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La Belgique est-elle “le pays le plus taxé du monde”, comme l’affirme Georges-Louis Bouchez ?

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Author(s): Grégoire Ryckmans

Dans le cadre des négociations autour de la formation d’un nouveau gouvernement fédéral, le président du MR Georges-Louis Bouchez a déclaré à plusieurs reprises que la Belgique est “le pays le plus taxé au monde”. Les derniers chiffres disponibles indiquent que la Belgique est à la première place de l’indicateur de référence sur la taxation du travail. Cependant, cet indicateur ne couvre qu’une partie de la fiscalité globale d’un État. Notre pays se situe en deuxième et en sixième position de classements qui prennent en compte la part de la fiscalité par rapport au PIB, l’indice de référence en matière de pression fiscale.

Dans son explication du blocage actuel des négociations en vue de la formation d’un nouveau gouvernement fédéral, le président du MR, Georges-Louis Bouchez a rappelé qu’il n’était pas favorable à la création de nouveaux impôts. Il a souligné devant la presse que, dans le cadre des discussions en vue de la formation d’une majorité “Arizona” (MR, Les Engagés, N-VA, CD&V, Vooruit), il était prêt à faire des compromis, mais qu’à ce stade, pour lui, “l’équilibre n’y est pas”.

Dans ses explications, il a indiqué à plusieurs reprises que la Belgique est “le pays qui est le plus taxé du monde”. Dans cette interview recueillie par la RTBF le vendredi 23 août, il a fait cette déclaration à trois reprises (00:10 ; 00:33 ; 01:36).

Contacté par la RTBF, le MR nous a renvoyé des éléments pour appuyer les chiffres de M. Bouchez et a précisé via son porte-parole, Qassem Fosseprez : “Lorsque nous parlons de “pays le plus taxé au monde”, nous parlons en effet principalement de la taxation sur le travail. En fonction des classements (cf. ceux que vous citez et ceux que nous vous avons envoyés), la Belgique truste les premières places. Il s’agit donc d’un constat global, qui est certainement vrai pour le travail et qui se justifie en ce qui concerne une appréciation de l’ensemble de la fiscalité qui pèse sur les Belges.”

Le parti nous a indiqué trois sources sur lesquelles il se base pour soutenir la déclaration de M. Bouchez.

La Belgique est première en termes de taxation sur le travail, selon l’OCDE

L’une de ces sources est une publication de l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) qui rassemble 38 pays membres, dont la plupart des pays les plus “développés” du monde. Son rapport 2024 sur les chiffres de la taxation sur le travail reprend des chiffres de l’année 2023, les derniers en date au moment de publier cet article.

Il s’agit des chiffres du montant des charges cumulées de l’employeur et de l’employé : cotisations sociales et impôts sur le revenu.

Comme expliqué dans un précédent article de Faky sur les taux d’imposition sur le travail en Belgique, notre pays se situe tout en haut du classement.

Selon l’OCDE, la Belgique a effectivement le “coin fiscal” le plus élevé parmi tous les pays de l’OCDE pour un salarié célibataire et sans enfant avec un salaire moyen. Pour ce profil spécifique, 52,7% du coût de la main-d’œuvre part en cotisations et impôts et 47,3% de ce que débourse l’employeur au total arrive finalement en revenu net chez le travailleur. Pour ce profil, le prélèvement global en taxes est donc autour des 53% sur le travail.

Si la Belgique est première en termes de pression fiscale sur le travail, ce n’est pourtant pas l’indicateur le plus pertinent pour évaluer la pression fiscale globale d’un pays. Le calcul se fait ici sur un profil spécifique, une personne célibataire, sans enfant et avec un revenu moyen. Les conditions d’imposition varient d’un pays à l’autre si la même personne se marie et à deux enfants, par exemple.

