De nombreuses vidéos circulent sur les réseaux sociaux et plateformes d’écoute musicale relayant des fréquences sonores, mesurées en hertz, auxquelles sont attribuées différentes vertus. Si certaines vantent leurs propriétés relaxantes, d’autres promettent, parfois par le biais d’offres payantes, “la guérison” de différents maux, y compris le cancer. Mais cela ne repose sur aucune base scientifique et peut se révéler dangereux si cette mode pousse des patients à arrêter leur traitement, soulignent des experts interrogés par l’AFP. La Direction générale de la santé rappelle que la “musicothérapie” n’est pas une méthode de soin reconnue en France, et la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes alerte sur des pratiques commerciales trompeuses qui peuvent faire l’objet de sanctions pénales.
Acné, cancer, grippe, lèpre, tétanos ou encore tuberculose : “voici une liste de certaines des maladies que la fréquence de 727 Hz guérit ou soulage, selon des études menées par le Dr Royal Rife”, assure une vidéo très regardée sur YouTube. Elle se compose d’une heure de musique relaxante assortie d’images hypnotiques de mandalas.
La fréquence 741 hertz, elle, “élimine les toxines, stimule le système immunitaire et nettoie les infections”, prétend une autre vidéo de la plateforme qui cumule plus de 3 millions de vues.
Sur les réseaux sociaux, ces vidéos sont abondamment relayées par des internautes qui vantent les mérites du “solfège sacré”, ou “solfeggio”, une croyance aux origines floues, et qui se compose d’une gamme de musique avec différentes fréquences qui possèderaient chacune des vertus spécifiques.
Le “solfège sacré” a gagné en visibilité grâce aux réseaux sociaux ces dernières années avec des internautes mettant en avant des propriétés apaisantes ou spirituelles de ces musiques. Mais certains vont plus loin et leur prêtent des propriétés thérapeutiques.
Sur le réseau social Tik Tok, prisé des jeunes, le #solfeggiofrequencies cumule ainsi à lui seul plus de 42 millions de vues.
Sur Spotify et Deezer, on trouve des playlists, qui ne sont pas modérées par les plateformes, consacrées à ces fréquences avec des titres comme “destruction des cellules cancéreuses par le solfège sacré” ou encore “Solfège sacré, la musique de guérison pour l’activation de l’ADN”.
Aucune base scientifique
Pour autant, ces vidéos, qui affirment “guérir” de maladies aussi graves que le cancer, reposent sur des méthodes qui n’ont jamais fait leurs preuves scientifiquement, ont expliqué plusieurs scientifiques interrogés par l’AFP.
Le cancer est une maladie provoquée par la transformation de cellules qui deviennent anormales et prolifèrent de façon excessive. La chirurgie et la radiothérapies, des traitements reconnus par la médecine conventionnelle pour certains types de cancer, visent justement à détruire localement ces cellules.
“Écouter de la belle musique est reposant et sans doute peut participer à apaiser l’anxiété, peut-être aussi la douleur”, a pointé auprès de l’AFP le 19 avril Pierre Saintigny, oncologue et chercheur au Centre Léon Bérard, qui précise néanmoins que cela nécessiterait d’être évalué scientifiquement.
Il pointe en revanche que la guérison par fréquence sonore n’est “absolument pas” reconnue scientifiquement, et juge “très dangereuse” cette tendance qu’il qualifie “d’escroquerie”.
Des publications sur internet renvoient, de manière récurrente, en guise de preuve, vers une même étude publiée en 2013: Traitement ciblé du cancer avec des champs électromagnétiques de radiofréquence modulés en amplitude à des fréquences spécifiques à la tumeur.
Mais ces travaux se penchaient sur l’utilisation de champs électromagnétiques de radiofréquences avec un dispositif qui se plaçait à l’intérieur de la bouche. Rien à voir, donc, avec le fait d’écouter des fréquences musicales comme le suggère le “solfège sacré”.
“Il n’y a en outre pas d’essai en cours de cette technologie [des champs électromagnétiques, NDLR] en oncologie actuellement, ce qui laisse penser que ça n’est pas une piste très investiguée”, a souligné le 19 avril Sarah Dumont, oncologue médical à Gustave Roussy.
Il est possible de le vérifier sur l’outil de recherche des essais cliniques en cours ClinicialTrials.gov.
“C’est un procédé classique : pour raccrocher à la religiosité et faire adhérer des personnes croyantes qui ont un terreau favorable, on leur parle de ‘fréquences ou solfège sacrés‘ et ça fait écho à leur croyance, ça prend du sens. Mais quelqu’un féru de science, lui, croira au fait que ça a été démontré scientifiquement donc on met une étiquette scientifique en disant que ça a été testé en laboratoire et ça se répand sur les réseaux sociaux”, analyse Romy Sauvayre, sociologue spécialiste des sciences et des croyances interrogée le 18 avril 2023.
Pratique non-reconnue
Le fait d’écouter de la musique pour espérer un effet thérapeutique comme le vantent les vidéos s’inscrit dans le champ de qui est souvent désigné par le terme “musicothérapie”, qui n’est pas reconnue en France.
La Direction générale de la santé (DGS), interrogée par l’AFP le 26 avril, se dit “particulièrement attenti[ve] au sujet des pratiques de soins non conventionnelles en santé (PNCS), dont la musicothérapie fait partie”.
“Les pratiques non conventionnelles de soins ou de santé dites (PNCS), parfois appelées ‘médecines alternatives ,’ ‘médecines complémentaires’, ‘médecines naturelles’, ou encore ‘médecines douces’, sont diverses, tant par les techniques qu’elles emploient que par les fondements théoriques qu’elles invoquent. Leur point commun est qu’elles ne sont pas reconnues au plan scientifique par la médecine conventionnelle, et que leur pratique n’est pas enseignée au cours de la formation initiale des professionnels de santé”, a expliqué la DGS à l’AFP.
