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Des dents parfaites rapidement et pas cher grâce à des produits en ligne? Attention, danger

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Author(s): Julie PACOREL / Juliette MANSOUR / AFP France

La promesse de dents toujours plus blanches, alignées en quelques semaines ou de facettes à prix cassés : sur les réseaux sociaux, les prétendus “produits miracle” pour obtenir un sourire parfait se multiplient. Mais ces dispositifs, le plus souvent promus par des influenceurs à travers des publicités sponsorisées, vendus en quelques clics et pour certains interdits en France, peuvent être dangereux quand ils sont mal utilisés ou sans l’aide d’un dentiste, alertent des professionnels du secteur. 

Les influenceurs sont des modèles pour beaucoup de jeunes, qui envient leur silhouette, leur maquillage et… leur sourire digne d'”Hollywood”. Certains font la promotion de traitements peu contraignants, rapides, et beaucoup moins onéreux que ce que proposent dentistes et orthodontistes. Des “soins” pour la plupart venant de l’étranger, et notamment de pays moins regardant sur les risques engendrés par ces techniques “low-cost”.

Capture d’écran prise sur Instagram le 11/12/2023

En France, les traitements d’orthodontie ne sont pris en charge par la sécurité sociale que s’ils sont initiés avant l’âge de 16 ans, et avec l’accord préalable de sa caisse d’Assurance maladie, explique le site ameli.fr (archive).

Après 16 ans, la sécurité sociale ne rembourse les traitements orthodontiques que pour des cas exceptionnels, en traitement préalable à une intervention chirurgicale de la mâchoire, et pour un semestre seulement.

Les forfaits de base des mutuelles complémentaires ne prennent pas non plus en charge les soins esthétiques dentaires comme l’éclaircissement, que seules des mutuelles dentaires peuvent éventuellement rembourser, à condition qu’ils soient réalisés par des professionnels. Selon la Mutualité française, contactée par l’AFP le 14 décembre, les mutuelles privilégient “le présentiel et les praticiens reconnus“.

L’accès aux soins esthétiques dentaires est de ce fait compliqué, et l’attrait des offres en ligne, bien meilleur marché, d’autant plus fort. Un succès tel que l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD) a communiqué en juillet 2023 (archive) sur ce phénomène, mettant en garde contre les “risques significatifs” de ces offres “attrayantes en raison de leur prix réduit ou de leur promesse de commodité“.

  • Des  techniques de “blanchiment” potentiellement dangereuses voire interdites en France

Bandelettes, stylos blanchissants, kits avec application de gel et lampes, dentifrices: sur les réseaux sociaux, la tendance est aux dents toujours plus blanches, et pour les obtenir,  les produits vantés par les influenceurs se déclinent sous toutes les formes.

Montage à partir de captures d’écran prises le 11/12/2023 sur Tik Tok

A écouter ces stars des réseaux sociaux, le résultat serait “instantané” et “sans risque”. Surtout, ces produits affichent des prix imbattables : à partir de 26 euros pour des bandes blanchissantes ou 28 euros pour un kit blanchissant avec une lampe, des prix qui peuvent encore descendre avec les “codes promos” proposés par les influenceurs.

Chez des dentistes professionnels, le tarif est libre et de fait très variable, mais il faut généralement compter entre 300 euros minimum pour un éclaircissement, et 1.200 euros pour un blanchiment dentaire.

Capture d’écran prise le 11/12/2023
Capture d’écran prise le 11/12/2023

Pour finir de convaincre leur public, les influenceurs multiplient les photos ou vidéos d’eux en train d’utiliser le produit, puis montrent des résultats visiblement spectaculaires, avec plusieurs teintes gagnées, parfois en quelques “dizaines de minutes”; assurent-ils.

Mais la réglementation française et européenne encadre strictement la pratique du blanchiment des dents,  généralement réalisée grâce à un composé chimique : le peroxyde d’hydrogène.

La concentration maximale de peroxyde d’hydrogène dans les produits pour les dents vendus au consommateur, y compris les produits pour se rincer la bouche, les dentifrices et les produits de blanchiment ou d’éclaircissement des dents, ne doit pas dépasser 0,1 %. 

Au-delà de ce seuil, les produits contenant de 0,1 à 6% de peroxyde d’hydrogène sont réservés aux chirurgiens-dentistes.  En outre, ces produits sont interdits aux moins de dix-huit ans.

