’expliquent, pour James Savage, par le fait que “les gens de ces quartiers, en grande partie issus de l’immigration, ne soutiennent pas les démocrates suédois alors même qu’ils vivent au plus près des violences de gangs, tout simplement parce que leur rhétorique anti-immigration les concerne plus ou moins directement“.

James Savage note ainsi que “les votes en faveur des Démocrates Suédois dans les quartiers populaires avoisinent les 3 ou 4% des voix quand c’est plus de 20% au niveau national“. Selon le dernier décompte, le parti d’extrême droite obtient effectivement 21,7% des suffrages.

Toutefois, ces quartiers sont également marqués par un fort taux d’abstention, particulièrement élevés durant ces dernières élections comme l’explique Vania Ceccato, professeur au département de l’urbanisme et de l’environnement à la School of Architecture and the Built Environment (KTH) de Stockholm. “Le faible taux de vote dans les zones les plus défavorisées de Stockholm n’est pas nouveau, mais il était plus faible cette fois-ci que par le passé. Cela est probablement davantage lié à un manque de propositions politiques alternatives ou du fort impact de la pandémie de Covid-19 dans ces quartiers qu’une expression du niveau de violence“.

La dernière enquête de sécurité de Stockholm montre ainsi que la majorité de la population adulte de la ville de Stockholm ne s’inquiète pas de la criminalité, même si les événements criminels ont tendance à se produire plus souvent dans la municipalité de Stockholm que dans le reste du pays.

Les raisons du vote ne sont pas que géographiques

Le fait qu’il n’y a pas de lien entre les zones où il y a beaucoup de criminalité et le soutien aux Démocrates Suédois est probablement dû au fait que ce soutien est lié à d’autres facteurs que la seule localisation géographique“, explique Anders Sundel de l’université de Göteborg.

Le niveau d’instruction est l’un d’entre eux estime le politologue : “Les électeurs les plus éduqués sont plus nombreux dans les grandes villes, justement là où la plupart des crimes violents se produisent. Pourtant, les soutiens les plus importants des Démocrates Suédois se trouvent dans les zones les plus rurales du sud de la Suède, qui ne sont pas des régions où il y a le plus de crimes, d’homicides, ou de violence. Ce n’est donc pas aussi simple qu’on pourrait le croire“.

Avec un fief d’origine au sud du pays, le parti des Démocrates Suédois est ainsi traditionnellement privilégié dans les circonscriptions rurales du sud. “Ces dernières élections ont montré que leurs soutiens se retrouvent désormais dans l’ensemble du pays, et notamment dans les zones rurales du nord même s’ils n’obtiennent pas encore la majorité des voix là-bas“, note aussi James Savage.

Les choix électoraux vont bien au-delà d’une simple relation de cause à effet.

Vania Ceccato, professeur d’urbanisme à la KTH (Stockholm)

Dans ces régions rurales du nord et du sud de la Suède, qui ne sont donc pas les zones où il y a le plus de crimes ou d’homicides par armes à feu, les votes en faveur du bloc de droite s’expliquent plutôt par “l’existence d’un mécontentement qui va au-delà de l’immigration et qui explique l’avancée de l’extrême droite“, estime Vania Ceccato. Ainsi, “pendant des décennies, ajoute la chercheure, les sociaux-démocrates et le parti du centre n’ont pas réussi à exprimer les besoins de ceux qui vivent dans les régions les plus reculées du pays. La déréglementation des services de base (tels que la santé et les écoles) n’a pas nécessairement conduit à de meilleurs services (par exemple, de longues files d’attente pour les médecins)“.

Le discours d’extrême droite qui “a tendance à être plus brutal” selon les terme de l’urbaniste, trouve un écho dans les foyers plus ruraux qui ne restent pas déconnectés du reste du pays. “Tous les électeurs regardent la télévision ou lisent les informations : ils voient ce qui se passe dans ces zones où les fusillades semblent être devenues endémiques“, ajoute Anders Sundel.

Le sentiment d’insécurité dans des zones plus éloignées des quartiers dits “sensibles” peut ainsi expliquer les votes en faveur de l’extrême droite. “Vous verrez donc davantage de votes pour les Démocrates Suédois dans les banlieues à prédominance suédoise, même si elles ne connaissent pas la plus grande violence dans leurs quartiers“, ajoute le politologue.

In fine, “les choix électoraux vont bien au-delà d’une simple relation de cause à effet“, conclut Vania Ceccato qui ajoute que “l’extrême droite a compris que mettre les questions de violence et d’immigration à l’ordre du jour serait bénéfique pour sa campagne“.

 

En résumé, le contexte d’une hausse des homicides en Suède a fait le lit du bloc de droite et d’extrême droite, qui avec son discours anti-immigration, s’est hissé en tête des résultats des élections législatives du 11 septembre dernier.

En insistant sur la nécessité de “rétablir l’ordre” dans certains quartiers, leur discours n’a pourtant pas convaincu les principaux concernés, à savoir les habitants des zones réellement touchées par cette violence. Ces derniers ont plus largement voté à gauche du spectre politique, que dans le reste du pays.