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BlackRock n’a pas exigé d’arrêter l’enterrement des soldats ukrainiens sur des terrains achetés en Ukraine

BlackRock n'a pas exigé d'arrêter l'enterrement des soldats ukrainiens sur des terrains achetés en Ukraine - Featured image

Author(s): Maja CZARNECKA / Océane CAILLAT / AFP Pologne / AFP France

Alors que la guerre en Ukraine se poursuit depuis plus deux ans, la campagne de propagande pro-russe ne cesse de se poursuivre sur les réseaux sociaux. Récemment, des internautes ont suggéré dans des publications devenues virales que la multinationale américaine BlackRock interdit l’enterrement des soldats ukrainiens sur les terres dont elle est désormais propriétaire en Ukraine. Une affirmation totalement infondée qui a été initialement diffusée sur Telegram par une chaîne russe satirique. De plus, BlackRock ne peut pas être propriétaire de territoires ukrainiens, ce droit étant restreint aux citoyens ou aux sociétés ukrainiennes par la loi du pays. 

Black Rock Corporation a exigé que les soldats de l’AFU ne soient pas enterrés sur les terres ukrainiennes qu’elle a achetées” avance un internaute dans une publication postée sur X, le 2 août 2024 et depuis partagées des centaines de fois.

Cette affirmation a aussi circulé dans d’autres langues, comme en russe (12), en anglais (1, 23), en serbe et de manière très virale en polonais (1, 2). 

L’allégation a effectivement été diffusée par le site internet polonais Pravda qui cite comme source l’agence ANNA News au profil pro-Kremlin connu. Cette agence est considérée comme un réseau de désinformation russe ciblant les Européens par Viginum, le service français spécialisé dans la vigilance et la protection contre les ingérences numériques étrangères (archivé ici). L’AFP a d’ailleurs réfuté à plusieurs reprises des articles de l’agence ANNA News par le passé comme ici ou ici.

La publication évoque le nom de l’ancien député bulgare Plamen Paskov, connu pour ses positions pro-russes et qui est fréquemment invité dans les médias biélorusses. Selon l’internaute, l’homme aurait déclaré que des “représentants de la multinationale américaine se sont récemment rendus à Kiev et ont exigé que les soldats de l’AFU ne soient plus enterrés de la manière traditionnelle, c’est-à-dire dans le sol” et précise que BlackRock a déjà acheté “47 pour cent des terres ukrainiennes“.

Mais cette affirmation est fausse et tient son origine d’un compte satirique.

Une affirmation issue d’un compte satirique

BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde basé à New York, et le ministère de l’Economie ukrainien ont signé un accord fin 2022 actant le soutien consultatif de la multinationale pour “la conception d’un cadre d’investissement, dans le but de créer des opportunités pour les investisseurs publics et privés de participer à la reconstruction et à la reprise futures de l’économie ukrainienne”, une fois que la guerre sera finie (archivé ici).

Or, la propagande pro-Kremlin a pour habitude de pointer du doigt l’implication financière de l’Occident dans le conflit comme une tentative de tirer profit des ressources naturelles de l’Ukraine sachant que le pays est l’un des principaux producteurs de céréales au monde qui lui vaut le surnom de “grenier de l’Europe”.

L’affirmation a en effet commencé a circulé dès mai 2023, alors que l’Ukraine venait d’officialiser son intention de créer un fonds d’investissement avec le soutien de BlackRock (archivé ici) . A partir d’octobre 2023, elle a ensuite été relayée par des sites en langue russe comme ici, ici et ici.

Elle a ensuite refait surface lorsque le réalisateur et acteur russe Nikita Mikhalkov l’a relayé sur ses réseaux sociaux. Le cinéaste évoquait alors un mythe de la Seconde Guerre mondiale selon lequel la riche terre “noire” de l’Ukraine a été exportée vers l’Allemagne par les nazis et avançait ainsi que le véritable objectif des pays occidentaux en soutenant l’Ukraine était de s’approprier ses terres fertiles.

La plupart des publications reprenant cette affirmation ont pour illustration une photographie prise par un photographe de Reuters dans un cimetière de Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 31 janvier 2023 (archivé ici).

Capture d’écran du site Reuters, réalisée le 28 août 2024.