“Nous avons été alertés par le fait que certains éclaircissements dentaires étaient réalisés chez des mineurs alors que la réglementation française l’interdit, tout comme pour les femmes enceintes.  Le problème, c’est que sur les réseaux sociaux on vise un public qui est relativement jeune, qui veut réaliser des économies, et on peut avoir des désastres en termes de santé bucco-dentaire sans oser consulter derrière quand il y a des conséquences”, a mis en garde le 7 septembre 2023 auprès de l’AFP le Dr Christophe Lequart, chirurgien-dentiste et porte-parole de l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD).

Les produits dentaires dont la concentration est supérieure à 6% de  de peroxyde d’hydrogène sont interdits dans l’UE.

“On a deux types de colorations dans la bouche : externes, liées à nos habitudes de vie (café, thé, tabac) et ces colorations se déposent sur la surface de l’émail et on les élimine avec un détartrage ; et internes. Pour modifier la couleur propre de la dent, on utilise le principe actif du péroxyde d’hydrogène”, a détaillé le Dr Christophe Lequart.

“Avant d’envisager de changer la couleur propre de sa dent, il faut penser à éliminer les colorations sur la surface avec un détartrage et un polissage. C’est comme quand on repeint un mur, on le nettoie avant de le peindre. Parce que si on a fait un blanchiment sans éliminer les colorations de surface, le peroxyde d’hydrogène oxyde ces colorations de surface et non la dent“, poursuit le Dr Lequart.

Si après un détartrage et un polissage le résultat n’est toujours pas à la satisfaction et que le patient souhaite un éclaircissement ou un blanchiment, il faut alors s’assurer que celui-ci ne présente pas de risque, car ces méthodes sont, plus qu’un acte esthétique, un acte médical, pointent les professionnels.

“Il faut vérifier l’absence de carie et de maladie gingivale (maladie des gencives), et savoir que le produit d’éclaircissement ne marche que sur de la dent naturelle, donc pas sur une couronne en céramique par exemple. Ce n’est pas un acte anodin parce que même sur une concentration faible à 0,1%, si on a une carie, le peroxyde d’hydrogène peut pénétrer profondément à l’intérieur de la dent au niveau de la pulpe dentaire, où se trouvent les vaisseaux et le nerf qui irriguent la dent et cela peut entraîner une perte de la vitalité de la dent. Si on a une maladie gingivale qu’on ne traite pas, ça va également augmenter l’inflammation gingivale et les risques de déchaussement dentaire avec un risque de perdre la dent à terme”, met-il en garde.

Les spécialistes appellent également à se méfier des “bars à sourire”, de simples instituts de beauté. “Ces personnes n’ont pas le droit d’appliquer directement le produit dans votre bouche, c’est vous qui devez le faire, s’ils mettent les doigts dans votre bouche, cela relève de l’exercice illégal de la chirurgie dentaire. Ces gens ne sont pas des professionnels de santé et ne peuvent pas détecter si vous avez une carie ou une inflammation gingivale”, pointe le Dr Lequart.

En 2012, alors que les “bars à sourire” étaient en développement rapide, les investigations de la DGCCRF auprès de 353 établissements (archive) ont mis en évidence l’utilisation de 18 produits dangereux “en raison de la présence de peroxyde d’hydrogène à des teneurs supérieures à la quantité maximale autorisée“. Un nouveau ciblage a montré “que les mesures réglementaires contraignantes mises en place sont globalement respectées“.

Les produits en libre-service

De nombreux produits de “blanchiment”, dont la concentration dépasse les seuils autorisés en France, sont pourtant mis en avant en ligne, sur des plateformes où sont omniprésents des adolescents et peuvent être achetés en quelques clics.

Ils peuvent “contenir des acides qui potentialisent le produit sur les dents, dangereux pour la dent et les tissus mous (lèvres ou gencives)”, et qui peuvent augmenter la sensibilité des dents a alerté le 15 novembre la Dre Geneviève Wagner, chirurgien-dentiste et vice-présidente en charge des affaires juridiques, présidente de la commission exercice et déontologie de l’Ordre national des dentistes.

C’est notamment le cas des produits de la marque Crest 3D White, qui promettent un résultat spectaculaire, voir “professionnel” pour obtenir des dents plus blanches. Sur TikTok, le #crest3dwhite cumule 36,8 millions de vues et la marque multiplie les collaborations avec des influenceurs, dont certains présentés comme dentistes, pour promouvoir ses produits.