Maxime Fontaine, chercheur en finances publiques à l’ULB, indique que ce calcul de l’OCDE des charges sur ce profil bien défini doit être aussi mis en perspective avec les autres formes de prélèvement de l’impôt, spécifiques à chaque pays : “Un célibataire peu taxé sur son salaire dans un pays sera peut-être confronté à des taxes sur la consommation très élevées comme en Scandinavie par exemple, ce qui pourrait l’amener à être taxé davantage qu’en Belgique in fine. Mais il est impossible de comparer tous les profils.”

D’autre part, il existe d’autres formes de taxation que celles sur le travail. Sur la consommation, à travers la TVA et les accises par exemple, mais aussi sur le patrimoine.

La Belgique est septième sur la taxation des patrimoines, selon l’OCDE

En ce qui concerne le niveau des taxations sur le patrimoine, un autre classement de l’OCDE existe.

Pour faire le total de ces différentes taxes sur le patrimoine, l’OCDE, analyse les niveaux de taxation du patrimoine des pays en mettant en relation les revenus de ces taxes spécifiques avec son PIB (le Produit Intérieur Brut).

L’organisation en conclut d’après les derniers chiffres, ceux de 2022, que la Belgique occupe le septième rang sur les 37 pays de l’OCDE qui taxent le plus le patrimoine.

Quel indicateur pour comparer la pression fiscale des différents pays ?

Pour avoir une idée de la pression fiscale globale d’un pays, il est nécessaire d’avoir une vision de l’ensemble des impôts prélevés par un État ou ses entités.

L’un des indicateurs clés pour réaliser cette analyse est celui qui calcule les recettes fiscales totales d’un pays et qui les met en rapport avec le pourcentage de la richesse produite par ce même pays, via le PIB.

Selon la définition de l’OCDE, “les recettes fiscales désignent les recettes provenant des impôts sur le revenu et les bénéfices, des cotisations de sécurité sociale, des taxes prélevées sur les biens et les services, des prélèvements sur les salaires, des impôts sur le patrimoine et des droits de mutation, ainsi que d’autres impôts et taxes”.

Les recettes fiscales totales en pourcentage du PIB

“Les recettes fiscales totales en pourcentage du PIB indiquent la part de la production d’un pays qui est prélevée par l’État sous forme d’impôts. Elles peuvent donc être considérées comme un indicateur du contrôle exercé par l’État sur les ressources produites par l’économie”, indique encore l’OCDE.

“L’indicateur ‘recettes fiscales totales en pourcentage du PIB’ est plutôt bon pour avoir une vision globale de la pression fiscale dans un État”, confirme M. Fontaine.

Deux liens renvoyés par le MR, prennent en compte cet indicateur.

  • Le premier, est un lien vers un site “coutryeconomy.com”, qui agrège des données mais ne les source pas. “Nous n’utilisons pas ce site car il manque de transparence sur les données, nous préférons consulter des sources officielles directement”, précise le chercheur de l’ULB.
  • Le deuxième lien renvoie vers un rapport d’Eurostat, l’office statistique officiel de l’Union européenne.

La Belgique est deuxième pour Eurostat en termes de ratio recettes fiscales par rapport au PIB

Ce rapport, le dernier en date publié par Eurostat, compare le ratio entre l’ensemble des revenus issus des taxes et des contributions sociales et leur poids dans le PIB de différents pays européens.

Les derniers chiffres publiés sont ceux de l’année 2022. Selon ceux-ci, la Belgique se classe deuxième (45,6%), derrière la France (48%) et devant l’Autriche (43,6%).

La moyenne des pays de la zone Euro se situe à 41,7%. Celle de l’Union européenne, légèrement en dessous, à 41%.

La Belgique est sixième pour l’OCDE en termes de ratio recettes fiscales par rapport au PIB

De son côté, l’OCDE publie également des chiffres sur le même indicateur. Cependant, des variations dans la collecte et l’analyse des chiffres par rapport à ceux d’Eurostat, donne un classement différent, pour la même année : 2022.

Avec 42,43%, la Belgique se place sixième de ce classement, derrière la France (46,08%), la Norvège (44,3%), l’Autriche (43,1%), la Finlande (43,02%) et l’Italie (42,95%). La moyenne des pays de l’OCDE est quant à elle bien plus basse que celle des pays de la zone euro, calculée par Eurostat, avec 34,04%.

