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Les céréales “toxiques” pour l’organisme? Attention à ces affirmations trompeuses

Les céréales "toxiques" pour l'organisme? Attention à ces affirmations trompeuses - Featured image

Author(s): AFP France

Diffusée pour la première fois en 2015, la vidéo d’une femme se présentant comme “bio-nutritionniste” et affirmant que le blé est “toxique” et qu’il “attaque” foie, articulations, reins, peau et yeux, ressurgit depuis fin mars 2023 sur les réseaux sociaux où elle a été vue plus d’une dizaine de milliers de fois. Attention : si le gluten présent dans la farine des céréales peut parfois – chez une part infime de la population – déclencher une réaction exagérée du système immunitaire, l’affirmation selon laquelle le blé serait toxique en lui-même est infondée scientifiquement, soulignent des spécialistes interrogés par l’AFP.

“Les céréales sont toxiques” : dans un reel – une courte vidéo – publié le 29 mars 2023 sur Instagram, un compte consacré à la nutrition diffuse une interview de Marion Kaplan, qui se présente comme “bio-nutritionniste”. Elle y énumère une série d’affirmations sur la consommation de blé, une céréale qui selon elle attaquerait le foie, les articulations, les reins, la peau ou encore les yeux.

Cet extrait est issu d’une vidéo plus longue initialement diffusée en juillet 2015 sur la chaîne YouTube Veggie et partagée par Marion Kaplan sur sa page Facebook. Elle précise que la vidéo a été tournée en 2014 à “un congrès vegan en Italie”. Depuis fin mars 2023, son intervention circule de nouveau sur Facebook.

Capture d’écran de YouTube faite le 12 avril 2023

“Pourquoi le blé est toxique ?”, commence Marion Kaplan. “Sachez que le blé a été hybridé, c’est-à-dire ils ont bidouillé, rétro-croisé tellement le blé qu’aujourd’hui il a plus de 40 chromosomes, qu’il en avait une douzaine il y a encore 50 ans. Donc déjà c’est un OGM quelque part, c’est un blé qui n’a plus rien à voir avec les blés anciens”. 

“Si je peux vous dire deux choses très importantes par rapport au blé : (…) ça va vous faire vieillir plus vite. Pourquoi? Parce que quand vous mangez du blé, même bio, vous allez accumuler dans votre organisme des glycotoxines, on appelle ça les PTG, c’est un peu comme si vous faisiez du caramel, c’est-à-dire que le blé c’est lui, plus que le sucre, qui va faire monter votre taux de glycémie”, développe-t-elle.

“Et le problème de ces protéines glyquées une fois qu’elle sont sur l’organisme, elles ne s’en vont jamais, Les glycotoxines quand elles sont dans le corps, on n’a pas encore trouvé le moyen d’éliminer les éléments, et qu’est-ce que ca fait ? Ca attaque vos articulations, ça attaque vos reins, ça attaque votre foie, ça attaque votre peau, vos yeux, c’est tous les éléments finalement prémonitoires de diabète”, conclut Marion Kaplan, connue du grand public pour son “Vitaliseur”, un cuit-vapeur promettant d’éliminer “toxines et pesticides”.

Attention : ces affirmations sont dénuées de fondement scientifique, soulignent des spécialistes interrogés par l’AFP, qui pointent une “confusion” ou encore une généralisation d’affections bien identifiées et qui ne touchent à ce stade qu’une part infime de la population.

Des grains de blé dans un champ à Wustrau-Altfriesack, Fehrbellin, Allemagne de l’Est, le 18 juillet 2022 – CLAIRE MORAND / AFP

Le blé, un organisme génétiquement modifié (OGM) ? 

Si certains blés ont effectivement plus de chromosomes que par le passé, cela résulte essentiellement d’un “croisement naturel” qui remonte à 10.000 ans et non 50 ans comme l’affirme Marion Kaplan, soulignent Catherine Grand-Ravel (archive) et Jacques le Gouis (archive), chercheurs dans l’unité Génétique, diversité et écophysiologie des céréales à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

“Il y a le blé tendre qui sert à faire le pain, les croissants par exemple, qui est un blé à 42 chromosomes, il existe aussi le blé dur qui est une espèce apparentée à partir duquel on fait des pâtes qui a 28 chromosomes et il existe d’autres blés, qui sont moins utilisés, comme le petit épeautre qui a 14 chromosomes”, relève Jacques Le Gouis, contacté par l’AFP le 6 avril 2023.

