Sur le plateau de QR Le Débat ce mercredi 13 décembre, Jean-Marc Nollet (Ecolo) et Georges-Louis Bouchez (MR) se sont sont opposés sur un chiffre précis lancé par l’écologiste : “En Belgique, ceux qui émettent le plus de CO2, ce sont les 10% les plus riches : 50 tonnes de CO2 (par personne et par an). Et si on regarde le 1% les plus riches, c’est 115 tonnes de CO2 (par personne et par an).” Georges-Louis Bouchez a réfuté la véracité de ces chiffres en indiquant qu’il s’agissait là de chiffres mondiaux et non de chiffres belges. Jean-Marc Nollet a enfin avancé un dernier chiffre : “les 10% les plus pauvres émettent dix fois moins de CO2 que les plus riches”. Après vérification, les chiffres avancés par Jean-Marc Nollet sont un peu exagérés, mais leur ordre de grandeur est conforme aux chiffres du “Stockholm Environment Institute” qui fait référence en la matière.
Sur le plateau de QR Le Débat, Jean-Marc Nollet a affirmé que “ceux qui en Belgique émettent le plus de CO2, ce sont les 50% les plus riches : 50 tonnes de CO2 (par personne / par an)”. Il poursuit ensuite, “si on regarde les 1% les plus riches, c’est 115 tonnes de CO2 (par personne / par an)”, ce à quoi Georges-Louis Bouchez répond : “c’est faux, ce sont des chiffres mondiaux.” Après une passe d’armes en plateau, Jean-Marc Nollet avance un troisième chiffre : “les 10% les plus pauvres, à l’inverse émettent 10 fois moins de CO2 que les plus riches”, sans créer d’opposition à ce propos-là.
Pour vérifier ces affirmations, nous nous basons sur les chiffres du Emission Inequality Dashboard, un portail qui représente de manière graphique le lien entre les revenus (et non le patrimoine) et les émissions de CO2 au niveau mondial, mais aussi pays par pays.
Ce tableau de données est géré par le Stockholm Environment Institute (SEI), un institut de recherche à but non lucratif consacré au développement durable et à l’environnement fondé en 1989 par le gouvernement suédois et financé par des fonds publics suédois. Les publications du SEI font l’objet d’un examen critique par des pairs (“peer review”), comme la norme scientifique l’impose. L’organisation d’association non-gouvernementales OXFAM utilise régulièrement les études du SEI dans ses publications. Nous détaillons ci-dessous la méthodologie complète du SEI.
Pour réaliser cette vérification, nous avons aussi contacté Jean-Marc Nollet et Georges-Louis Bouchez pour qu’ils puissent préciser leurs propos et/ou transmettre leurs chiffres.
Le SEI met en évidence une répartition inéquitable des émissions des CO2 en fonction des revenus
Le SEI indique que le bilan carbone de l’entièreté de la population belge est d’environ 200 millions de tonnes de CO2 par an, soit environ 17,4 tonnes par personne en moyenne, ce qui tient compte comme l’indique la méthodologie des émissions importées. Le SEI indique, sur base d’études scientifiques existantes que ces émissions sont réparties inéquitablement dans la population : plus on est riche, plus on émet de CO2. Le SEI applique une élasticité mathématique à ces inégalités d’émissions, que nous développons ci-dessus.
La population est alors divisée en 20 groupes représentant chacun 5% de la population, des plus bas revenus (0%-5%) aux plus hauts revenus (95%-100%), ce qui donne le graphique ci-dessous.
“En Belgique, ceux qui émettent le plus de CO2, ce sont les 10% les plus riches : 50 tonnes de CO2 (par an)”
Pour vérifier la première affirmation de Jean-Marc Nollet, nous utilisons la division de la population opérée par le SEI et faisons la moyenne des émissions des deux derniers groupes de la population (90%-95% et 95%-100%), soit les 10% de la population qui ont les plus hauts revenus. Cela donne une moyenne de 43,25 tonnes de CO2 par an par personne. Le chiffre de Jean-Marc Nollet, de 50 tonnes de CO2 par an, est exagéré d’un peu plus de 6 tonnes, soit 16%. L’ordre de grandeur est néanmoins plutôt exact.
Contacté, l’entourage de Jean-Marc Nollet nous renvoie vers le World Inequality Database, qui peut également être considéré comme une source fiable. Cependant, selon ces chiffres qui datent également de 2019, les 10% les plus riches de Belgique ont également une empreinte carbone moyenne de 43,4 tonnes de CO2 par personne et par an. Ils sont donc quasiment identiques à ceux du Stockholm Environment Institute. Ecolo nous précise qu’en juillet dernier, au moment où le parti a consulté cette source, le chiffre était de 49,8 tonnes de CO2 par an et qu’il changé suite à une mise à jour des données.
Jean-Marc Nollet a-t-il confondu les chiffres belges avec des chiffres mondiaux comme le dit Georges-Louis Bouchez ? Non, et d’ailleurs les chiffres mondiaux montrent que les 10% les plus riches au niveau mondial émettent en moyenne 23,715 tonnes de CO2, ce qui est donc plus faible que l’empreinte des 10% des Belges aux plus hauts revenus.
De fait, étant donné que la Belgique fait partie des pays les plus développés et industrialisés, notre niveau de vie et donc nos revenus sont supérieurs aux revenus moyens de la planète. De même, les niveaux de revenus, même en parité de pouvoir d’achat, des 10% des Belges aux plus hauts revenus sont plus élevés que ceux des 10% de la population mondiale qui a les plus hauts revenus. Ces Belges ont alors, selon le SEI, une empreinte carbone plus élevée que les 10% de la population mondiale aux plus hauts revenus.
