La canicule de l’été 1976 est régulièrement citée comme preuve que les épisodes de chaleur intense ne sont pas nouveaux en Belgique. Sur les réseaux sociaux, des internautes utilisent cet argument pour minimiser l’impact de l’activité humaine dans le réchauffement climatique ou en nier l’existence plus simplement. Si l’épisode de la canicule de 1976 a marqué les mémoires de ceux qui l’ont vécu, l’analyse des observations sur une large période montre bien que les vagues de chaleur sont plus fréquentes, plus intenses et plus précoces ces dernières années.
Le 29 juin 2025, la RTBF publiait un article sur l’arrivée d’un « dôme de chaleur » en Belgique. Cet article, titré dans sa version définitive « Dôme de chaleur en Belgique : plus de 35 °C à l’ombre, l’IRM déclenche un avertissement orange » a été partagé sur le réseau social Facebook via la page RTBF Info (lien archivé ici). La publication a suscité plus de 1700 commentaires.
Parmi les nombreux internautes qui se sont exprimés, des dizaines d’entre eux ont évoqué la canicule de 1976 pour pointer le fait que ces phénomènes de chaleur intense n’étaient pas récents. D’autres ont utilisé cette référence qui date de près de cinquante ans pour relativiser ou nier les effets du réchauffement climatique.
« Rien d’anormal », « rien d’inhabituel », « c’est la saison », « lavage de cerveau »… Les commentaires sceptiques se multiplient sous le post Facebook qui montre une carte à dominante rouge vif, représentant la température des masses d’air qui circulent. « Ce ne sont que des cycles dans les années 1970 on a eu des fortes chaleurs aussi, rien avoir avec le réchauffement de la terre pour mieux vous taxer », argumente un commentateur. « Au secours il y a du soleil mdr. Ha oui, c’est l’été… Beaucoup ont oublié les années où il y a eu de telles températures !!! 1976 et bien d’autres », ajoute un deuxième. Un troisième observe : « Autrefois, le dôme de chaleur, on appelait ça l’été. Certains se souviennent de l’été 1976… »
Des souvenirs, il y en a quelques-uns dans les commentaires justement. « J’ai 63 ans. En 1976, il faisait 40 degrés [pendant le] mois juillet. C’est juste de la manipulation. Dans 50 ans on va se plaindre il fera moins 25 en hiver comme en 1962. »
La canicule de 1976, deux semaines à plus de 30°C
Pour celles et ceux qui l’ont vécu, l’été 1976 en Belgique reste gravé dans les mémoires comme l’un des plus exceptionnels du XXe siècle au niveau de la chaleur. « Au cœur d’une vague de chaleur exceptionnelle, on relève des maxima atteignant 36,7°C à Uccle ; 36,4°C à Bourg-Léopold ; 36,0°C à Maredsous (Anhée) ; 35,5°C à Virton et 35,2°C à Bruges », rapporte l’Institut Royal Météorologique (IRM) sur sa page des « événements remarquables ».
L’IRM ajoute que, cette année-là, « entre le 22 juin et le 8 juillet, la température maximale a dépassé 30°C à Uccle durant seize jours consécutifs ! Cette vague de chaleur, conjuguée à une sécheresse présente dans le pays depuis plusieurs mois, aura entraîné une grave pénurie d’eau potable imposant un rationnement de sa distribution. Localement, les pompiers, la protection civile et l’armée seront mobilisés afin d’assurer grâce à leurs camions-citernes la distribution d’eau. Dans le secteur agricole, les cultures ainsi que le bétail auront été très durement touchés par cette sécheresse. »
Archive Sonuma de 1976 sur la sécheresse qui inquiétait alors le monde agricole en BelgiqueDes épisodes de canicule qui se sont multipliés depuis 1976
Seize jours de chaleur consécutifs, c’est en effet un record qui avait de quoi marquer les mémoires pour longtemps. Pourtant, ce type de phénomène a été égalé depuis… et les vagues de chaleur se multiplient ces dernières années, comme le montre le graphique ci-dessous. La canicule de 1976 fut intense, c’est vrai. Mais elle fait presque figure d’exception dans les décennies qui l’entourent. La donne a bien changé.
Plus récemment, la Belgique vogue de records en records. Le dernier en date remonte au 1er juillet dernier. Avec 34.7°C, il n’avait jamais fait aussi chaud à Uccle dans l’histoire des relevés météorologiques belges.
Les vagues de chaleur se multiplient en Belgique. Elles sont plus longues, plus précoces, plus intenses aussi. Comme en 2019 quand l’IRM a activé un avertissement rouge à la chaleur, une première.
« C’est vrai qu’il y a déjà eu des canicules, mais il y en a de plus en plus et elles sont de plus en plus intenses », explique Xavier Fettweis, climatologue à l’université de Liège. Ce spécialiste souligne que l’année 1976 était « un OVNI » qui est en train de devenir la norme.
Si on prend le nombre total de jours par an où la température a atteint ou dépassé les 25°C, oui 1976 (et même 1959) figurent haut dans le classement. Mais le reste du « top 5 » date d’après 2000 avec 2003 (44 jours), 2022 (50 jours) et 2018 (61 jours). Quant à 2025, qui n’est pas terminée, nous sommes déjà à 23 jours au-dessus de 25°C.
Pourtant, par sa durée, 1976 reste la référence dans la mémoire des Belges. En 2022 par exemple, le journal télévisé comparait ainsi la sécheresse de cette année-là avec celle survenue 46 ans plus tôt.