“A l’origine, si on simplifie, il y avait des blés à 14 chromosomes comme le petit épeautre et il y a eu un croisement naturel il y a environ 500.000 ans qui a produit des blés à 28 chromosomes dont sont issus le blé dur. Il y a eu un deuxième croisement naturel il y a environ 10.000 ans à partir d’un blé à 28 chromosomes et d’un blé à 14 chromosomes, qui a produit le blé tendre à 42 chromosomes : tous ces blés existent encore actuellement et sont bien plus anciens que ce qui est dit” dans la vidéo, ajoute le chercheur.

“Cela fait environ 10.000 ans que ces blés existent. Il y a eu depuis 150 ans des croisements qui sont faits mais ces blés existaient à l’état naturel, ce ne sont pas des OGM, ce qu’elle dit est complètement faux.”

Pour Catherine Grand-Ravel, contrairement à ce que déclare Marion Kaplan, “l’augmentation du nombre de chromosomes” ne date donc pas d’une cinquantaine d’années, mais cela s’est produit bien avant. “Le passage des blés de 14 à 28 chromosomes a été fait avant que l’agriculture existe”, insiste la chercheuse.

Baguettes sortant du four d’un boulanger à Caen, le 27 août 2007 – MYCHELE DANIAU / AFP

La consommation de blé est-elle toxique?

“Le blé est +toxique, fait vieillir plus vite, abîme les articulations, le foie, la peau, les yeux+? Je ne sais pas d’où ça sort”, réagit auprès de l’AFP le professeur Christophe Cellier (archive), chef de service d’hépato-gastroentérologie et endoscopie digestive, à l’hôpital Georges Pompidou à Paris.

“C’est totalement non fondé”, complète Pierre Déchelotte (archive) chef du service nutrition du CHU de Rouen, qui pointe un “mélange de notions”. 

“Le blé n’est pas toxique, le blé ne produit pas de toxines ou de glycotoxines, il y a un mélange dans la façon dont c’est présenté”, développe l’ancien président de la société francophone nutrition clinique et métabolisme (SFNCM), contacté par l’AFP le 12 avril 2023. “Ce qui est connu c’est que le sucre simple – saccharose, fructose en particulier, les sirops de maïs riches en fructose qui sont beaucoup utilisés dans les sodas ou dans de nombreuses préparations ultra transformées –  consommé en excès et de façon chronique peut augmenter la production de produits glyqués, qui sont des métabolites résultant de l’excès de modification de structures de certaines protéines”.

“Effectivement ces produits avancés de glycation semblent jouer un rôle dans les mécanismes de la teinte tissulaire qu’on observe au cours du diabète, il y a pas mal de littérature [scientifique, NDLR] là-dessus c’est une des raisons pour lesquelles on ne recommande pas l’excès chronique de sucre simple”, souligne-t-il.

“Quelqu’un qui est exposé chroniquement à un excès de calories en général, de sucre simple en particulier, et donc à un risque plus élevé d’insulino-résistance, de diabète, finisse par avoir un vieillissement prématuré d’organes, ce n’est pas un scoop. On sait bien que le diabète est un facteur de risque de morbidité , de vieillissement prématuré et de multiples complications mais le blé en lui-même n’a rien à voir avec tout ca, c’est vraiment de la ‘fake news’ caractérisée.”

Le “blé en lui-même” qui est composé majoritairement “d’amidon, de quelques protéines et micro nutriments, est l’aliment de base de beaucoup de gens depuis des millénaires et ne contient aucune toxine particulière”, insiste Pierre Déchelotte.

“Certes dans certains pays, notamment en Afrique, il est montré que dans les céréales qui moisissent, il peut y avoir des champignons, des moisissures, mais ce n’est pas le blé en lui-mêmeL’autre facteur de confusion qu’il faut clarifier, c’est qu’évidemment il peut y avoir comme dans tout produit issu de l’agriculture plus ou moins de résidus de pesticides, d’engrais etc mais ça n’a rien à voir avec la qualité intrinsèque du blé. Dire +le blé est toxique, il vous empoisonne+ avec un discours pseudo-scientifique, c’est jouer sur la peur des gens”, ajoute-t-il.

Produits sans gluten dans un rayon de supermarché Carrefour à Villeneuve-La-Garenne, près de Paris, le 7 décembre 2016. – THOMAS SAMSON / AFP

Quid du gluten, des allergies au blé et de la maladie coeliaque? 

