Le PS et Ecolo ont-ils eu besoin du PTB pour modifier les règles de finançabilité des étudiants dans l’enseignement supérieur ? Dans la nuit de mardi à mercredi, les députés de la commission de l’Enseignement supérieur du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont voté un texte déposé par les socialistes et les écologistes pour assouplir les règles de réussite dans l’enseignement supérieur afin de permettre à des étudiants aux parcours compliqués de pouvoir poursuivre leurs études. Le MR, partenaire du PS et d’Ecolo au sein du gouvernement, s’est opposé alors que le PTB a voté pour ce texte. Ceci a déclenché une crise au sein du gouvernement francophone, mais aussi une question politique : le PS (et Ecolo) s’est-il allié au PTB pour faire aboutir cette réforme ? Non, selon Paul Magnette, président du PS, oui selon ses opposants. Les deux camps ont à la fois raison et tort, en interprétant un peu la réalité selon leur intérêt.
Le décret Paysage et sa réforme de 2021
Depuis plusieurs semaines, la Fédération des Etudiants Francophones manifeste pour annuler la réforme du “décret Paysage” appliquée en 2021 par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles composé du PS, du MR et d’Ecolo. Cette réforme de 2021, alors portée par la ministre Valérie Glatigny (MR), avait pour but de modifier le décret Paysage introduit par Jean-Claude Marcourt en 2013, qui était alors lui-même ministre de l’Enseignement Supérieur.
Selon les partenaires de la majorité PS-MR-Ecolo, le décret Paysage original de 2013 menait à des situations trop complexes dans lesquels les étudiants mettaient plusieurs années à réussir un cours de première année, tout en réussissant des cours de deuxième ou de troisième année. Le gouvernement a donc décidé de réformer ce décret Paysage en introduisant des règles plus claires, mais aussi plus strictes pour les étudiants. Suite à cette réforme, un étudiant doit alors réussir :
- Sa première année en deux ans ;
- Ses deux premières années en quatre ans ;
- Ses trois premières années en cinq ans.
Une année supplémentaire peut être rajoutée à ces délais en cas de réorientation de l’étudiant. Ce sont ces règles qui devraient s’appliquer aujourd’hui, en attendant que la “réforme de la réforme”, portée par le PS et Ecolo, aboutisse.
La Fédération des étudiants francophone s’oppose
A plusieurs reprises, la Fédération des étudiants francophones (FEF) a exprimé son inquiétude face à ces règles plus strictes qui allaient exclure, de facto, des étudiants de l’enseignement. Ceux qui mettent plus de temps à finir leurs études que les délais sont alors considérés comme “non-finançables”, c’est-à-dire que leur année d’enseignement n’est plus subsidiée par l’Etat et, soit son établissement le finance sur fond propre, soit l’étudiant est exclu de l’enseignement.
La FEF manifeste contre ces règles plus strictes en février dernier, mais aussi fin mars en indiquant que “ce sont plus de 70.000 personnes dont les projets de vie seront balayés par une réforme élitiste”. Des chiffres contestés entretemps par les établissements eux-mêmes, par le monde politique de gauche comme de droite, mais qui ont alerté les partis de gauche (PTB, Ecolo et PS). Ceux-ci décident alors de proposer plusieurs textes abrogeant ou modifiant la réforme du gouvernement de 2021. Le MR, lui, refuse catégoriquement toute nouvelle réforme.
Discussion, négociation et vote
Au sein du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la crise couve entre l’aile gauche (PS et Ecolo) qui souhaite abroger, geler ou modifier la réforme de Valérie Glatigny et le MR qui souhaite conserver le texte de base. Les négociations entre les partis et leur président n’aboutissent pas. Ecolo et PS déposent une proposition de décret pour modifier les règles, le PTB (Parti du Travail de Belgique) procède de la même manière de son côté avec un autre texte.
Lorsqu’un texte, une loi, un décret, est déposée dans un parlement, il arrive d’abord en commission, c’est-à-dire une forme réduite du parlement, organisée par thématiques, où des députés choisis au prorata de leur poids au parlement doivent voter une première fois les textes présentés. S’ils sont acceptés en commission, ces textes sont votés une deuxième fois par le parlement entier dans une séance plénière.
Les textes déposés par le PTB d’une part, et par le PS et Ecolo d’autre part, sont donc arrivés en commission de l’Enseignement supérieur du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce mardi. Après plus de onze heures de débat entre les députés, les treize élus ont donc alors dû voter les textes présentés.
Le texte du PTB rejeté, le PTB approuve le décret du PS et d’Ecolo
Lors de ce vote, que l’on peut retrouver via ce lien après 11h41, les députés ont d’abord dû se prononcer sur le texte du PTB. Il a été rejeté à onze voix contre et deux voix pour, celles des deux élues du parti marxiste.
Le décret déposé par le PS et Ecolo est alors soumis au vote des députés. Le vote se fait d’abord article par article, avec les amendements s’il y en a, puis le texte entier est voté. Pour que le texte soit voté, il doit toujours y avoir davantage de “pour” que de “contre”.
