Dans une vidéo partagée sur Tiktok, un Youtubeur chypriote de 24 ans récemment élu au Parlement européen fait le détail des montants financiers qui lui sont consacrés pour exercer son mandat. Le nouveau député arrive à un montant total de 60.000€ par mois. Plusieurs médias ont conclu que ce député gagnait ce montant par mois, ce qui n’est pas correct. Ce montant comprend aussi les salaires de ses collaborateurs ou les frais de déplacements liés à sa fonction.
Fidias Panayiotou se définit lui-même comme “faiseur d’erreur professionnel”, selon des propos rapportés par l’AFP. À 24 ans, il compte 2,6 millions d’abonnés sur YouTube, 211.000 abonnés sur TikTok et s’est fait élire au Parlement européen en juin dernier, sans programme, ni parti, ni expérience politique en rassemblant 20% des voix à Chypre.
“J’en ai assez que les responsables politiques ne servent que leurs intérêts personnels ou de leur parti, en ignorant les intérêts de la société”, déclarait-il à la presse chypriote en avril. Il prône sur sa chaîne la “démocratie directe”. Il a ainsi demandé à ses abonnés s’il devait rejoindre le groupe écologiste au Parlement ou rester non affilié, avant finalement de rester indépendant.
60.000 euros par mois au Parlement européen
Dans une vidéo publiée le 6 juillet sur le réseau social TikTok qui totalisait près de 800.000 vues ce mercredi matin (et dans une version anglaise qui totalise 7 millions de vues), il fait le détail en une minute des montants mis à disposition pour son mandat. “Le monde entier devrait savoir ce qui se passe au Parlement européen”, dit-il avant d’entrer dans le détail. “Notre salaire mensuel est de 8000 euros par mois. […] Si vous allez au Parlement européen et que vous apposez votre signature, vous touchez 350 euros, soit 3000 euros de plus.” Il cite aussi le chiffre de 30.000 euros pour les salaires de son équipe.
Il continue : “5000 euros pour votre bureau à Chypre et vos frais de bureau, 4000 euros par mois pour faire votre travail au Parlement européen. 10.000 euros pour amener qui vous voulez au Parlement européen afin de connaître un peu l’Europe”, soit un total arrondi de 60.000 euros.
Un média chypriote de langue anglaise a fait ses gros titres sur ce montant de 60.000 euros, tandis que nos confrères de l’Avenir, sur leur site internet, laissent entendre qu’il s’agissait du montant que ce nouveau député touchait personnellement chaque mois puisqu’ils écrivent, entre guillemets : “Je gagne en tout 60.000€ par mois.”
Le youtubeur conclut son intervention en indiquant qu’il ferait une vidéo tous les trois mois pour expliquer d’où vient cet argent, comment il aura été dépensé et qui il aura engagé.
Un montant de 60.000€ par mois exagéré
Pour vérifier les montants indiqués par Fidias Panayiotou, nous avons contacté le service de presse du Parlement européen et consulté son site internet qui détaille les montants et indemnités.
- Salaire mensuel : 8089,63€, parfois taxés dans le pays d’origine
Le service de presse du Parlement européen nous indique par e-mail que depuis 2009, “tous les députés reçoivent la même rémunération pour l’exercice de leurs fonctions”. Ce salaire est fixé à 38,5% du traitement de base d’un juge à la cour de Justice des Communautés européennes.
À partir du 1er janvier 2024, le salaire mensuel avant impôt des députés s’élève à 10.377,43 euros brut, soit 8089,63 euros net après déduction des cotisations sociales et impôts européens. “Il faut noter que le salaire peut également être soumis à des impôts nationaux, de sorte que le salaire final après impôts d’un député dépend des règles fiscales en vigueur dans son pays d’origine”, nous précise encore le parlement. Les députés européens belges sont par exemple encore taxés en Belgique sur leur salaire. Le salaire net est alors plus bas que 8000 euros.
- Indemnité journalière : 350€ par jour
Afin de couvrir les frais de logement, les repas et frais connexes à l’activité parlementaire, les députés reçoivent 350 euros nets par jour d’activité officielle au Parlement européen, c’est-à-dire en cas de réunion de commission et de séance plénière.