Capture d’écran prise sur Tik Tok le 11/12/2023

Parmi ces vidéos, de très nombreuses en français pour vanter l’efficacité de “bandes blanchissantes Crest“, accompagné de codes promos pour les commander.  Pourtant, ces bandes blanchissantes sont bannies en Europe, des tests ayant révélé que le produit contenait jusqu’à 10% de péroxyde d’hydrogène, bien au-delà de la limite légale.

Montage à partir de captures d’écran prises le 11/12/2023 sur Tik Tok

Cela n’avait pas empêché l’influenceuse française “Poupette Kenza” (Kenza Benchrif de son vrai nom) d’en faire la promotion, ce qui lui a valu, fin novembre 2023, une amende de 50.000 euros pour pratiques commerciales trompeuses.

La DGCCRF reproche à l’influenceuse de “ne pas avoir indiqué la véritable intention commerciale des contenus pour lesquels la société a reçu une contrepartie”, et d’“avoir donné l’impression que la vente d’un blanchisseur de dents de marque Crest 3D White est licite alors qu’il est interdit à la vente sur le territoire français”.

En août 2023, la marque Crest 3D White avait dit à BFMTV qu’elle “ne distribue pas ce produit dans les pays de l’UE et n’en fait pas non plus directement ou indirectement la publicité ou la promotion dans ces pays”. 

Pourtant, dans le centre de transparence publicitaire de Google, ces bandes blanchissantes étaient encore mises en avant à l’aide de publicités sponsorisées ciblant spécifiquement la France le 6 décembre 2023.

Capture d’écran prise le 6 décembre sur le Centre de transparence publicitaire de Google
Capture d’écran prise le 6 décembre sur le Centre de transparence publicitaire de Google

Contactée par l’AFP le 11 décembre, la société Procter & Gamble, propriétaire de Crest, n’avait pas répondu au moment de la publication de notre article.

Des avis de consommateurs sur différents sites de vente en ligne font état d’un produit “efficace” mais aux effets indésirables importants, comme ce commentaire estampillé “achats vérifiés”, d’avril 2021: “Attention à ce type de produit éclairci de plusieurs teintes oui mais HORRIBLE sensation lors des repas chaud froid“, un avis confirmé par une autre cliente qui met en garde “au bout de 4 jours d’affilée grosse douleur aux dents pendant 2 jours. À faire 1 jour sur deux pour que la douleur reste légère. Cependant le produit est très efficace“.

Une autre marque, iSmile, propose des kits de blanchiment qui ont fait l’objet de nombreux retours négatifs en ligne. Cette société utilise un procédé plus classique, semblable à celui pratiqué par les dentistes, avec des gouttières remplies de produit blanchissant, et “activées” par une lampe LED.

“J’ai payé 57€ pour un kit qui n’a donné aucun résultat blancheur mais qui m’a valu une gingivite. On ne peut les joindre que par mail et ils ne répondent pas”, se plaint un utilisateur, tandis qu’une autre s’indigne : “Une grosse arnaque ! J’ai dépensé 74€ au total pour n’avoir aucun résultat en retour. Ils parlent de garantie blancheur ou de remboursement si ce n’est pas le cas, et personne n’a jamais répondu à mes mails”. 

“Ils ferrent les clients par des liens sponsorisés, émettent de faux avis positifs et lorsqu’ils ont eu votre argent n’ont plus aucune considération pour leurs clients. Fuyez”, met en garde une autre utilisatrice malheureuse du produit.

Comme dénoncé dans ces commentaires, les produits vendus en ligne, qui ne contiennent que de très faibles concentrations de péroxyde d’hydrogène, ne peuvent donc pas donner de résultats miraculeux s’ils respectent la réglementation. Les professionnels soulignent de fait que les teintes promises sur les réseaux sociaux sont très souvent irréalistes.

Contactée par l’AFP, ISmile n’avait pas répondu à l’heure de la publication de cet article.

Dans un numéro consacré aux dents en septembre 2022 (archive), 60 millions de consommateurs épinglait ce genre de produits, dont l’un affiche une teneur en peroxyde de carbamide, un dérivé du peroxyde d’hydrogène de 44% contre une teneur réglementaire de 16%. De manière générale, les dentistes interrogés par la rédaction de 60 millions mettent en garde contre ces gouttières universelles qui “ne peuvent s’adapter à toutes les dentitions“.