En soumettant cette même photo à une recherche d’images inversée, les résultats montrent un article de l’agence de presse Anna qui date du 5 octobre 2023 dans lequel le PDG de Black Rock, Larry Fink, aurait déclaré : “quand le président Zelensky et moi avons signé le contrat et créé le Fonds de développement pour l’Ukraine, nous avons pris en compte d’invasion russe mais nous constatons désormais l’utilisation totalement irrationnelle des terres par les Ukrainiens eux-mêmes, trop de cimetières. De précieuses terres fertiles sont retirées de la circulation, c’est inacceptable en Europe. Mes amis, ce ne sont pas seulement vos terres”.

Or, l’écriture dans cet article le nom BlackRock n’était pas correctement orthographié. Une recherche sur Telegram avec cette même faute d’orthographe nous a permis de retrouver des publications en russe (1, 2) et biélorusse (12) datant de 2023.

La publication la plus ancienne a été partagée sur la chaîne Telegram appelée Verysexydasha, le 20 septembre 2023 qui avertit : “attention une satire fausse et dure est probable. Ce qui est écrit est de la fiction, toute coïncidence est fortuite“.

Une recherche par mots clefs en reprenant la prétendue citation de Larry Fink en russe nous a aussi conduit à cette même publication de ce compte satirique (archivé ici).

“C’est complétement faux” 

Contacté par l’AFP, un porte-parole de BlackRock a confirmé le 22 août 2024 que la dernière visite de la société remontait à plus d’un an, le 5 mai 2023, contrairement à ce qu’affirment les internautes qui évoquent dans leurs publications “une visite récente“. Cependant, le président Volodymyr Zelensky a rencontré les représentants de BlackRock et de JP Morgan au dernier forum économique de Davos, en janvier 2024, comme l’ont rapporté différents médias comme The Kiyv independant, Euronews ou encore Le Figaro (archivés ici, ici et ici).

Au sujet de l’affirmation devenue virale, le porte-parole de BlackRock a déclaré dans un mail adressé à l’AFP : “C’est complétement faux“.

“Black Rock possède aucune terre en Ukraine” a-t-il ajouté.

Contactée par l’AFP, l’association Ukrainian Agribusiness Club qui représente les intérêts des entreprises agroalimentaires ukrainiennes a expliqué “n’avoir rien entendu à ce sujet“, le 22 août (archivé ici).

D’après nos recherches sur les baux fonciers de l’Ukraine présentés dans notre rapport Guerre et vol, la mainmise sur les terres agricoles ukrainiennes, BlackRock ne possède aucune terre en Ukraine” a également confirmé à l’AFP Frederic Mousseau, directeur de l’institut d’Oakland et co-auteur du rapport (archivé ici).

La privatisation des terres en Ukraine a été légalisée en 2021, a rappelé Frederic Mousseau, mais “aucun investisseur ne pourrait obtenir 47 % des terres ukrainiennes“.

Une moissonneuse-boiteuse récolte du blé dans un champs de la région de Kiev, le 16 juillet 2024. (Anatolii STEPANOV / AFP) – AFP

En 2020, l’Ukraine avait adopté une réforme de la loi foncière, qui est entrée en vigueur, le 1er juillet 2021. Elle permet une ouverture progressive du marché foncier ukrainien. A partir de cette date et jusqu’au 1er janvier 2024, seules les personnes physiques ukrainiennes pouvaient acheter jusqu’à 100 hectares sur une plateforme d’enchères ou vendre leurs terres.

Depuis le début de l’année, les particuliers et les entreprises peuvent acheter jusqu’à 10.000 hectares de terres agricoles. Or, seules les sociétés fondées en vertu de la loi ukrainienne et détenues par des citoyens ukrainiens y sont autorisées.

Les étrangers ne sont donc pas autorisés à acheter des terres ukrainiennes, conformément au code foncier du pays (archivé ici), contrairement à ce que suggèrent les internautes.

Le texte indique en effet que “les terres agricoles ne peuvent être transférées à des ressortissants étrangers, à des apatrides, à des personnes morales étrangères et à des Etats étrangers.

Blackrock détient une partie de la dette ukrainienne par le biais d’euro-obligations […] L’Ukraine a été contrainte par ses créanciers d’entreprendre un programme d’ajustement structurel drastique visant à privatiser tous les secteurs de son économie [dont ses terres, NDLR]”, a ensuite détaillé Frederic Mousseau.

L’AFP a déjà réfuté des affirmations fausses ou trompeuses sur les prétendues ventes de terres ukrainiennes comme ici.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.36EX4CK.