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Non, les migrants en Allemagne n’ont pas envoyé 43 milliards d’euros dans leur pays d’origine

Non, les migrants en Allemagne n'ont pas envoyé 43 milliards d'euros dans leur pays d'origine - Featured image

Author(s): Théo MARIE-COURTOIS / AFP France

En Allemagne, le nombre de demandes d’asile a bondi de 50% entre 2022 et 2023, selon des chiffres dévoilés en janvier par l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés. Dans ce contexte, plusieurs internautes assurent que les migrants présents sur le sol allemand auraient envoyé 43,5 milliards d’euros à leur famille restée dans leur pays d’origine. Mais c’est faux. Il s’agit ici de chiffres portant sur l’ensemble des transferts réalisés depuis l’Union européenne vers des pays en dehors de l’UE. Les envois effectués par les migrants en Allemagne, essentiels au développement économique de nombreux pays selon des économistes contactés par l’AFP, représentaient 7 milliards d’euros en 2023.

“Allemagne : Les migrants reçoivent tellement d’aide sociale qu’ils envoient environ 43,5 milliards d’euros dans leur pays d’origine vers des membres de leur famille”, écrit sur X un internaute dans une publication partagée plusieurs milliers de fois depuis le 27 janvier.

Une image dont les codes visuels reprennent ceux de la chaîne de télévision allemande Welt accompagne ce message. L’AFP n’a pas été en mesure de retrouver cet extrait dans les archives vidéos de la chaîne de télévision.

“Transfert d’argent à domicile : Les migrants envoient 43,5 milliards à l’étranger”, peut-on lire sur le bandeau explicatif.

Capture d’écran réalisée sur X le 01/02/2024

Cette affirmation est également relayée sur Facebook, dans d’autres langues, comme en allemand et en néerlandais.

Le partage de ces messages intervient alors que l’extrême droite allemande a essuyé le 28 janvier un revers électoral dans le sillage de manifestations d’une ampleur inédite dans le pays contre son programme, alors qu’elle semblait depuis des mois sur une dynamique ascendante inarrêtable (lien archivé ici).

Chiffres européens

Le chiffre de 43,5 milliards d’euros avancé dans les publications virales correspond en réalité aux “transferts personnels” depuis tous les pays de l’UE vers l’extérieur pour l’année 2023, comme l’indique l’institut européen de statistiques Eurostat (lien archivé ici). En clair : l’addition de tous les envois et virements réalisés par les foyers de l’Union européenne vers des foyers situés en dehors de l’UE. Ceci exclut par exemple les mouvements financiers entre Etats ou entreprises.

Sont ainsi comptabilisés aussi bien les versements pour payer l’éducation d’un enfant à l’étranger, les héritages ou bien les sommes d’argent que certains migrants peuvent envoyer à leur famille restée dans leur pays d’origine.

Ces transferts personnels de l’UE vers l’extérieur ont grimpé de plus de 41% depuis 2018 et de 14% entre 2021 et 2022.

Capture d’écran réalisée le 01/02/2024 sur le site d’Eurostat représentant les flux d’argent entrant et sortant de l’Union européenne

Les sommes d’argent effectuant le chemin inverse ont aussi augmenté sur la même période, mais dans une proportion moindre (+15%), ce qui induit “un solde négatif croissant […] atteignant 30 milliards d’euros en 2022”, selon Eurostat.

Ces chiffres cachent toutefois de grandes disparités entre les pays, Chypre, Malte et l’Espagne présentant par exemple des flux d’argent sortants bien plus importants que ceux entrants. Au contraire, les foyers croates et bulgares reçoivent bien plus d’argent que ce qu’ils n’envoient, permettant à ces deux pays d’afficher un solde largement positif (respectivement 2,8% et 1,4% de leur Produit intérieur brut, PIB).

Concernant l’Allemagne, les données de l’Union européenne pointent un solde légèrement négatif, représentant 0,2% du PIB du pays.

Capture d’écran réalisée le 01/02/2024 sur le site d’Eurostat représentant les soldes de transferts d’argent en pourcentage de PIB

Il n’existe pas de suivi exhaustif des transferts d’argent de l’Allemagne vers d’autres pays. Mais la banque fédérale, la banque centrale du pays, compile différentes statistiques pour arriver à une estimation annuelle (lien archivé ici).

Selon l’institution, en 2022 plus de 7,1 milliards d’euros auraient ainsi été transférés en dehors du pays, contre 5,1 milliards en 2018. La Turquie, la Roumanie, la Pologne et la Syrie sont les principales destinations de ces envois.