De plus en plus se protéger du chaud
« Dans les projections futures [ce type de scénario] va se multiplier. On voit clairement une tendance à l’augmentation du nombre de canicules et de leur intensité », poursuit Xavier Fettweis.
Autre observation, que nous expliquions déjà dans un grand format où vous pouviez voir l’évolution du climat dans votre commune depuis votre naissance : nous sommes en avance par rapport aux prévisions pour le futur. « On a atteint 40°C en 2019. Or, dans les modèles, il fallait regarder à partir de 2050 pour avoir 40°C en Belgique. Donc ça montre bien que les modèles sont en retard par rapport à ce qu’on observe. »
Selon le climatologue de l’ULiège, « dans un monde à + 2°, les pires étés qu’on a déjà eu deviendront la normale, ce qui demandera d’adapter nos villes et maisons aux fortes chaleurs. Fini les maisons passives pour se protéger du froid. Il faudra à l’avenir se protéger plutôt du chaud ».
Différence entre météo et climat
Lorsque des internautes évoquent la canicule de 1976, ils se concentrent sur un phénomène isolé. Alors que ce qui compte en climatologie, c’est la tendance. Et ici, la tendance est clairement à une hausse des températures attribuable en partie à l’activité humaine qui rejette des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Cela ne signifie pas qu’il ne fera plus jamais froid, ni que les températures ne descendront plus jamais en dessous des normales de saison. Ce début de semaine était d’ailleurs plus froid que la normale.
Mais l’été n’est pas fini. Et cette année 2025 pourrait bien battre des records : « On a quand même eu 38°C début juillet et on n’est qu’au début de l’été, souligne Xavier Fettweis. Les canicules ont lieu normalement fin juillet, début août. Mais ici, quand on voit les prévisions, quand on voit les anomalies (~ + 5°C) de surface de la mer Méditerranée et de l’océan Atlantique, il est clair qu’on va avoir encore des vagues de chaleur et qui seront probablement même plus intenses que celles qu’on a eues en début de l’été. Donc c’est fort probable d’atteindre 40°C cet été comme on a eu en 2019. »
La météo correspond à une situation instantanée et locale du temps qu’il fait (température, précipitations, vent…). Cela induit de nombreuses variations et la possibilité de se retrouver face à des événements météorologiques exceptionnels et ponctuels. Il peut s’agir par exemple de grand froid, d’épisodes de canicules, de neiges abondantes ou encore de sécheresses.
À l’inverse, au sens étroit du terme, « le climat désigne en général le temps moyen » ou, plus précisément, il « se réfère à une description statistique fondée sur les moyennes et la variabilité » de ces mêmes grandeurs « sur des périodes variant de quelques mois à des milliers, voire à des millions d’années », selon le glossaire du GIEC (Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
La période « type » pour des observations sur le climat est fixée par l’Organisation météorologique mondiale à 30 ans.
Des observations ponctuelles ne sont pas des arguments scientifiques
En termes scientifiques, il est crucial de ne pas se limiter à des observations individuelles, mais de s’appuyer sur des ensembles de données importants pour valider ou infirmer des hypothèses. Cette approche permet de minimiser les biais potentiels et d’assurer une généralisation plus fiable des résultats.
La démarche scientifique ne se base donc pas uniquement sur des observations individuelles mais sur des ensembles de données importants. Les résultats observés (études, recherches…) sont ensuite partagés avec d’autres scientifiques (peer reviewing) qui peuvent remettre en cause la démarche ou la méthodologie choisie pour tenter d’aboutir à un consensus scientifique.
L’impact de l’activité humaine dans le réchauffement climatique, un fait avéré scientifiquement
Dans le cas de l’impact humain sur le réchauffement climatique, le consensus entre les chercheurs scientifiques sur le réchauffement climatique dit « anthropique » a atteint 100%. L’impact de l’homme dans le réchauffement actuel de la terre est donc scientifiquement avéré selon une étude qui a analysé 11.602 articles évalués par des pairs sur le « changement climatique » et le « réchauffement climatique » publiés au cours des 7 premiers mois de l’année 2019.
En 2021, une autre étude concluait que plus de 99% des publications scientifiques sur le sujet du réchauffement climatique convergeaient sur une responsabilité de l’activité humaine dans le réchauffement climatique.
Le réchauffement climatique, une source récurrente de désinformation
Ce n’est pas la première fois que l’un des articles météo de la RTBF publié sur Facebook soulève de nombreux commentaires, pour partie d’entre eux climatosceptiques. En 2024, Faky avait déjà publié un article pour analyser certains de ces commentaires et en démêler le vrai du faux.
Certains internautes sceptiques sur le réchauffement climatique partagent aussi parfois des graphiques décrivant les variations cycliques naturelles liées aux périodes glaciaires pour minimiser ou nier totalement l’impact de l’homme dans le réchauffement actuel de la terre. Une théorie réfutée scientifiquement, comme l’indiquent nos confrères d’AFP Factuel.
Plus récemment, ce sont des accusations de manipulation qui ont visé les médias au sujet des couleurs utilisées dans les cartes météo pour représenter les vagues de chaleur. Comme déjà expliqué en 2022 pour la RTBF, il ne s’agit pas d’effrayer le téléspectateur mais bien d’illustrer l’écart avec la température moyenne de la saison.
Dans le cas de l’exemple de la canicule de 1976, il s’agit d’un évènement exceptionnel. L’analyse du climat indique clairement une augmentation globale des températures et de fréquence de ces canicules. Par ailleurs, il y a un consensus scientifique sur l’impact de l’homme dans l’accélération du réchauffement de la terre.