Il existe donc “un risque de débordement du produit blanchissant” qui peut provoquer une irritation, voire une rétractation des gencives, premier signe du déchaussement dentaire. Quant aux lampes, selon les experts interrogés, elles n’ont aucun effet prouvé et peuvent provoquer des risques de brûlure.

“Très souvent, les influenceurs se sont fait poser des facettes, or on ne blanchit pas des facettes, donc quand ils font de la publicité pour des produits ‘blanchissants’ ils jouent sur la crédulité des gens et c’est une grosse arnaque”, pointe de son côté pour l’AFP le 20 décembre le Dr David Couchat, président de la commission Communication et Information de la Fédération française d’orthodontie.

De manière générale, “à 20 ans, on a des dents en bon état et pas besoin de ces éclaircissements qui abîment les dents prématurément en mettant des produits acides. Même en cabinet dentaire on ne peut plus utiliser des produits aussi forts qu’avant, donc on ne peut pas avoir des résultats spectaculaires non plus,”  souligne la Dre Geneviève Wagner. “Faire des éclaircissements sur des dents pas parfaitement saines peut poser problème et attaquer le tissu de la dent. Il faut savoir aussi que plus l’on fait de traitements éclaircissants, plus vos dents se recolorent après. Il faut en refaire de plus en plus et de plus en plus souvent”.

“Les avant/après sur les réseaux sociaux sont souvent réalisés grâce à Photoshop, et dire qu’on gagne ’15 teintes’ ne veut rien dire. A partir de quel teintier ? Les professionnels ont des teintiers de référence. Le fabricant de produits d’éclaircissement peut à l’infini développer les nuances de teintes”, relève le Dr Lequart.“Un professionnel doit savoir dire aux gens qu’ils ont des dents suffisamment claires et n’ont pas besoin d’un blanchiment et de ne pas aller sur des teintes qui n’existent pas de manière naturelle comme des dents blanc lavabo comme le promettent les influenceurs”, conclut-il.

  • Les facettes, attention à la mode “dents de requins

Autre accessoire “tendance” mis en avant par les influenceurs pour cacher des dents tachées, trop pointues, mal placées, ou juste trop petites, et obtenir un sourire de star: les facettes.

Sur TikTok notamment, ils sont nombreux à vanter les mérites de ce procédé, qu’ils assurent indolore et facile d’accès.

1/ les “dents de requin”, une mutilation irrémédiable

Dans son communiqué du 11 juillet 2023, l’UFSBD se disait “particulièrement préoccupée par la promotion d’actes cosmétiques dentaires pour changer le positionnement des dents, qui en réalité, s’apparentent à des mutilations dentaires, tels que le limage ou la découpe des dents“. Des pratiques “non seulement dangereuses, mais totalement inutiles dans certains cas“.

Pour se faire poser des facettes, beaucoup sont allés en Turquie, ou à Dubaï, dans des cliniques dentaires où on leur a d’abord limé les dents avant la pose, à tel point qu’ils se retrouvent avec ce qu’ils surnomment “un sourire de requin“.

Capture d’écran TikTok le 4 décembre
Capture d’écran TikTok le 4 décembre

Le principe de la facette c’est comme des faux-ongles, on applique sur la surface de la dent une fine pellicule de céramique pour retrouver la couleur et la forme la plus esthétique“, explique le Dr Lequart. En France, il en existe deux types: la première sans préparation, et la seconde “avec un peu de préparation où on va dépolir la dent mais vraiment de manière minime sur la partie visible mais jamais limer les dents comme on a pu le voir en ligne“.

La pose de facettes, rappelle la Dre Wagner, même si elle a un but avant tout esthétique, nécessite “une étude de l’occlusion [le rapport entre les dents supérieures et les dents inférieures, NDLR], une étude de faisabilité, de l’état de la dent en-dessous“, ajoutant: “si vous serrez des dents ça pose problème, si vous pratiquez certains sports aussi, à plein de moments la facette ne va pas forcément tenir“.

Sur TikTok, le dentiste “docteur Kévin” met en garde contre cette mode dans deux vidéos consacrées aux “dents de requin“, ici et ici: “une facette c’est une fine pellicule qu’on va apposer sur ta dent, on va la limer très légèrement, alors que les influenceurs qu’on voit avec des ‘dents de requin’, donc tout taillé tout autour, c’est des couronnes“.

