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L’Onu a mentionné les “avantages” de la faim dans le monde? Attention à l’interprétation de cet article

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Author(s): AFP France

L’Onu a publié un article “mettant en évidence” les “avantages de la faim” dans le monde avant de le retirer, affirme une publication relayée sur les réseaux sociaux près d’un millier de fois depuis le 3 juillet 2023. Les Nations unies chercheraient ainsi à “rendre esclaves” les populations, selon cette publication. Attention : un article rédigé par un professeur américain et intitulé “les avantages de la faim dans le monde” a bien été publié dans un magazine onusien en 2008 mais il a fait l’objet d’une interprétation erronée et a donc été retiré, a indiqué l’Onu. L’auteur de l’article a de son côté expliqué en 2022 que son texte visait initialement à dénoncer “certaines personnes au pouvoir” tirant profit de l’insécurité alimentaire.

“L’ONU, cette autre organisation élue par personne, veut nous rendre esclaves ! L’ONU a publié un article qui met clairement en évidence les ‘avantages de la faim’ dans le monde : ‘les personnes affamées travailleront mieux parce qu’elles travaillent pour la nourriture’. Peu de temps après, l’article a été retiré du site web de l’ONU'”, écrit Silvano Trotta, dont les allégations ont déjà été vérifiées à plusieurs reprises par l’AFP (1, 2, 3).

Son message publié sur Twitter le 3 juillet 2023 a été relayé depuis plusieurs centaines de fois sur les réseaux sociaux.

Capture d’écran du compte Twitter de Silvano Trotta, prise le 04 juillet 2023

Attention : un article intitulé “les avantages de la faim dans le monde” a bien été publié dans un magazine onusien en 2008 mais l’Onu n’en est pas l’auteur à proprement parler, contrairement à ce que laisse entendre Silvano Trotta.

Les Nations unies ont officiellement confirmé en 2022 avoir retiré le texte de leur site internet en raison de l’interprétation erronée qui en a été faite. L’auteur de l’article, un professeur en sciences politiques, a de son côté reconnu “l’ambiguïté” de son texte qui visait à dénoncer “certaines personnes au pouvoir” tirant profit de l’insécurité alimentaire.

Revenons à l’article en question : une rapide recherche sur Google permet de le retrouver (lien archivé) sous format PDF sur le site de l’université d’Hawaï, où enseignait son auteur, le professeur de sciences politiques George Kent (lien archivé). En bas de l’article, on peut lire que le document appartient à la Chronique de l’Onu, magazine des Nations unies lancé en 1946. On ne trouve, en juillet 2023, aucune trace de l’article sur le site de l’Onu.

“Une grande partie de la littérature sur la faim parle de l’importance de veiller à ce que les gens soient bien nourris afin qu’ils puissent être plus productifs”, écrit George Kent dans son article. “C’est un non-sens. Personne ne travaille plus dur que les gens qui sont affamés. Oui, les personnes bien nourries ont une plus grande capacité en terme d’activité physique productive, mais les personnes bien nourries sont beaucoup moins disposées à faire” ce type de travail.

“Pour ceux d’entre nous qui nous situons au sommet de l’échelle sociale, mettre fin à la faim dans le monde serait une catastrophe”, ajoute le professeur américain. “S’il n’y avait pas de faim dans le monde, qui labourerait les champs ? Qui récolterait nos légumes ? Qui travaillerait dans les usines d’équarrissage ? Qui nettoierait nos toilettes ?… Pas étonnant que les gens de la haute ne se précipitent pas pour résoudre le problème de la faim. Pour beaucoup d’entre nous, la faim n’est pas un problème, mais un atout”.

 

Capture d’écran de l’article de George Kent, prise le 4 juillet 2023 sur le site de l’université d’Hawaï

 

Au moment de sa publication en 2008, l’article ne suscite pas de réactions. Il faudra attendre 14 ans, en juillet 2022, pour qu’il ressurgisse sur les réseaux sociaux, aux Etats-Unis. Des internautes voient alors dans l’analyse faite par George Kent la preuve d’un projet de l’Onu visant à maintenir la faim dans le monde (ici ou ici).

C’est la preuve “que les pénuries alimentaires et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement sont fabriquées par les Nations unies, le Forum économique mondial et l’Organisation mondiale de la santé dans le but d’instituer un nouvel ordre mondial”, a-t-on notamment pu lire.

Face à l’avalanche de réactions et à la viralité de ces publications dans les sphères complotistes, la Chronique de l’Onu réagit le 6 juillet 2022 sur son compte Twitter en expliquant que l’article en question était “une tentative de satire” et n’avait aucune vocation à être “pris au pied de la lettre”.

De son côté, George Kent fait, à plusieurs reprises, une mise au point sur l’objectif de son texte dont il reconnait “l’ambiguïté”. “Mon article visait à attirer l’attention sur ce que je considère comme un simple fait : certaines personnes bénéficient d’une faim persistante”, a-t-il notamment déclaré (lien archivé) en juillet 2022. “Il est important de prêter attention à ce point. Mon article n’a pas été écrit comme une sorte de blague ou comme un éloge pour une faim persistante”. 

“Le but de mon article de 2008 était d’appeler à la reconnaissance du fait que certaines personnes au pouvoir résistent aux efforts pour mettre fin à la faim persistante parce qu’elles en bénéficient. Cela devrait être examiné”, ajoutait-il. “Mon intention était d’appeler à une meilleure compréhension du problème afin que nous puissions lutter plus efficacement contre la faim.”

Un enfant de huit mois reçoit des aliments à haute valeur nutritive dans un camp de personnes déplacées, à Baidoa, en Somalie, le 14 février 2022 – YASUYOSHI CHIBA / AFP

Selon l’Onu, l’insécurité alimentaire a encore progressé dans le monde en 2022 sous l’effet des conflits, des chocs économiques et des crises climatiques. Au total, 258 millions de personnes ont eu besoin d’une aide d’urgence cette année-là contre 193 millions en 2021.

C’est “un constat cinglant de l’échec de l’humanité à aller vers l’élimination de la faim, l’objectif de développement durable numéro 2” des Nations unies, a déploré début mai son secrétaire général, Antonio Guterres.

L’insécurité alimentaire aiguë englobe les niveaux 3 à 5 de l’échelle internationale de la sécurité alimentaire :  “crise”, “urgence” et “catastrophe”. Quelque 40 % des personnes affectées en 2022 résidaient dans seulement cinq pays : la RDC, l’Éthiopie, l’Afghanistan, le Nigeria et le Yémen. Au total, 376.000 personnes se trouvent dans la phase “catastrophe”, la plus critique, et 57 % d’entre elles vivent en Somalie.

En dépit de l’urgence de la situation, les “ressources financières baissent de jour en jour”,  a déploré de son côté la nouvelle directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM), Cindy Hensley McCain, ce qui conduit “à réduire les rations pour des millions de personnes qui ont faim”.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.33ME4NX.