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Kamala Harris est-elle “devenue noire” pour des raisons électoralistes comme l’affirme Donald Trump ?

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Author(s): Grégoire Ryckmans et Marie-Laure Mathot

Donald Trump a affirmé que Kamala Harris était devenue noire pour des raisons électoralistes. La candidate démocrate a bien des racines africaines, héritées de son père. Par ailleurs, de nombreux éléments attestent qu’elle n’a pas changé d’identité et est active dans la communauté afro-américaine depuis son enfance.

Le candidat républicain Donald Trump a accusé mercredi sa nouvelle rivale Kamala Harris d’être “devenue noire” pour des raisons électoralistes.

Alors qu’il assistait à un échange avec des journalistes afro-américains à Chicago, dans l’Illinois ce mercredi 31 juillet, il a répondu à une question de Rachel Scott, correspondante principale au Congrès pour ABC News, sur son attitude vis-à-vis de certains républicains qui accusent Kamala Harris d’être une “DEI hire”, soit une “engagée grâce à la diversité”.

Selon la NBC, le terme “DEI” (pour “Diversity, Equity and Inclusion”, soit “Diversité, Équité et Inclusion”) fait référence aux politiques et pratiques sur le lieu de travail conçues pour soutenir les personnes d’origines diverses et leur fournir les ressources nécessaires à leur épanouissement, tout en identifiant les candidats qualifiés pour les emplois afin de réduire les disparités raciales et entre les hommes et les femmes. Toutefois, ce terme est devenu pour certains un raccourci pour alléguer que le succès et le pouvoir de certaines personnes de couleur ou d’autres groupes marginalisés ne sont pas mérités.

Après un échange tendu sur la définition de “DEI”, la journaliste a reformulé sa question et a demandé plus directement à Donald Trump : “Pensez-vous que la vice-présidente Kamala Harris soit sur le ticket (démocrate) parce que c’est une femme noire ?“.

Ce à quoi l’ancien président républicain a répondu : “Je la connais indirectement depuis longtemps, pas beaucoup directement, et elle a toujours été d’origine indienne. Et elle défendait toujours sa culture indienne. Je ne savais pas qu’elle était noire, jusqu’à quelques années où il s’est alors avéré qu’elle est devenue noire. Et maintenant, elle veut être identifiée comme une personne noire. Donc, je ne sais pas : est-elle indienne ou est-elle noire ?”.

Alors que l’un des journalistes tentait de lui expliquer que Mme Harris s’était toujours identifiée comme noire, M. Trump a poursuivi : “Je respecte l’une ou l’autre, mais elle, manifestement, non. Parce qu’elle était indienne jusqu’au bout, et puis tout d’un coup, elle a pris un virage, et elle est devenue une personne noire. Et je pense que quelqu’un devrait se pencher sur cette question.

En filigrane de son intervention, Donald Trump a donc suggéré que Kamala Harris avait décidé de s’identifier comme une femme noire pour des raisons électoralistes.

Kamala Harris a bien des origines afro-américaines héritées de son père jamaïcain

Comme indiqué dans un précédent article de Faky, Kamala Harris est née sur le sol américain. Sa mère, Shyamala Gopalan, est originaire du sud de l’Inde alors que son père, Donald J. Harris, est né en Jamaïque. Les parents de Donald J. Harris, Oscar Joseph Harris et Beryl Christie Harris (née Finegan), avaient des origines afros jamaïcaines.

Comme l’explique Jean Besson dans L’héritage de l’esclavage, “ l’île caribéenne de la Jamaïque a occupé une place centrale dans l’histoire – longue de quatre cents ans – de la réduction en esclavage des Africains et de leurs descendants par les Européens sur le continent américain. […] À elle seule, la Jamaïque reçut plus de huit cent mille hommes, femmes et enfants africains.”

Comme de nombreux Jamaïcains, Donald J. Harris a des origines en ligne directe avec d’anciens esclaves africains, amenés dans les Caraïbes pendant cette traite transatlantique. Par définition, Kamala Harris a donc également bien des racines afro-américaines.

Photo d’avril 1965 transmise à l’AFP par Kamala Harris le 16 novembre 2020 la montrant dans les bras de son père Donald Harris à Berkeley, en Californie.
Photo d’avril 1965 transmise à l’AFP par Kamala Harris le 16 novembre 2020 la montrant dans les bras de son père Donald Harris à Berkeley, en Californie. © Kamala Harris – Handout / AFP

La perception et l’identification à la couleur noire aux États-Unis

En Belgique, les femmes et les hommes qui ont des origines diverses sont souvent identifiés comme étant des métisses, des personnes issues de “l’union de deux personnes de couleur de peau différente“, comme le définit le Larousse. Une définition à laquelle correspond Kamala Harris.