Dans la version longue de son interview, Marion Kaplan évoque des “malades de blé”, sans donner plus de précisions.

Ces dernières années, la recherche a bien avancé sur l’intolérance au gluten, contenu dans certaines céréales dont le blé, le seigle ou l’avoine notamment. Mais la confusion règne toujours entre “vrais” intolérants, allergiques et “hypersensibles”.

Les premiers, pour qui il est vital d’exclure le gluten, sont victimes de la maladie cœliaque (archive). Cette affection détruit la paroi de l’intestin grêle et provoque anémie, diarrhées, perte de poids, douleurs osseuses, et même des retards de croissance chez les enfants.

Il n’y a pas de traitement, si ce n’est le régime sans gluten à vie. 1% de la population serait atteinte (soit 670.000 personnes en France) dont seulement 10 à 20% correctement diagnostiquées.

Le deuxième groupe concerne les allergiques, beaucoup moins nombreux (0,1 à 0,5% de la population). Un troisième groupe, les “hypersensibles”, pourrait concerner 0,5 à 15% de la population.

“Le gluten peut rendre malade les gens qui sont génétiquement prédisposés, c’est le cas de la maladie coeliaque, qui est une maladie auto-immune”, indique Catherine Grand-Ravel de l’INRAE. “A côté de cela, il y a quelque chose qui est monté en flèche ces dernières années, c’est l’hypersensibilité au gluten, avec des personnes qui disent avoir mal au ventre, quand ils consomment des produits à base de gluten. Ils ne sont ni coeliaque, ni allergique. Là la question se pose de savoir ce qui provoque cela : est ce que c’est le gluten ou est-ce que c’est autre chose? Il y a une étude clinique en cours qui apportera je l’espère des réponses à ces questions”.

Pour le professeur Cellier, les propos de Marion Kaplan semblent “fumeux” et “n’ont rien à voir” avec la maladie coeliaque “qui est une maladie bien identifiée, même s’il est vrai qu’elle est souvent mal diagnostiquée et qu’elle est un peu sournoise parce qu’elle se développe sur le long terme”.

 

Une jeune fille anorexique dans le service des troubles du comportement alimentaire du Centre des Maladies Mentales et de l’Encéphale de l’hôpital Sainte-Anne le 12 février 2007 à Paris. – JOEL SAGET / AFP

 

Quels risques d’un arrêt du blé pour la santé?

L’arrêt total et soudain du blé pourrait-il avoir des conséquences sur la santé? “C’est risqué quand des gens cherchent à mettre le doigt sur un aliment et qui arrivent à une sorte d’anorexie ou d’orthorexie alimentaire et à des carences qui peuvent être sévères”, met en garde le professeur Cellier. “Si on suspecte une intolérance au gluten, le mieux c’est de rechercher une éventuelle maladie coeliaque, on peut la diagnostiquer avec une prise de sang. Après on fait un bilan, on voit avec son médecin pour organiser éventuellement une adaptation du régime en fonction de ce dont on souffre. On peut faire un régime sans gluten très strict pour éliminer cette protéine de l’alimentation. On développe même des médicaments pour les gens qui ne répondent pas complètement au régime sans gluten”. 

Même inquiétude chez le professeur Pierre Déchelotte face au discours “alarmiste” véhiculé dans la vidéo de Marion Kaplan.  “Il faut rappeler que les glucides complexes, donc les sources d’amidon dont le blé, sont un élément essentiel de l’alimentation humaine dans tous les pays du monde, que ce soit le blé, le riz ou le manioc, c’est un élément essentiel de l’apport énergétique et de la régulation glycémique et que se priver d’aliments à base de blé peut favoriser des comportements de peur alimentaire”.

“Nous récupérons trop souvent des patientes et des patients qui ont suivi de pseudos gourous, naturopathes ou grands parleurs qui leur ont dit +il faut arrêter ci, il faut arrêter ça+, et qui finissent pas être complètement perdus dans leur alimentation”, ajoute-t-il. “Le risque de supprimer le blé c’est qu’on va supprimer beaucoup de sources à base de blé, tout ce qui concourt à la satiété et donc on va s’exposer à des grignotages, des rattrapages qui se font en général plutôt sur des aliments riches en sucre simple : on paye deux fois la facture dans une hypothétique protection”.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.33CR3N7.