Les couronnes dentaires sont des prothèses qui protègent les dents abîmées “aucun chirurgien-dentiste français n’acceptera de tailler des dents saines“, insiste Dr Kevin. Le dentiste prévient: “déjà des couronnes ça se change tous les 10-15 ans donc j’espère que tu as le budget“.

Ensuite, explique-t-il, “on élimine un maximum de tissu sain, et ça rend la dent très sensible, on est très proche de la pulpe (…) à long terme il y a de fortes chances pour que la dent se sensibilise et qu’on doive retirer la couronne, dévitaliser la dent…”.

Il donne aussi l’exemple d’un jeune homme qui s’est fait poser des couronnes en Turquie cinq ans plus tôt: “il a les dents toutes cariées, jusqu’à la racine, toutes les dents sont à extraire, il aura ça, un dentier, à 30 ans“.

Une enquête de l’AFP (archive) sur ce phénomène en Turquie révélait les témoignages de patients aux soins “ratés” par des dentistes turcs, comme celui d’Alana Boone, Belge de 23 ans, venue se faire poser 28 couronnes à Antalya en juillet 2021: “Les couronnes sont placées trop profondément. J’ai des inflammations et des douleurs chaque jour, parfois très intenses“, explique-t-elle quatorze mois et un dépôt de plainte plus tard.

Un influenceur britannique qui s’était fait poser des “facettes” en Turquie et a connu de graves complications a ainsi admis auprès de l’AFP ne pas avoir informé ses dizaines de milliers d’abonnés, par peur de poursuites judiciaires.

La Dre Wagner met en avant l’irréversibilité d’une telle opération: “contrairement aux ongles, ça ne va pas repousser, la dent ne repoussera jamais“.

Les influenceurs qui reviennent de Turquie mettent en avant le bas prix de ce tourisme médical: 4.000 à 5.000 euros pour toutes les dents, hôtel compris. En France, une seule facette peut coûter jusqu’à 1.500 euros si elle est en céramique (et jusqu’à dix fois moins si elle est en résine).

Les cliniques dentaires turques sont elles aussi très présentes sur les réseaux sociaux, notamment TikTok.

2/ les facettes à poser soi-même

D’autres encore ont acheté en ligne des facettes assemblées en une sorte de gouttière, à clipser soi-même, comme le montre cette publicité YouTube vue plus de 8.000 fois.

Avec ce procédé, il s’agit de prendre soi-même ses empreintes de dents avec un kit vendu en ligne, puis de recevoir des facettes à clipser sur ses dents.

D’autres vendent en ligne directement, sans prise d’empreinte préalable, des “couvre-dents” à moins de 15 euros, qui promettent une “solution à tous vos problèmes esthétiques“, sur un site vendant aussi, par exemple, des “boucles d’oreille magnétiques pour vous aider à perdre du poids“.

Capture d’écran du site web boomattitude.com le 4 décembre

Les vendeurs avancent cet argument: “Les soins dentaires chez un dentiste sont extrêmement onéreux et souvent mal remboursés“.

Ces “prothèses” universelles sont censées aller à “tout le monde“, quelque soit la taille de sa mâchoire et l’alignement de ses dents. Mais ces facettes qui ne sont pas faites sur-mesure, selon le Dr Lequart, ont un “résultat très mauvais en termes d’esthétique“.

Pour la Dre Wagner, de l’Ordre des dentistes, “le problème c’est que vous abîmez tout ce qui est en-dessous, les joints ne sont pas bons entre gencive et facette“.

  • Les aligneurs dentaires, à la limite de l’exercice illégal de la médecine

Autre mode chez les influenceurs: les dents bien alignées. Sur les réseaux, des influenceurs mettent en avant les “gouttières invisibles“, des dispositifs transparents, très discrets, qui permettent selon eux “des résultats incroyables“, ou encore “un sourire Hollywood“.

Le président de la commission Communication de la Fédération française d’orthodontie indique à l’AFP avoir constaté que l’utilisation de ces dispositifs est en “nette augmentation” ces dernières années.

Parmi eux, beaucoup de contenus sponsorisés par les marques de ventes en ligne de ces traitements, comme cette vidéo YouTube vue plus de 137.000 fois d’une influenceuse française expatriée à Dubaï, qui raconte comment, poussées par ses dents de sagesse, ses dents ont commencé à se chevaucher.

