
Sur les réseaux sociaux, des internautes affirment que 87% de l’aide humanitaire à Gaza serait détournée par le Hamas d’après des données de l’ONU. En réalité, ce chiffre est trompeur : enquête et chiffres à l’appui.
Dimanche 27 juillet 2025. Lors d’un point presse autour de l’accord douanier entre les États-Unis et l’Union européenne, Donald Trump est interrogé par des journalistes écossais sur la nécessité pour Israël de faire plus d’efforts pour permettre l’entrée de nourriture à Gaza. Le président américain leur répond : « Nous donnons beaucoup d’argent et beaucoup de nourriture, et beaucoup de tout. Sans nous, je pense que les gens seraient morts de faim, franchement. Ils seraient morts de faim, et ce n’est pas comme s’ils mangeaient bien, mais une grande partie de cette nourriture est volée par le Hamas. Vous l’envoyez, ils la volent. Ensuite, ils la vendent. »
Cet argument selon lequel le groupe terroriste islamiste déroberait à son profit l’essentiel de l’aide internationale envoyée dans l’enclave n’est pas nouveau.
Il aurait notamment servi de fondement au gouvernement israélien pour instaurer un blocus limitant l’accès de l’aide alimentaire à Gaza, assoupli en partie fin mai. Dans un discours prononcé le 22 mai, Benjamin Netanyahu affirmait que « depuis le 7 octobre, Israël a envoyé 92.000 camions d’aide à Gaza […] Cependant, alors que nous laissions l’aide rentrer le Hamas l’a volée. Ils ont pris une énorme part pour eux-mêmes. Ils ont vendu le reste à un prix exorbitant à la population palestinienne ».
Sur les réseaux sociaux cette idée circule aussi largement ces dernières semaines, notamment dans des sphères francophones. Avec un élément supplémentaire : les Nations-Unies, elles-mêmes, confirmeraient ces pillages par le Hamas, chiffres précis à l’appui.
Ainsi, une publication virale pointe le pourcentage de « 87% de l’aide humanitaire [qui serait] détournée par le Hamas – Source de l’ONU ». Cette phrase est inscrite sur une affiche montrant un combattant du mouvement islamiste partagée sur les comptes « X » ou Facebook d’internautes pro israéliens.

© Capture d’écran Facebook
D’où vient ce chiffre de 87% ?
Sur le forum Reddit, un internaute a ouvert, début août 2025, une nouvelle conversation intitulée « Depuis le 19 mai, sur plus de 2000 camions d’aide, seuls 260 n’ont pas été volés et ont atteint leur destination ». Pour étayer son argument, il affirme que « l’ONU a publié un tableau de bord pour permettre le suivi et le traçage des mouvements d’aide à Gaza », précisant qu’ « ils ne peuvent pas amener leurs camions en toute sécurité à leurs destinations qui se trouvent dans les territoires contrôlés par le Hamas, et pourtant, ils préfèrent faire pression sur Israël et le GHF, les blâmant au lieu de se blâmer eux-mêmes. »
Cet internaute ajoute ensuite un lien qui redirige vers le site de l’UN2720, la structure de l’ONU chargée des statistiques sur l’aide humanitaire à Gaza. Cette dernière suit précisément le nombre de camions d’aide qui entrent dans l’enclave, le type de produits qu’ils transportent et à quelles associations humanitaires ils appartiennent.
On peut y lire qu’entre le 19 mai 2025 et le 27 août 2025, 5306 camions d’aide humanitaire sont entrés à Gaza dont 4649 qui ont été interceptés « soit pacifiquement par des personnes affamées, soit par des acteurs armés de force, pendant leur transit à Gaza ».
Le ratio est donc de 87,6% des camions qui ont été interceptés sur cette période-là. Le même que celui inscrit dans les publications virales.
Or, ce pourcentage est trompeur.

Interrogé par la RTBF sur la définition « de camions interceptés », James Nunan, le Senior Project Manager de l’UN2720, répond : « L’interception de convois humanitaires à Gaza a considérablement varié au fil du temps, passant de pratiquement rien pendant le cessez-le-feu en début d’année à la quasi-totalité des approvisionnements après le blocus total imposé par Israël entre mars et mai. Les chiffres sont communiqués via le tableau de bord UN-2720. La plupart des interceptions ont été effectuées par des foules affamées qui, face à leur désespoir, s’approvisionnent directement dans des camions ouverts, les pillages violents étant une modalité d’interception moins courante. L’affiliation des personnes déchargeant les camions en cours de route ne peut être confirmée. »
En d’autres termes, l’ONU ne confirme pas que le Hamas déroberait 87% de l’aide humanitaire qui entrerait dans l’enclave palestinienne. Cette information est également absente du site du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha), l’agence de l’ONU chargée de l’aide aux Palestiniens.