Pour la Belgique, la différence est de 3,17% entre les deux classements, celui d’Eurostat et celui de l’OCDE.

“J’ai analysé les données de la Belgique depuis 1996, cette part autour de 45% du PIB est très stable dans le temps. La comparaison avec les autres pays européens me semble également relativement stable, à la lecture des données du tableau. Enfin, quand on compare la Belgique avec la moyenne de la zone euro (41,7% en 2022, ndlr), la Belgique est bien au-dessus mais n’est pas très loin devant”, explique M. Fontaine.

Des impôts pour quoi faire ?

Pour le chercheur de l’ULB, la question de la pression fiscale dans les pays et notamment en Belgique doit être élargie. Il indique :

“Dans la théorie l’impôt a trois fonctions :

  • Une fonction financière : il doit être prélevé pour permettre à l’État de fonctionner (écoles, routes, armée, etc.) ;
  • Une fonction sociale : il doit permettre la redistribution de la richesse entre les plus pauvres et les plus riches ;
  • Une fonction incitative : il doit permettre de dissuader (avec plus d’imposition par exemple : tabac, pollution, etc.) ou de renforcer certains comportements (avec moins d’imposition par exemple : dons, épargne pension, etc.).

La question première est donc de savoir quelle place veut-on pour l’État :

  • Veut-on que celui-ci couvre une large partie de la vie en commun (santé gratuite, écoles gratuites, etc.) ?
  • Veut-on que celui-ci assure une grande égalité entre les citoyens ?
  • Veut-on que celui-ci nous guide dans nos comportements ?”

Maxime Fontaine ajoute à ces éléments la question de l’efficacité : “La Belgique est à 28% du PIB de dépenses financées par les autorités publiques et les USA à 18%. Mais si vous rajoutez la part du privé, les dépenses sociales aux USA montent à 30%, ce qui les place deuxième au classement des pays développés, dépassant la Belgique, troisième. Pourtant, ces dépenses sociales sont bien moins efficaces, vu qu’une grande partie des citoyens ne sont pas ou mal soignés et que le filet de sécurité (allocations de chômage, d’incapacité de travail, pensions, etc.) est de bien moins bonne qualité”.

“On ne peut pas penser l’impôt sans réfléchir à ce qu’il finance et on ne peut pas non plus penser l’impôt sans réfléchir aux épaules qui l’assument : parler de taxes au sens large n’a pas de sens, il faut se demander si les impôts sont payés par les bonnes personnes qu’elles soient physiques ou morales”.

Enfin, il indique que les taux d’impositions sont également à mettre en rapport avec les “services reçus par l’État” en retour, comme le niveau de qualité des routes, de la sécurité sociale ou de l’enseignement public.

La Belgique, parmi les pays les plus taxés au monde

Parmi les différents classements sur le taux d’imposition en Belgique, notre pays se trouve actuellement en tête du “coin fiscal”, l’indicateur clé sur la pression fiscale sur le travail, selon les derniers chiffres de l’OCDE. Ce n’est cependant pas l’indicateur clé pour évaluer la fiscalité globale d’un État car il ne recouvre qu’une partie de la fiscalité. En termes de taxation sur le patrimoine, notre pays est septième.

En ce qui concerne le poids des taxes et des contributions sociales globales dans un pays, l’un des indicateurs de référence pour les experts, les derniers chiffres publiés par Eurostat et l’OCDE placent respectivement la Belgique à la deuxième et à la sixième place.

Ces institutions prennent en considération les chiffres des pays parmi les plus développés de la planète, avec des taux d’imposition généralement plus élevés que les pays en développement. Les résultats peuvent donc être extrapolés comme étant pertinents pour l’ensemble des pays.

La Belgique se place donc bien parmi les pays les plus taxés au monde dans plusieurs classements mais n’est cependant pas à la première place.