Nous n’avons pas pu obtenir le détail du nombre de jours d’activité officielle au Parlement européen chaque mois. Cela dépend du nombre de séances plénières à Strasbourg (une séance de quatre jours par mois, sauf au mois d’août), mais aussi à Bruxelles ou du nombre de séances en commission, etc.
Cette somme n’est cependant pas un “bonus” de la rémunération. Elle sert à couvrir certains frais engendrés par la tenue d’une séance à Strasbourg ou à Bruxelles : louer une nuit d’hôtel, se nourrir, etc.
Pour obtenir cette indemnité, les députés doivent signer un registre de présence. Cette indemnité est aussi activée lorsque le député se connecte à une réunion du parlement en télétravail, sauf en dehors de l’Union européenne où elle est réduite de moitié.
“L’indemnité journalière est réduite de moitié si les députés manquent plus de la moitié des votes par appel nominal les jours de vote en séance plénière, même s’ils sont présents et ont signé la liste de présence.”
L’estimation de 3000 euros par mois faite par Fidias Panayiotou sera donc reprise dans nos prochains calculs.
- Indemnité frais généraux : 4950€ par mois
Les députés perçoivent aussi un montant de 4950€ nets par mois en tant que “somme forfaitaire destinée à couvrir les dépenses telles que la location de bureaux dans l’État membre d’élection, l’achat de matériel informatique et de fournitures de bureau, ou encore les abonnements de téléphone ou internet”, précise le site du Parlement européen. Celui-ci précise qu’il est “important que les députés aient la possibilité d’organiser leurs activités aussi dans leur circonscription, et pas seulement à Bruxelles et à Strasbourg.”
Le site précise que le choix d’un montant forfaitaire au détriment d’un remboursement au coût par coût “vient de la nécessité de préserver l’indépendance du mandat et s’explique aussi par le fait qu’il s’agit du type de versement présentant le meilleur rapport coût/efficacité”. Outre les questions d’indépendances, ceci signifie par exemple que l’éventuelle économie espérée avec un meilleur contrôle des dépenses serait perdue dans les coûts humains liés au contrôle de ces dépenses par l’administration du parlement. Cette somme peut donc théoriquement être conservée par le député en tant que rémunération s’il n’en utilise pas la totalité pour ses frais divers.
Enfin, ce montant forfaitaire est divisé par deux dans le cas où le député assiste à moins de la moitié des séances plénières au cours d’une année parlementaire sans justification valable.
- Les assistants parlementaires : 29.557 euros par mois
Le site du Parlement européen précise que les “députés sont libres de choisir leurs assistants” qui sont rémunérés grâce à une dotation fixée par le parlement à 29.557€ par mois brut. Cela peut représenter une équipe quatre ou cinq personnes à temps plein.
“Tous les députés au Parlement européen ont droit au même montant et ne touchent pas eux-mêmes de fonds”, précise le site du parlement. Autrement dit, c’est l’assistant parlementaire qui touche directement cette somme.
Par ailleurs, les députés européens “ne peuvent pas employer de parents proches, et les assistants ne doivent pas exercer d’activités susceptibles de créer un conflit d’intérêts.” Ainsi, afin de le vérifier, la liste des assistants reliés à chaque député est publiée sur le site du Parlement européen.
- Frais de voyage et de déplacement : 4886 euros par an
Le Parlement européen prend en charge les frais de déplacement vers et depuis le parlement de Bruxelles ou de Strasbourg. Les députés sont remboursés du coût réel des titres de transport, sur présentation des reçus. Il existe des plafonds lors de l’achat de billets d’avion, de train ou de déplacement en voiture. Il n’y a donc pas d’indemnité forfaitaire à ce niveau, contrairement à l’indemnité journalière ou aux frais généraux.
Des frais de voyages peuvent aussi être remboursés lorsque les députés se déplacent pour représenter le parlement dans l’Union ou en dehors.
Enfin, ils peuvent effectuer des missions individuelles, en dehors des réunions officielles du parlement, par exemple pour se rendre en visite dans un pays, assister à une conférence, etc.