“Et si on regarde le 1% les plus riches, c’est 115 tonnes de CO2 (par an)”
Pour vérifier cette deuxième affirmation de Jean-Marc Nollet, la division de la population en 20 groupes de 5% n’est plus pertinente. Mais le même tableau de données du SEI offre d’autres analyses. Ils ont divisé la population en cinq groupes qu’ils ont jugés pertinents. Ainsi, en Belgique, en moyenne :
- Les 0,1% aux revenus les plus élevés émettent 185,5 tonnes de CO2 par an.
- Les 0,9% suivants émettent 81,2 tonnes de CO2 par an.
- Les 9% suivants émettent 37,9 tonnes de CO2 par an.
- Les 40% suivants émettent 20 tonnes de CO2 par an.
- Les derniers 50% émettent 10 tonnes de CO2 par an.
Pour savoir ce qu’émettent les 1% aux plus hauts revenus, il faut alors additionner et pondérer les groupes de 0,1% et de 0,9%, pour arriver au groupe de 1%. Selon notre calcul, cela donne une moyenne de 92 tonnes de CO2 par an. À nouveau, le chiffre de Jean-Marc Nollet (115 tonnes de CO2 par an) n’est pas tout à fait correct, il est exagéré de 23 tonnes, soit 25%. Selon les chiffres du World Inequality Database communiqués par Ecolo, les 1% des Belges aux hauts revenus ont un impact carbone de 109 tonnes de CO2 par an par personne en moyenne, ce qui se rapproche du chiffre du coprésident d’Ecolo.
Au niveau mondial, les 1% des plus hauts revenus ont une empreinte carbone annuelle de 75,6 tonnes en moyenne.
“Les 10% les plus pauvres émettent 10 fois moins de CO2 que les plus riches”
Enfin, Jean-Marc Nollet dans sa troisième affirmation indiquait une multiplication par dix de l’empreinte carbone entre les 10% des Belges les plus pauvres avec les 10% les plus riches.
Si on sait ce qu’émettent les 10% des Belges aux plus hauts revenus (43,25 tonnes CO2 en moyenne par an), il s’agit de le comparer, avec la même méthode, aux 10% des Belges qui ont le moins de revenus. Selon le SEI, les 5% les plus pauvres ont une empreinte carbone de 4,41 tonnes et les 5% suivants de 6,24 tonnes, soit une moyenne de 5,33 tonnes de CO2 par an personne.
Ce chiffre est contesté par Georges-Louis Bouchez que nous avons contacté. “Pour supposer que les 5% les plus pauvres ont une empreinte carbone de quatre tonnes, il faut partir du principe qu’on ne tient pas compte du logement“, plaide-t-il. Par ailleurs, “il est peu probable d’atteindre ce chiffre, parce que toute une série de biens et services autour de lui continuent d’émettre indépendamment de lui“, comme les services publics qui fonctionnent indépendamment de ceux qui les utilisent et dont l’impact est partagé équitablement entre chaque habitant.
Cependant, les seuls autres chiffres que nous avons trouvés pour quantifier l’empreinte carbone des 5% ou des 10% des Belges ayant les plus faibles revenus sont ceux du World Inequalité Database, transmis par Ecolo. Ceux-ci indiquent une empreinte carbone de 6,1 tonnes de CO2 par personne par an en moyenne (au lieu de 5,33 tonnes) pour les 10% des Belges aux plus faibles revenus.
Dès lors :
- Sur base des chiffres du SEI, les 10% des Belges les plus pauvres émettent 5,33 tonnes de CO2 en moyenne par an, contre 43,25 tonnes pour les 10% des Belges aux revenus les plus élevés. Autrement dit, les plus faibles revenus émettent huit fois mois, et non 10 fois moins.
- Sur base du World Inequality Database, les 10% des Belges aux plus faibles revenus émettent 6,1 tonnes par an en moyenne, contre 43,4 tonnes de CO2 des Belges aux revenus les plus élevés. Les plus faibles revenus émettent alors sept fois mois que les 10% des Belges aux plus hauts revenus.
Dans les deux cas, la comparaison de Jean-Marc Nollet est un peu exagérée, de 20 à 30% en proportion.
Au niveau mondial, les 10% les plus pauvres émettent 0,525 tonne de CO2 par personne par an, soit 45 fois moins que les 10% aux plus hauts revenus, qui émettent 23,715 tonnes de CO2 par an. Il est en effet évident que la différence entre les plus pauvres et les plus riches est plus grande à l’échelle mondiale qu’en Belgique, que ce soit au niveau des revenus ou des émissions carbone.
Aucun Belge n’approche de l’objectif de 2 tonnes par an décidé par les Accords de Paris
Pour les trois affirmations étudiées, les chiffres avancés par Jean-Marc Nollet sont à chaque fois quelque peu exagérés, de 10% à 30% en proportion. Les ordres de grandeurs sont en revanche plutôt bons. Les chiffres recoupés démontrent une tendance selon laquelle, en Belgique, les 10% des citoyens aux revenus les plus faibles ont une empreinte carbone sept à huit fois plus petite que les 10% des habitants aux revenus les plus élevés.
Comme le rappelait Georges-Louis Bouchez plus tôt dans l’émission, pour respecter les Accords de Paris qui prévoient de “contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C“, les Nations Unies estiment que chaque habitant de la planète devrait avoir une empreinte équivalent carbone “d’environ 2 à 2,5 tonnes par an d’ici 2030” (p.62).
Selon les chiffres du Stockholm Environment Institute, 55% de la population mondiale a déjà une empreinte inférieure à cet objectif de 2 tonnes. Chez nous, même les 5% des Belges aux revenus les plus faibles ont une empreinte carbone deux fois plus élevée que cet objectif (4,41 tonnes CO2/an).