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Les gourdes contiennent-elles 40.000 fois plus de bactéries que les lunettes des toilettes ?

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Author(s): Grégoire Ryckmans

Des publications en ligne indiquent que les gourdes contiennent plus de bactéries que la lunette des toilettes. Ces publications se basent sur une étude réalisée qui indique qu’une gourde contiendrait en moyenne jusqu’à 40.000 fois plus de bactéries que l’abattant du WC. Cependant, les experts estiment que les éléments publiés dans cette étude sont insuffisants d’un point de vue scientifique. Par ailleurs, le nombre de bactéries présentes n’est pas forcément significatif en termes d’impact sur la santé : elles peuvent avoir des effets négatifs mais aussi positifs pour le corps humain.

Sur TikTok, une internaute indique que “les gourdes contiennent 40.000 fois plus de bactéries qu’un siège de toilettes”. Mise en ligne en mars 2023, la vidéo en anglais cumule aujourd’hui plus de 345.000 “vues”.

Plus récemment, diverses publications en français (123) et en anglais (123) ont repris cette information en titrant, par exemple : “Écœurant : Une gourde contient plus de bactéries qu’une lunette de WC”.

Une étude réalisée par une entreprise qui vend des filtres à eau et à la méthodologie contestable

Ces publications citent parfois une étude comme source et renseignent accessoirement un lien vers celle-ci. Il s’agit d’une étude publiée en 2022 par une entreprise étasunienne qui vend des filtres pour l’eau sous différentes formes. La société s’appuie sur cette étude pour faire de la communication autour de sa marque, comme dans cette vidéo Youtube, publiée le 17 janvier 2024.

Dans la publication de l’entreprise, Water Filter Guru indique avoir prélevé des échantillons de surfaces pour les besoins de cette étude. La société détaille sur son site internet et la page dédiée, la méthodologie utilisée pour réaliser l’étude. Elle n’a cependant été publiée dans aucune revue scientifique.

Interrogé par nos confrères de NWS Check de la VRT, Sander Govers, professeur de microbiologie à la KU Leuven, soulève des interrogations quant à la manière avec laquelle cette étude a été menée.

“Ils ont prélevé des échantillons de bactéries. Pour ce faire, ils ont utilisé un coton-tige stérile comme “écouvillon” et l’ont déposé sur une plaque de croissance en laboratoire. Les bactéries peuvent se développer sur cette plaque de croissance. Ils ont compté ces bactéries et ont ainsi calculé approximativement combien de bactéries se trouvaient à un endroit donné.”

“C’est tout ce qu’ils ont fait. Il est très difficile d’en tirer des différences quantitativement significatives. Par exemple, nous ne connaissons pas la taille de la zone contrôlée. En outre, notre environnement est plein de bactéries, y compris nous-mêmes. Un plus grand nombre de bactéries ne signifie pas nécessairement un plus grand nombre de mauvaises bactéries”, ajoute M. Govers.

Une étude qui ne correspond pas aux standards scientifiques

Koenraad Van Hoorde est chef de service chez Sciensano, l’institut belge de santé publique. Pour lui, il ne s’agit pas d’une étude scientifique solide, car il manque certains éléments. “Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une étude “peer-review”, ce qui signifie que la qualité scientifique ou la justesse des résultats présentés n’a pas été évaluée par d’autres personnes actives dans ce domaine d’expertise spécifique”.

Pour l’expert en agents pathogènes d’origine alimentaire, d’autres aspects sont absents de la publication. “Des éléments importants manquent, tels que le nombre d’échantillons, le mode expérimental, ce qui a été spécifiquement analysé comme la partie de la bouteille par exemple ou l’état des échantillons : s’agissait-il de gourdes lavées il y a deux jours, une semaine, un mois ?”, s’interroge-t-il.

M. Van Hoorde pointe encore d’autres manquements scientifiques dans la publication : le nombre de bactéries devrait être exprimé par rapport à un certain volume ou une certaine surface, les données n’ont pas été soumises à une analyse statistique et l’origine des données n’est pas référencée. Il pointe également le manque d’informations sur les bactéries détectées.

Une comparaison non pertinente, selon les scientifiques

Outre les questions relatives à la méthodologie de l’étude, Sander Govers de la KU Leuven estime via nos confrères de la VRT qu’il est difficile d’en commenter la conclusion (ndlr : les gourdes contiennent 40.000 fois plus de bactéries que les lunettes des toilettes). “Il y a très peu de recherches à ce sujet. Cela dépend du contexte dans lequel la recherche est effectuée et de la fréquence à laquelle certaines choses sont vérifiées”.