Aux États-Unis, le terme “métisse” est cependant peu utilisé. Dans un article publié dans le Monde en août 2008, titré “Pourquoi le métis Obama se définit comme noir“, le correspondant à New-York du journal expliquait que dans ce pays : “Chacun identifie sa propre ‘identité raciale’ ou ‘ethnique’ sur une liste qui lui est soumise, le terme ‘race’ n’ayant pas dans ce pays la connotation fortement péjorative qu’il a acquise en Europe”. Le journaliste y indiquait également que Barack Obama était considéré come “noir”, parce qu’il “dit qu’il l’est“.

Dans la société étasunienne, il s’agit donc davantage d’une perception personnelle et d’identification.

Cependant derrière les chiffres du nombre de “noirs ou afro-américains” (13,7%) il y a un poids culturel et historique qui se matérialise par la “One-drop rule“, “la règle de l’unique goutte de sang”. Un principe discriminatoire et raciste qui suggérait qu’une personne ayant un parent ou ancêtre noir devait être considérée come “noire”. Si le principe a disparu, elle a néanmoins gardé une influence sur la perception de nombreux citoyens américains.

Un ancrage dans la communauté afro-américaine qui n’est pas récent

Dans son autobiographie publiée en 2019 “ The Truths We Hold ”, Kamala Harris indique qu’elle a été élevée par sa mère dans “l’appréciation de la culture indienne. Elle y explique aussi comment sa maman savait que sa patrie d’adoption (ndlr : les États-Unis) nous verrait, Maya et moi, comme des filles noires, et elle était déterminée à faire en sorte que nous devenions des femmes noires sûres d’elles et fières“.

Plusieurs éléments témoignent également du fait que son ancrage dans la communauté afro-américaine n’est pas récent et donc pas opportuniste.

Pour Sonia Dridi, journaliste et correspondante RTBF aux États-Unis : “Quand on voit la vie de Kamala Harris, on voit qu’elle s’est plutôt identifiée comme une femme noire en grandissant, notamment en choisissant d’aller faire ses études à l’université d’Howard à Washington qui est une université pour la communauté noire américaine. C’est quand même très fort car elle était de Californie et elle a choisi de venir à Washington pour faire ses études dans cette université. C’est très symbolique“.

CNN, indique qu’elle a été diplômée de l’université d’Howard en 1986, qu’elle faisait partie de la “Black sorority“, une sororité noire historique du campus et qu’elle a ensuite été présidente de l’association des étudiants noirs en droit lors de sa deuxième année à l’université de Californie. La biographie officielle en ligne de Mme Harris en 2005, en tant que procureur du district de San Francisco, la présente comme “la première femme afro-américaine de Californie à occuper cette fonction“.

Serge Jaumaincodirecteur d’Americas, le Centre interdisciplinaire d’étude des Amériques de l’ULB indique également que Kamala Harris “faisait partie du caucus Afro-Américain lorsqu’elle était au Congrès, par exempleDonc il n’y a jamais vraiment eu de discussion sur ses origines“.

La question de la race, un réel enjeu politique ?

Les déclarations de Donald Trump sur la couleur de peau de Kamala Harris relèvent bien d’un enjeu politique majeur.

Sonia Dridi indique que cette question raciale et que le positionnement auprès des différentes communautés est un élément important de la politique étasunienne : “Cela peut paraître étrange vu d’Europe mais aux États-Unis, c’est un enjeu politique. C’est-à-dire que se présenter comme une femme noire à l’élection présidentielle, c’est très symbolique. Ce serait, d’ailleurs, la première femme noire à être élue présidente. C’est comme Barack Obama qui s’était aussi présenté comme un candidat noir, c’est important pour gagner des points auprès de cet électorat. Et aux États-Unis, comme on fonctionne beaucoup par communautés, effectivement c’est politique. Et d’ailleurs, on l’a vu, Donald Trump a tenu à aller s’adresser à l’Association des journalistes noirs, encore une fois, parce que cette question est politique.

En conclusion

  • Kamala Harris a des origines afro-jamaïcaines de par son papa. Elle se définit elle-même comme une femme noire.
  • Son identification en tant que femme noire n’est pas récente.
  • La question de la race a un impact important dans la politique aux États-Unis, mais le positionnement de Kamala Harris ne s’est pas fait “tout d’un coup”, comme le suggère le candidat républicain.
  • Les déclarations de Donald Trump sont donc fausses.