Ces pratiques, qui étaient en forte croissance depuis une quinzaine d’années, se sont accélérées depuis la crise sanitaire, pointe l’agence.
Or, pour la sociologue Romy Sauvayre, il existe un risque réel à pratiquer ces méthodes dites “alternatives” si elles encouragent à stopper un traitement : “à partir du moment où on reste dans le ‘complémentaire’, en complément de la médecine conventionnelle, on n’abandonne pas son traitement et on peut par exemple utiliser de l’acupuncture pour soulager quelques symptômes”, souligne-t-elle.
“En revanche, il y a plein de mouvements alternatifs qui entrent dans ces propositions de remèdes miracles en promettant des guérisons, et il existe alors un risque de retard de soin, voire de perte de chance pour les patients quand ils pensent que ce traitement alternatif peut se substituer à la médecine traditionnelle car c’est toujours plus agréable d’écouter des sons que de subir une chimiothérapie, ou que de savoir qu’il n’existe pas de traitement. Ca donne de l’espoir”, alerte-t-elle.
La DGS pointe également un risque de “dérive sectaire” pouvant naître de cette pratique, même si la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) indique, en avril 2023, “ne pas avoir reçu de signalement sur le solfège sacré”.
“Dire qu’on peut régénérer des cellules est un discours dangereux qui s’inscrit dans la vague New Age et anti-sciences. C’est courant de jouer sur la spiritualité, le bien-être, et le développement personnel pour proposer des remèdes, c’est à la source de beaucoup de pratiques non conventionnelles. Ca peut être une porte d’entrée à une emprise”, abonde Marie Drilhon Vice-présidente de l’Union nationale des Associations de défense des familles et individus victimes de sectes (UNADFI), interrogée le 19 avril.
Un business lucratif
Sont notamment pointés du doigt par les spécialistes des formules payantes et particulièrement lucratives associés à ces “fréquences de guérison”.
Sur le site “developpementperso.com”, un pack “les fréquences thérapeutiques de guérison” est ainsi vendu 149 euros pour 6 fréquences. Sur le site mental-waves.com, déjà pointé du doigt par Libération (lien archivé ici) en 2020, un pack à 47 euros de la fréquence 528 hertz, censé être une “fréquence miraculeuse” soutient qu’il ” a été prouvé que le fait d’écouter une seule et simple et note de musique vibrant à 528 Hz pouvait réparer notre ADN “.
“Il faut faire la différence entre bien-être avec une musique qui berce et la promesse d’une guérison du cancer, cette dernière s’apparentant à de la publicité mensongère”, constate Marie Drilhon qui recommande de “regarder si les mentions légales de ces sites sont bien présentes, si celui-ci existe sur société.com et s’il existe des infractions à la législation comme un titre usurpé de médecin ou une publicité mensongère”.
“Les pratiques de soins non conventionnelles et les offres en ligne de services proposant des guérisons font l’objet d’enquêtes nationales de la part des services de la DGCCRF”, a mis en avant auprès de l’AFP le 26 avril la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes.
La DGCCRF explique que ces pratiques relèvent d’une “pratique commerciale trompeuse” puisqu’il s’agit “d’affirmer faussement qu’un produit ou une prestation de services est de nature à guérir des maladies, des dysfonctionnements ou des malformations”. (Articles L.121-1 et L. 121-4 du code de la consommation).”
“Les sanctions pénales pour pratique commerciale trompeuse prévoient jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende, assorties d’une interdiction d’exercer pour une durée maximale de cinq ans”, prévient la DGCCRF.
Si le solfège sacré n’a pas spécifiquement fait l’objet de contrôles, poursuit la DGCCRF, “toutes les pratiques ont vocation à se retrouver dans le champ de ces investigations. En 2020-2021, ce sont près d’une cinquantaine de disciplines différentes qui ont été contrôlées, des plus connues comme la naturopathie ou la réflexologie, à certaines plus rares comme les guérisseurs Reiki ou des pratiques revendiquant une action sur les ondes ou les flux d’énergie (access bars, thérapie quantique, biorésonance, géobiologie, magnétisme…)”.
Des pratiques souvent associées aux “fréquences sacrées” sur internet.
Pour limiter les risques, la DGCCRF conseille “de rester vigilant à toute allégation, notamment aux thérapeutiques, de veiller au respect des informations précontractuelles (prix pratiqués, droit de rétractation, clauses suspensives et abusives etc.) et de diversifier ses sources d’information sur les professionnels”.
De son côté, la Direction Générale de la santé appelle à se méfier lorsqu’un site “dénigre la médecine conventionnelle et les traitements qu’elle propose, incite à arrêter les traitements, promet une guérison ‘miracle’ même à un stade avancé de la maladie, propose des séances gratuites pour essayer une méthode ou une formation en ligne, recommande l’achat de produits présentés comme miraculeux, tient un discours pseudo-scientifique qui utilise des termes empruntés à la fois du domaine médical, psychologique et spirituel, incite à se couper de la famille, de son médecin ou de son entourage, pour favoriser la guérison” .
Elle appelle enfin “à se renseigner sur le parcours des ‘praticiens’ qui gèrent les sites” pour s’assurer de leur légitimité scientifique.
En 2021 et 2022, la DGCCRF a conduit une enquête sur les pratiques commerciales dans le secteur du “coaching bien-être”. Sur 165 professionnels ou établissements de formation, près de 80 % présentaient au moins une anomalie concernant l’information délivrée aux consommateurs en matière de compétences, de titres professionnels et de mentions valorisantes.