- Article 1 : huit pour (PS, Ecolo, PTB) et cinq contre (MR, Les Engagés)
- Amendement PS/Ecolo qui remplace l’article 2 et insère six articles : six pour (PS, Ecolo), cinq contre (MR, Engagés) et deux abstentions (PTB)
- Article 3 : huit pour (PS Ecolo PTB), cinq contre (MR, Engagés)
- Article 4. huit pour (PS Ecolo PTB), cinq contre (MR, Engagés)
- L’ensemble du texte. huit oui (PS Ecolo PTB), cinq non (MR, Engagés).
Autrement dit, pour les cinq votes qui concernent ce texte, une majorité a été atteinte à chaque fois. Le décret a donc été validé en commission, il devra encore l’être en séance plénière jeudi prochain.
Avec ou sans le PTB ?
Ecolo et le PS ont donc voté différemment que le MR, ce qui a provoqué une crise au sein du gouvernement. “Une très grosse trahison”, commentait par exemple la ministre MR de l’Enseignement supérieur, François Bertieaux. PS et Ecolo ont été accusés par différents partis, de s’être alliés au PTB. Les députés Les Engagés les ont ainsi accusés d’avoir “préféré donner du pouvoir au PTB plutôt que de s’allier à notre proposition constructive”, selon les mots de Benoît Dispa et de Michel de Lamotte.
“Non, nous n’avons pas besoin du soutien du PTB dans ce dossier, a répliqué le président du PS, Paul Magnette dans Matin Première ce jeudi. C’est un texte du parti socialiste, le texte du PTB n’a pas été adopté et n’a même pas été soumis au vote.” Cette affirmation est fausse, le texte du PTB a été soumis au vote, mais il a été rejeté à onze voix contre deux, juste avant le vote sur le texte PS/Ecolo. “C’est le texte du Parti socialiste et avec Ecolo qui a été soumis au vote, poursuit Paul Magnette. PS et Ecolo ont 44 sièges, si on veut être précis, là où le MR et les Engagés en ont 35. On n’avait pas besoin du soutien du PTB.”
Dans l’interview, Thomas Gadisseux reprend alors les chiffres qui ont permis le vote en commission : “six votes pour (du PS et d’Ecolo) et cinq votes contre (du MR et des Engagés) donc si le PTB s’était opposé, le texte ne passait pas, donc vous aviez quand même besoin de l’appui du PTB ?” “Non, répond alors Paul Magnette. Nous n’avions pas besoin de l’appui du PTB, d’ailleurs le PTB n’a pas voté notre amendement.”
Un argumentaire aussi publié sur Twitter par le président du PS qui y a trouvé de nombreux opposants.
Que se serait-il passé si le PTB s’était abstenu ou avait voté contre ?
Pour trancher la question, il faut reprendre les votes de la nuit de mardi :
- Articles 1, 3, 4 et sur ensemble du texte : huit pour (PS, Ecolo, PTB) et cinq contre (MR, Les Engagés)
- Amendement PS/Ecolo qui remplace l’article 2 et insère six articles : six pour (PS, Ecolo), cinq contre (MR, Engagés) et deux abstentions (PTB)
Le PTB a voté “pour” à chaque étape, sauf pour l’amendement du PS et d’Ecolo où ils se sont abstenus. La majorité de huit pour, cinq contre est alors passé à six pour et cinq contre, conservant une majorité rien qu’avec les voix du PS et d’Ecolo. Voilà pourquoi Paul Magnette affirme qu’il n’avait pas besoin des voix du PTB.
Pour bloquer le texte, le PTB aurait dû voter contre car alors, les 6 voix du PS et d’Ecolo se seraient heurtés à sept voix contre (trois voix MR, deux vois Engagés et deux voix PTB). “Chacun imagine bien que le PTB n’allait pas le faire, nous précise la communication du Parti socialiste. Parce qu’ils n’allaient pas voter avec le MR et ne voulaient pas apparaître comme ceux qui bloquent une solution.”
Sauf qu’évidemment, si le PTB s’était opposé (soit pour une question de fond, soit pour une question de positionnement électoral), le texte aurait été refusé. Si le PS n’avait pas besoin des voix du PTB, il avait donc au moins besoin de son abstention. Paul Magnette ne dit donc que la moitié de la vérité en affirmant que les voix du PTB n’étaient pas nécessaires.
Le scénario devrait d’ailleurs se répéter jeudi prochain en séance plénière puisque, selon la procédure, le texte doit être voté une seconde fois par l’ensemble des députés du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. PS et Ecolo (44 voix à deux) devraient à nouveau voter pour. MR et Les Engagés (35 voix à deux) devraient à nouveau s’opposer. Les 13 voix du PTB seront donc déterminantes pour que le texte soit validé.
Notons enfin, comme l’indique le Parti socialiste, qu’il est improbable que le PTB s’oppose à ce décret puisque ce parti, comme le PS et Ecolo, tente d’obtenir le vote étudiant lors des élections de juin et s’oppose lui aussi à la réforme Glatigny du décret Paysage.