Olga Cherevko qui travaille pour l’Ocha a été interviewée par média israélien Times of Israel le 6 août dernier. Elle affirme que la grande majorité des pillages étaient le fait de Gazaouis affamés, et non de bandes armées. « Les restrictions imposées depuis longtemps à l’entrée de l’aide ont créé un climat d’incertitude qui fait que les gens ne croient pas que l’aide leur parviendra. […] Cela a conduit à ce que nombre de nos convois soient déchargés directement par des personnes affamées et désespérées, qui continuent de souffrir d’une faim extrême et luttent pour nourrir leur famille », a-t-elle déclaré.
Les États-Unis confirment l’absence de preuves
L’ONU n’est pas la seule à réfuter l’idée que l’aide humanitaire acheminée à Gaza serait en grande majorité pillée par des membres du Hamas.
Une évaluation interne publiée le 25 juillet dernier du gouvernement américain n’a trouvé aucune preuve de vol généralisé par le Hamas de l’aide humanitaire financée par les États-Unis à Gaza. Cette analyse, rapporte CNN, a été menée par l’Agence américaine pour le développement international (USAID) entre octobre 2023 et mai 2025.
L’examen des incidents, d’abord rapporté par l’agence d’information Reuters, « n’a trouvé aucune affiliation » avec des groupes sanctionnés ou des organisations terroristes étrangères.
Les humanitaires en première ligne
Parmi les camions qui acheminent l’aide humanitaire figurent ceux de plusieurs organisations internationales ou ONG. La RTBF a contacté le service presse de l’une d’elles qui a souhaité rester anonyme.
Son porte-parole confirme également que tous les jours, elle transporte des camions avec de la nourriture à Gaza et « tous les jours, ils sont pillés ». « Cela dure depuis plusieurs semaines, poursuit cet employé, c’est parce que la situation à l’intérieur de Gaza est celle d’une famine où le tissu social s’effondre. La peur de la famine est si forte que lorsque les gens voient un camion transportant de la nourriture, ils s’en moquent. Ils sont désespérés de trouver de la nourriture. »
Acteur humanitaire opérant à Gaza
Interrogé pour savoir si ces personnes sont membres du Hamas, cet employé répond qu' »il est très difficile de répondre à cette question, mais nous n’avons aucune preuve que le Hamas détourne systématiquement la nourriture. »
« Notre impression est que la majorité de ces personnes sont des individus qui essaient juste de trouver de la nourriture pour leur famille. Ils ont désespérément faim. […] Nous voyons occasionnellement que certains d’entre eux apportent des couteaux ou même des armes, mais cela semble être juste pour protéger leur sac de farine pendant qu’ils l’emportent, parce qu’en essayant de rentrer chez eux, ils pourraient bien être attaqués par d’autres personnes pour essayer de voler la nourriture qu’ils ont réussi à obtenir dans le camion », indique cet humanitaire.
« Nos chauffeurs entrent et voient ce qui se passe. S’ils sont arrêtés, alors ils restent assis, la nourriture est déchargée et ils repartent. C’est donc une activité effrayante et dangereuse [pour eux] », poursuit-il. Malgré ce contexte « qui n’est pas satisfaisant », son organisation continue d’envoyer ses camions « parce que nous pensons qu’il vaut mieux que la nourriture soit acheminée ».
25% de camions pillés par le Hamas selon Tsahal
Du côté d’Israël, les dernières estimations sont bien moindres ce que l’affirmation de ces internautes. Selon l’agence d’information Reuters, l’armée israélienne affirme au 25 juillet 2025, sur la base de rapport des services de renseignement, que le Hamas aurait détourné jusqu’à 25% de l’aide pour ses propres combattants ou pour être revendu avec profits aux civils palestiniens.
Ce serait donc plus de 60 points de moins que les 87% avancées sur internet.