Porter un appareil dentaire avec des bagues en fer, c’était clairement pas possible à mon âge avec mon travail“, explique-t-elle, ajoutant qu’elle s’est tournée vers des gouttières invisibles de la marque Invisalign, après une visite chez un orthodontiste travaillant avec la marque, pour 3.500 euros.

Beaucoup d’influenceurs publient des vidéos avant/après de leur sourire amélioré par les aligneurs.

Capture d’écran TikTok le 4 décembre
Capture d’écran TikTok le 4 décembre

Mais, “l’orthodontie n’est pas un acte esthétique, l’esthétique n’est qu’une conséquence d’un bon alignement dentaire avec emboîtement de la mâchoire du haut avec celle du bas correcte”, rappelle David Couchat.

“Tout déplacement dentaire est un acte médical à part entière. C’est de l’exercice illégal de l’art dentaire à partir du moment où un acte est fait en bouche, ces actes sont réservés aux seuls professionnels de santé en France”, souligne-t-il.

Le prix moyen d’un traitement orthodontique adulte en France tourne autour de 1.500 euros le semestre, non pris en charge par l’Assurance maladie passé 16 ans, sachant qu’un traitement chez l’adulte peut durer jusqu’à trois ans. Le marché de l’orthodontie invisible explose depuis plusieurs années, et les marques françaises comme Smilers ou Aligneurs français tentent de s’y faire une place, comme le raconte cette dépêche AFP.

Invisalign, un des leaders du marché, fonctionne avec un réseau d’orthodontistes dans plusieurs pays, qui initient le traitement et assurent son suivi, pour un minimum de 1.000 euros le traitement, dans les cas les plus légers. Pour trouver beaucoup moins cher, il faut se tourner vers les offres 100% en ligne qui s’adressent directement aux consommateurs et activement via les réseaux sociaux.

Les sociétés de vente en ligne mettent en avant les paiements mensuels fractionnés, la diminution des déplacements en cabinet alors que “le processus traditionnel est long, fastidieux“. Mais ces traitements ne sont la plupart du temps pas remboursés, met en garde la Mutualité française, qui ajoute que “les mutuelles engagées dans la lutte contre certaines pratiques déviantes privilégient le diagnostic et le traitement en présentiel avec des dentistes spécialisés en orthodontie dento faciale“, même si, reconnaît-on, “certaines d’entre-elles peuvent rembourser ce type de dispositif à domicile“.

Avec l’américain Smiledirectclub (archive), par exemple, il n’était pas indispensable de passer par un praticien: la société offrait le choix entre des “boutiques” pour scanner la dentition ou des “kits” à recevoir à domicile pour le faire soi-même, avec un suivi proposé à distance. Sur TikTok, de nombreux clients montrent comment ils ont réalisé leurs empreintes eux-mêmes.

Capture d’écran TikTok le 4 décembre

Mais voilà, le 8 décembre, la société a annoncé qu’elle déposait le bilan (archive), laissant sur le carreau des dizaines de milliers de clients (2 millions depuis sa création il y a dix ans),

Encore visible le 7 décembre , la page d’accueil de son site était remplacée le 12 décembre par un communiqué au sujet de sa faillite.

Dans ce communiqué, Smiledirectclub explique que ses aligneurs ne sont plus disponibles et que les commandes qui n’ont pas encore été expédiées à ce jour ont été annulées. La société s’excuse auprès des clients en cours de traitement, les informant que la “garantie à vie” des produits vendus “n’existe plus” et invitant à “consulter un médecin traitant ou un dentiste“. Les clients qui ont demandé un paiement étalé sont “invités à continuer à faire leurs paiements mensuels“, ajoute Smiledirectclub.

La presse anglaise notamment a recueilli des témoignages de clients lâchés en plein vol, comme Chantelle Jones, interviewée par la BBC, qui explique qu’elle a payé 1.800 livres (plus de 2.000 euros) pour un traitement SDC (archive). Ses dents du bas ont été redressées, mais elle ne recevra jamais les gouttières prévues pour l’alignement de celles du haut. “Je ne suis pas sûre de récupérer le moindre argent“, confie-t-elle, racontant ses vaines tentatives de contacter l’entreprise depuis vendredi.

Sur TikTok, des internautes sont indignés, comme cette jeune fille, qui explique le 11 décembre: “aucun dentiste ne va mettre la main dans un traitement qu’ils a pas initié lui-même, car alors ils deviendrait responsable (…) donc c’est vraiment laisser les gens dans la pire situation possible“.