De son côté, Koenraad Van Hoorde de Sciensano va dans le même sens que M. Govers : “La littérature scientifique est très rare sur ce sujet. Une étude pertinente abordant les risques microbiens possibles liés à l’utilisation de bouteilles d’eau réutilisables et examinant également la surface des bouteilles a été publiée par l’IAFP (Association internationale pour la protection des aliments). Malheureusement, il n’est pas possible de comparer les résultats car des méthodes différentes ont été utilisées pour évaluer la charge microbienne sur les surfaces.”

Rijkelt Beumer, microbiologiste spécialisé dans les toilettes et affilié à l’université de Wageningen aux Pays-Bas, estime cependant que les conclusions publiées par Water Filter Guru sont probables. “Sur un siège de toilettes, on ne trouve généralement pas beaucoup de bactéries”, explique-t-il. “Elles survivent, mais comme le siège est sec, elles ne s’y développent pas. Elles meurent en quelque sorte jusqu’à l’arrivée du prochain utilisateur”.

Des bactéries différentes, pas forcément néfastes

Le professeur Nico Boon, directeur du Centre d’écologie microbienne et de technologie de l’Université de Gand, convient avec M. Govers que la comparaison entre les bactéries présentes dans les gourdes et celles des lunettes des toilettes est difficile. “Un tel siège de toilettes est bien sûr nettoyé très souvent. Mais en réalité, on compare ici des pommes et des poires. Il y a beaucoup de bactéries, et pas seulement des mauvaises, la plupart d’entre elles sont inoffensives”.

M. Van Hoorde estime que le paramètre mesuré dans l’étude de Water Filter Guru, à savoir les bactéries Gram – (les bactéries à Gram négatif ont notamment une paroi plus fine que les bactéries Gram +) est trop large et n’est pas spécifiquement liée à des bactéries néfastes pour l’être humain : “L’article fait un lien trop direct entre bactéries Gram- et pathogénicité, alors que seule une petite partie des Gram- est concernée. Comme les informations sur les bactéries récupérées à la surface des bouteilles sont limitées, il est difficile d’évaluer les risques particuliers”.

“Cependant, étant donné que l’eau – malgré sa bonne qualité – n’est pas un produit stérile, chaque fois que vous buvez, un “reflux” peut se produire dans le liquide de la gourde. Cela entraîne la présence de salive et de bactéries buccales. Et lorsqu’on boit à cette bouteille, des bactéries de la bouche peuvent donc s’y déposer et se développer ensuite. Une mauvaise hygiène, des températures élevées et le stockage prolongé de l’eau peuvent favoriser la croissance des organismes pathogènes”, précise encore le biologiste de Siensano.

Mais quels sont les risques réels liés à l’usage des gourdes ? Si les bouteilles ne sont pas nettoyées régulièrement et de manière incorrecte, elles peuvent constituer un réservoir potentiel pour la croissance bactérienne. “Avec le temps, vous avez une accumulation de bactéries parmi lesquelles peuvent se trouver des bactéries pathogènes. Ce sont des bactéries qui peuvent potentiellement vous rendre malade à long terme.”, indique M. Govers.

“Cependant, il ne faut pas être excessivement alarmé, car vous ne risquez probablement rien de nocif provenant de vos propres microbes, précise Koenraad Van Hoorde. Le risque augmente lorsque vous partagez votre bouteille. Et le risque est plus élevé pour le groupe des “YOPI” : les enfants, les personnes âgées, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées”, indique.

“Ainsi, une bonne hygiène, un nettoyage régulier et une bonne désinfection périodique ont du sens”, conclut-il.

L’importance de nettoyer sa gourde fréquemment

Selon l’étude mentionnée par les différentes publications, 60% des répondants à leur enquête indiquent qu’ils nettoient leurs gourdes au moins une fois par jour, mais 16% des Américains de la génération Z ne laveraient leurs gourdes que quelques fois par an.

Les experts, comme la virologue Océane Sorel, préconisent pourtant de laver régulièrement ces bouteilles réutilisables et de le faire en profondeur. Idéalement au lave-vaisselle, si la gourde est adaptée, mais sinon avec de l’eau chaude et du liquide vaisselle. Idéalement avec une brosse adaptée pour atteindre les recoins et le fond du récipient ou un goupillon. La paille, parfois incluse, doit, elle aussi, être lavée soigneusement.

Les experts recommandent ensuite de bien faire sécher l’ensemble car les bactéries et les microbes se développent plus vite dans des milieux humides.