Selon France24, « le Hamas, de son côté nie, catégoriquement toute allégation de détournement ».
L’agence Reuters n’a pu vérifier indépendamment les déclarations de l’armée israélienne et du Hamas.
Des pro israéliens d’extrême droite
Qui sont celles et ceux qui partagent l’information trompeuse selon laquelle « 87% de l’aide humanitaire [serait] détournée par le Hamas » ?
Il y a par exemple la page Facebook qui compte 27.000 followers intitulée « Produits Israéliens » dont le slogan est « Non au boycott des produits Made in Israël !!! ».
Parmi ses publications, deux d’entre d’elles questionnent l’image d’un bébé gazaoui dénutri dans les bras de sa maman qui a circulé largement à travers les médias et les réseaux sociaux. Les auteurs de cette publication postée sur « Produits Israéliens » ne croient pas à la véracité de l’état famélique du petit Mohamed car « son frère [serait] parfaitement bien portant » et qu’il « souffrait d’une maladie génétique ». Si la santé de l’enfant a vraisemblablement un impact sur son apparence, de nombreux autres récits et photos témoignent de l’état de dénutrition de milliers d’enfants de Gaza selon l’UNICEF, comme nous l’expliquions dans un précédent article Faky.
Parmi les autres relais de l’idée selon laquelle le Hamas pillerait l’aide humanitaire à Gaza, il y a également Rachel Touitou. Cette internaute compte plus de 3000 abonnés sur « X ». C’est aussi la porte-parole de l’association Tsav9, un groupe qui compte environ 400 membres et qui « attire surtout des activistes de droite et d’extrême droite », raconte franceinfo.
Tsav9 a notamment orchestré le saccage de camions humanitaires qui se dirigeaient vers Gaza le 13 mai 2024. Un événement qui a fait réagir jusque dans les sphères politiques israéliennes avec l’ancien ministre de la Défense, Avigdor Liberman, qui a apporté le 15 mai sur X son soutien à Tsav 9 quand, au contraire, le chef de l’opposition israélienne Yaïr Lapid a condamné sur X « une attaque », lit-on dans France24.
Un mois après cet événement, le Département d’État américain a officiellement ajouté le groupe à sa liste d’entités sanctionnées pour avoir entravé l’acheminement de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, le qualifiant de « groupe israélien extrémiste violent qui bloque, harcèle et endommage les convois transportant l’aide humanitaire vitale aux civils palestiniens de Gaza ».
En juin dernier, le parquet national antiterroriste de Paris a ouvert une enquête pour complicité de génocide, incitation au génocide et complicité de crimes contre l’humanité contre des Franco-Israéliens, dont Rachel Touitou.
Ouvrir de nouvelles routes humanitaires
En conclusion, affirmer que l’ONU déclare que « 87% de l’aide humanitaire [serait] détournée par le Hamas » est trompeur. Aucune instance onusienne et humanitaire opérant à Gaza ne l’a confirmé, de même que l’agence américaine Usaid dans une évaluation indépendante.
Si les camions sont très régulièrement pris d’assaut après seulement quelques kilomètres de la frontière gazaouie, ce serait principalement l’acte d’habitants affamés en quête de nourriture pour leur famille. Raison pour laquelle les acteurs humanitaires, dont celui que nous avons pu interroger, plaident auprès des autorités israéliennes « pour obtenir plus rapidement des autorisations de circuler car pour l’instant, [ils sont] très limités dans les itinéraires qu'[ils peuvent] emprunter » dans la bande de Gaza.
Olga Cherevko de l’Ocha, interrogée par le Times of Israel est sur la même ligne : « Le seul moyen d’instaurer un climat de confiance est d’assurer un flux d’aide soutenu pendant une certaine période. Cela a été clairement démontré au cours des semaines qui ont suivi le dernier cessez-le-feu, durant lesquelles aucun incident de ce type ne s’est produit ».
Il y a quelques jours, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) onusien, a confirmé qu’une famine était en cours dans le gouvernorat de Gaza, dans le nord de l’enclave palestinienne. Il s’agit de la validation des alertes lancées par plusieurs organisations humanitaires internationales, et selon des experts de l’ONU, plus d’un demi-million de Gazaouis affrontent des conditions « catastrophiques », le niveau de détresse alimentaire le plus élevé de l’IPC, caractérisé par la famine et la mort.