Les relations entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda sont très tendues depuis les guerres qui ont ensanglanté la région dans les année 1990-2000. Elles connaissent un regain de tensions depuis deux ans, avec la résurgence dans l’est de la RDC de la rébellion du M23 qui, soutenue par Kigali, s’est emparée de larges pans de la province. Depuis mi-décembre, une vidéo montrant prétendument un enterrement de masse de militaires rwandais tués par l’armée congolaise circule sur Facebook. En réalité, cette vidéo montre les funérailles de civils victimes d’une répression de militaires congolais le 30 août 2023 dans l’est de la RDC.
“En direct de Kanombe au Rwanda, l’enterrement des militaires Rwandais RDF tués par les FARDC à KILOLIRWE en RDC” ; voici la légende qui accompagne une vidéo d’environ 30 secondes partagée par plusieurs pages et comptes basés en République démocratique du Congo depuis le 10 décembre.
Les internautes font référence aux Rwanda Defence Force (RDF) – les forces de l’armée rwandaise – et à l’armée de la République démocratique du Congo (FARDC).
Sur les images, des dizaines de cercueils blancs sont alignés. Des croix catholiques et bouquets de fleurs sont disposés à leurs pieds. En arrière-plan, des personnes vêtues de chasubles vert fluo tentent de contenir une foule.
Selon plusieurs internautes partageant ces images, il s’agit des funérailles de masse de militaires rwandais tués dans l’est de la RDC, tantôt à Goma, à Bakodila ou encore à Kilolirwe.
Capture d’écran Facebook réalisée le 21/12/2023
La majorité des publications identifiées sur Facebook comme ici, ici et ici évoquent le décès de militaires rwandais dans la localité de Kilolirwe, dans le territoire de Masisi. Cette localité et ses environs ont été le théâtre de combats entre l’armée congolaise (Fardc) et les rebelles du M23 début novembre.
Rébellion majoritairement tutsi vaincue en 2013, le M23 (“Mouvement du 23 mars”), soutenu par le Rwanda voisin selon de nombreuses sources, a repris les armes en novembre 2021 dans le Nord-Kivu (est de la RDC) où elle s’est emparée de vastes pans de territoire.
Après plusieurs mois d’accalmie relative, les combats se sont intensifiés depuis début octobre entre le M23 et l’armée congolaise alliée à des groupes armés se présentant comme des “patriotes”.
Des médias locaux et internationaux ont indiqué que de violents affrontements ont opposé l’armée congolaise et le M23″dans le territoire de Masisi” début novembre où “plusieurs villages de la région de Kilolirwe se sont vidés de leur population” en raison des violences.
Une dépêche de l’AFP reprise par La Voix de l’Amérique (VOA) indique ainsi qu’au moins 3.000 nouveaux déplacés ont fui les combats (lien archivé ici). Ils viennent grossir les rangs des plus de 200.000 déplacés déjà signalés par l’ONU depuis le regain des affrontements.
Toutefois, la vidéo qui circule actuellement ne montre pas les funérailles de membres du M23 ou de militaires rwandais tués dans l’est de la RDC.
A partir de la vidéo virale, nous avons procédé à une recherche d’image inversée avec l’outil InVid WeVerify.Avec le moteur de recherche Yandex, nous avons notamment retrouvé cette dépêche de l’AFP publiée le 19 septembre 2023 (archivée ici).
L’image d’illustration de la dépêche montre des cercueils blancs semblables à ceux visibles sur la vidéo Facebook. Elle a été prise par le journaliste de l’AFP Alexis Huguet le 18 septembre 2023, dans un cimetière en périphérie de Goma.
Sur cette photographie on retrouve les mêmes éléments visuels que ceux de la vidéo virale, les bouquets de fleurs oranges et blanches (encadrés en jaune ci-dessous), une photographie apposée sur un cerceuil (cerclée de bleu) et cable blanc suspendu à côté d’un poteau (encadrés en orange).
La photographie de l’AFP illustre une dépêche intitulé “Tuerie de l’armée en RDC : après 15 jours de procès, questions et tension“. Elle indique que six militaires congolais dont, cinq officiers sont jugés depuis le 5 septembre 2023 pour leur responsabilité dans la mort de plus de 50 civils le 30 août 2023 à Goma, dans l’est de la RDC.
En réalisant une recherche par mots-clés en français avec les groupes de mots “Goma funérailles 30 août 2023“, nous avons retrouvé plusieurs articles et vidéo qui relatent les funérailles du 18 septembre et le massacre survenu deux semaines plus tôt. Dans cette vidéo YouTube de la chaîne France 24 (archivée ici), nous retrouvons les mêmes cercueils blancs alignés et les éléments de sécurité en chasubles verts.
Le commentaire de la vidéo donne plus de précisions: “A Goma, la douleur des familles se mêle à la colère, le 30 août au moins 57 personnes ont été tuées lors d’une répression par l’armée d’une tentative de manifestation“.
Une dépêche de l’AFP relate plus en détails ce massacre et le procès qui s’est ouvert le 5 septembre pour situer les responsabilités des auteurs présumés de cette tuerie.
Six militaires dont deux officiers supérieurs de la Garde républicaine ont été jugés principalement “pour une opération meurtrière lancée contre une secte religieuse qui avait appelé à manifester contre la présence dans la région de l’ONU, de la force régionale d’Afrique de l’Est et d’ONG internationales” (lien archivé ici). Un officier a été condamné à mort le 2 octobre, à dix ans de prison pour trois autres militaires et deux acquittés par la justice militaire congolaise.
Ce raid avait été lancé dans la nuit du 29 au 30 août par des unités de l’armée congolaise contre la radio et l’église d’une secte qui avait appelé à manifester notamment contre la présence de l’ONU dans l’est de la RDC.
Cette vidéo décontextualisée a été partagée sur Facebook au moment de vives tensions entre la République démocratique du Congo et le Rwanda. Ces tensions ont donné lieu à de nombreuses tentatives de désinformation sur les réseaux sociaux dont certaines ont été déconstruites par AFP Factuel (ici et ici).
Elle a également circulé au plus fort de la campagne électorale en RDC, dix jours avant le scrutin présidentiel qui s’est tenu les 20 et 21 décembre.
Félix Tshisekedi a été réélu haut la main président avec 73,34% des voix selon un score officiel annoncé le 31 janvier à Kinshasa, après un scrutin qualifié de “simulacre d’élections” par l’opposition qui en demande l’annulation.