Si cette visite a lieu dans le pays du député, le parlement rembourse les frais de voyages “dans la limite d’un montant annuel maximal déterminé en fonction du pays”. Nous n’avons pas pu obtenir les différents montants par pays. Si le déplacement se fait vers un autre pays que leur pays d’origine, les députés “peuvent demander le remboursement de leurs frais de voyage, d’hébergement et de frais connexes” pour un maximum de 4886 euros par an et non par mois contrairement aux autres indemnités évoquées ici.
Nous n’avons pas identifié d’autres revenus ou sources de budget mis à disposition d’un député européen. Le total de ces différents montants (8089+ 3000+ 4950+ 29.557+ 4886/12) atteint un peu plus de 46.000 euros même s’il nous manque le montant annuel maximal de frais de déplacement dans le pays du député.
Une grande confusion entre salaire, budget pour les assistants parlementaires et remboursement
Enfin, il faudrait distinguer ces 46.000 euros en trois types de budget.
- D’une part, la rémunération directe ou indirecte du député est constituée de sa rémunération (8089,63 euros par mois) et éventuellement une partie de l’indemnité forfaitaire journalière (350 euros par jour) et une partie de l’indemnité des frais généraux (4950 euros par mois) dans les cas où ces deux indemnités seraient supérieures aux frais réellement engagés. Il est évident que si une partie des indemnités forfaitaires pourrait être convertie en revenus nets, le député est bien obligé de dépenser de l’argent pour se loger ou se nourrir lorsqu’il se déplace à Bruxelles ou à Strasbourg, ou pour travailler dans son pays d’origine. Sur 16.000 euros par mois qui sont versés sur son compte, un peu plus de 8000 correspond à son salaire qui peut encore être taxé dans son pays et les 8000 euros restants servent en partie à couvrir des frais qu’il peut avoir : nuits d’hôtels lors des séances parlementaires à Strasbourg ou Bruxelles, se nourrir, payer un bureau, un ordinateur, un téléphone, etc. La partie non utilisée sur ces 8000 euros de frais dépendra donc de l’utilisation qu’en fait chaque député européen.
- D’autre part, le budget lié aux assistants parlementaires de 29.557 euros ne transite pas par le compte du député et ne peut donc pas être converti à son profit au cas où il ne serait pas utilisé. Cette somme ne peut donc pas être comptée comme de l’argent qu’il perçoit.
- Enfin, les frais de voyages et de déplacements sont remboursés sur justificatif. Le député ne touche ces remboursements que s’il a effectivement réalisé ces dépenses. Cela n’engendre donc aucune rémunération supplémentaire.
Conclusion
- Le décompte réalisé par Fidias Panayiotou dans une vidéo sur TikTok totalisant 60.000 euros par mois semble exagéré en comparaison des montants publiés sur le site du Parlement européen. Notre calcul atteint plutôt les 46.000 euros par mois.
- Fidias Panayiotou introduit une grande confusion entre sa rémunération, les indemnités forfaitaires octroyées pour rembourser les frais engagés pour réaliser sa mission de député, le budget disponible pour engager des collaborateurs ou les remboursements de frais de missions.
- Seule la première catégorie de revenu (sa rémunération de 8089,63 euros par mois) éventuellement augmentée des montants forfaitaires non dépensés pour son logement ou ses frais de bureaux d’environ 8000 euros par mois peuvent être considérés comme de l’argent net qu’il touche.
- Le budget mis à disposition pour engager des collaborateurs ne transite pas par le compte du parlementaire et ne peut donc pas être capté par celui-ci. Les remboursements de frais de missions ne sont touchés que lorsque le député a effectué une dépense au préalable.
- En dehors de tout débat sur la juste rémunération des députés ou de la pertinence du caractère forfaitaire des indemnités, il est donc faux de sous-entendre qu’un député européen touche 60.000 euros par mois. La réalité se trouve entre 8000 euros bruts et grand maximum 16.000 euros, dans l’hypothèse peu plausible où il n’aurait aucun frais de bureau ou de logement pour exercer sa fonction de député ou assister aux séances à Bruxelles et Strasbourg.