Ce que confirme Geneviève Wagner: “si la personne a vu un dentiste par exemple pour la prise d’empreintes, elle doit retourner le voir ou saisir l’ordre de son département“, détaille-t-elle à l’AFP le 18 décembre, “en revanche si elle a tout fait en ligne malheureusement on ne pourra rien faire pour leur traitement en cours, il faudra tout reprendre à zéro“.

1/ un diagnostic et un suivi chez un professionnel indispensables

Même si ces aligneurs sont semblables à ceux que prescrivent les orthodontistes, ces derniers se sont insurgés dès 2019 dans un communiqué contre une pratique qu’ils jugent dangereuse: “le principal élément de la réussite d’un traitement d’orthodontie restera toujours le diagnostic, établi sur un patient unique, après un examen clinique et radiographique mené par un orthodontiste compétent“, estime la Fédération française d’orthodontie (FFO).

Ces sociétés commerciales, “dans leurs plaquettes publicitaires, soit ne mentionnent pas l’intervention nécessaire d’un chirurgien-dentiste, soit prévoient l’intervention d’un chirurgien-dentiste mais limitée en amont à la prise d’empreinte des arcades dentaires du patient. Ainsi, dans tous les cas, de telles pratiques comportent des risques réels pour la santé des consommateurs et donc pour la santé publique“, relève l’Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) dès 2022 (archive).

C’est comme si une personne achetait un stérilet sur internet et qu’elle se le posait elle-même“, s’insurgeait déjà en juillet David Couchat. “Il n’y a aucun examen clinique, pas de radio, alors qu’on ne peut pas aligner des dents sans tenir compte des facteurs physiologiques comme la langue, la déglutition, la respiration“, insiste-t-il, dénonçant “un exercice illégal de l’art dentaire” par ces plateformes en ligne.

Des radiographies de la mâchoire, de la tête, et des moulages en 3D sont utiles pour étudier les rapports entre les dents du haut et du bas et vérifier les muscles qui opèrent autour des arcades dentaires.

Certaines entreprises ‘posent un diagnostic’ sans intervention d’un professionnel de santé, ce qui ne peut pas être considéré comme un réel diagnostic médical”, dénonce lui aussi le Pr Lequart, qui ajoute que l’orthodontie n’a pas qu’un but esthétique mais peut aussi aider à prévenir les caries, le déchaussement dentaire ou les maladies gingivales, car “des dents non-correctement alignées retiennent plus la plaque” dentaire.

Il rappelle que la prescription d’aligneurs est “un acte médical” : “si vous avez un problème de fonte osseuse autour de vos dents, un début de déchaussement dentaire, une maladie gingivale, ce n’est pas le scannage qui pourra le montrer et déplacer des dents sur un terrain présentant une maladie risque de faire perdre ses dents à terme à la fin du traitement“.

Il rappelle aussi que les aligneurs ne conviennent pas à tout le monde : “il existe des malpositions dentaires qui ne peuvent pas simplement être corrigées par des gouttières“.

Le diagnostic et le suivi des patients par un professionnel permet aussi de surveiller les conséquences de l’alignement, car, selon le Dre Wagner, “ça va entraîner une modification de posture, peut créer des problèmes au niveau neuro-musculaires, ou avoir des problèmes au niveau du dos, de la tête”.

2/ des délais de traitement non réalistes

D’autre part, dénoncent les dentistes et orthodontistes, les délais promis sur les réseaux sociaux sont souvent irréalistes, par exemple 3 mois alors qu’il y a une correction importante à réaliser“, regrette le Dr Lequart.  “Or, le déplacement doit se faire lentement parce que quand on déplace une dent, entourée par de l’os, il va y avoir une disparition et une reformation de l’os, c’est pour cela que la durée des traitements orthodontiques est relativement longue car il faut le faire avec une progression lente. Quand on se casse un bras il faut du temps pour que l’os se reforme, là c’est pareil. Si on va trop vite, l’os va disparaître en arrière mais ne va pas se reformer en avant et vous allez perdre vos dents“.

“Ces compagnies jouent sur des délais intenables et sur le fait qu’ils vont simplement aligner quelques incisives au niveau antérieur, ce qui peut être rapide, mais après il y a tout un travail à faire pour la façon dont on va se servir des mâchoires pour manger, et ça ça prend plusieurs mois”, pointe de son côté le Dr David Couchat.

Si les dispositifs vendus sur les réseaux sociaux peuvent être efficaces, l’effet ne dure pas longtemps, remarque Geneviève Wagner : “Les dents rebougent derrière, reprennent leur place, donc il faudrait refaire son traitement sans cesse, comme les facettes ça n’est pas à vie“.

3/ des publicités à la limite de la légalité

L’Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) a alerté les autorités sur les dangers de ces publicités.

L’article L.5213-3 du Code de la santé publique (archive) établit l’interdiction de la publicité pour “les dispositifs médicaux et leurs accessoires pris en charge ou financés, même partiellement, par les régimes obligatoires d’assurance maladie“, à l’exception de certains “présentant un faible risque pour la santé humaine” dont les aligneurs font partie, au même titre que les lentilles de contact par exemple.

Pour l’Ordre, “ il n’en est rien. Des complications sévères peuvent suivre ce traitement s’il n’est pas indiqué ou contrôlé“.

Plusieurs professionnels interrogés par l’AFP regrettent ce vide juridique et appelle à reclasser ces dispositifs comme de “vrais” dispositifs médicaux au niveau européen.

L’ONCD met aussi en avant le code de déontologie des chirurgiens-dentistes (archive) relatif à leur communication professionnelle, qui “n’incite pas à un recours inutile à des actes de prévention ou de soins”. ” Cette disposition déontologique s’applique aux chirurgiens-dentistes, et non pas aux fabricants des gouttières d’alignement dentaire qui eux font de la publicité, voire même de la promotion agressive en incitant le public à acheter des aligneurs au moyen de divers codes de réduction“, fait remarquer l’Ordre.

Les traitements orthodontiques sont des procédures médicales complexes nécessitant une évaluation approfondie, un suivi régulier et des ajustements personnalisés tout au long du processus“, avertit l’UFSBD, “L’absence d’un professionnel qualifié peut entraîner des complications graves, des résultats indésirables et une détérioration de la santé bucco-dentaire“.

En outre, “il n’est écrit nulle part dans le code que déplacer une dent est un acte médical. Parce qu’à l’époque où il a été écrit, on n’imaginait pas qu’un jour les gens puissent se déplacer les dents tout seuls. Donc ces compagnies se sont engouffrées dans cette brèche et il y a un vide juridique qui leur permet aujourd’hui de ne pas être poursuivies”, regrette le Dr Couchat.

Des cabinets dentaires fermés du jour au lendemain

Outre la problématique des offres en ligne, des cabinets dentaires spécialisés en orthodontie et en esthétique ont aussi pu être responsables de la détresse de milliers de patients. C’est ce que dénonce régulièrement l’association de patients “la Dent bleue”, qui a récemment, en mars, alerté sur la fermeture de centres d’orthodontie “Bloomsquare” (archive).

Des cabinets parisiens eux aussi très actifs sur les réseaux sociaux,  qui ont fermé subitement leurs portes à des patients qui pour beaucoup avaient payé d’avance, selon la Dent bleue. Un article du Figaro sur le sujet détaille que les cabinets ont fermé après le placement en liquidation judiciaire de leur maison mère, Estimm (archive). Une patiente raconte s’être tournée vers eux après avoir visionné une vidéo d’une influenceuse candidate de téléréalité vantant leur professionnalisme. La patiente décrit des docteurs qui “changent à chaque rendez-vous“, et suite à la liquidation judiciaire, deux semestres de traitement non effectués, mais pourtant bien payés.

60 millions de consommateurs rappelle qu’un dentiste libéral a l’obligation d’inscrire sur sa plaque le nom et le lieu de la faculté où il a étudié, et “de répondre aux besoins de ses patients” et est contrôlé par l’Ordre national des chirurgiens-dentistes. Concernant l’orthodontie adulte, les facettes ou les implants toutefois, il a le droit de pratiquer des honoraires libres, donc peut être plus cher qu’un praticien hospitalier ou en centre dentaire. Les centres dentaires mutualistes sont en général les moins chers et permettent de bénéficier du tiers-payant.

En France, les centres dentaires associatifs se multiplient, dont beaucoup fonctionnent selon des schémas commerciaux anti-déontologiques, selon 60 millions, qui appelle à se méfier de ceux qui mettent en avant des promotions très intéressantes. Des actes inutiles ou des surfacturations de soins ont pu être observés voire condamnés, donc en cas de doute, le mieux est de demander un autre devis ailleurs avant de se lancer dans des soins coûteux.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.346Y2JR.