Il est possible de remarquer des similitudes avec l’origine des personnes immigrant en Allemagne.

Parmi les 23,8 millions de personnes d’origine étrangère vivant en Allemagne, dont près de deux-tiers sont des migrants de première génération, 11,9% viennent de Turquie, 9,2% de Pologne, 5,1% de Syrie et 4,6% de Roumanie (lien archivé ici).

Autres pays de départ de nombreux migrants, la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan font moins l’objet de transferts de fonds.

En ajoutant à ces transferts personnels les salaires versés à des travailleurs en Allemagne vivant à l’étranger (comme les frontaliers), la banque fédérale allemande aboutit pour le pays à un total de près de 23,5 milliards d’euros de fonds transférés en 2023.

De son côté, la Banque mondiale, dont les données les plus récentes datent de 2022, tablait sur 17 milliards de dollars, soit environ 15,75 milliards d’euros (lien archivé ici).

“Obligation morale”

Loin d’être anodins, ces transferts d’argent ont représenté, en 2023, 669 milliards de dollars à l’échelle de la planète, un record selon la Banque mondiale (lien archivé ici). Une nouvelle hausse est anticipée pour 2024.

Cette manne financière a été “la première source de financement pour les pays à revenu faible ou intermédiaire, dépassant les investissements directs étrangers (IDE) de plus de 250 milliards de dollars” relève la Banque mondiale.

Aujourd’hui, “environ 800 millions de personnes dans le monde – soit une personne sur neuf – reçoivent ces flux d’argent envoyés par les membres de leur famille ayant émigré pour travailler”, pointe de son côté l’ONU (lien archivé ici).

“En moyenne, les travailleurs migrants envoient entre 200 et 300 dollars chez eux tous les un ou deux mois. Contrairement peut-être à la croyance populaire, cela ne représente que 15 % de ce qu’ils gagnent : le reste – 85 % – reste dans les pays où ils gagnent réellement cet argent et est réinjecté dans l’économie locale ou épargné”,  ajoutent les Nations unies.

Pour les familles de migrants restées dans leur pays d’origine, “il y a une réelle attente” envers ces transferts d’argent explique à l’AFP Matthias Lücke, chercheur sur la migration à l’Institut de Kiel sur l’économie mondiale. Du côté des migrants, “il y a en quelque sorte une obligation morale, puisqu’ils sont relativement plus riches” que leurs proches, assure l’universitaire.

Ces fonds “représentent souvent une part importante du revenu total d’un ménage dans les pays d’origine et, à ce titre, représentent une bouée de sauvetage pour des millions de familles”, explique l’ONU.

“Utilisé par les familles pour améliorer leur qualité de vie, comme en investissant dans l’éducation, cet argent peut aider certains pays à se développer”, relève pour l’AFP Herbert Brücker, chef du département Migrations à l’Institut de recherche sur le marché du travail et les professions de Nuremberg.

Carte de paiement

L’Allemagne a connu en 2023 une hausse de plus de 50% des demandes d’asile par rapport à l’année précédente, avec plus de 350.000 dossiers déposés selon des chiffres de l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés (lien archivé ici).

Un réfugié est assis pendant que ses vêtements sèchent dans l’enceinte du centre d’arrivée du centre d’accueil initial du Land de Brandebourg, dans l’est de l’Allemagne, à Eisenhuettenstadt, le 25 octobre 2021 – JENS SCHLUETER / AFP – JENS SCHLUETER / AFP

Jusqu’ici, tout étranger arrivé dans un centre de premier accueil – où il est nourri et logé – recevait 182 euros en liquide par mois “pour ses besoins personnels nécessaires”.

Mais plusieurs voix, notamment celle de l’opposition conservatrice, reprochaient à ce système d’être trop attrayant, incitant les étrangers à venir en Allemagne: selon elles, l’argent versé en liquide était envoyé par les réfugiés dans leur pays d’origine au lieu de servir à acheter des produits de première nécessité.

Un accord conclut mercredi entre quatorze des seize Etats régionaux prévoit donc l’introduction d’ici l’été d’une carte de paiement aux débouchés limités (lien archivé ici).

Cette carte donnant la possibilité aux étrangers de faire des achats de première nécessité dans les magasins (produits d’hygiène par exemple) fait partie des mesures décidées en novembre dernier par le chancelier Olaf Scholz et les chefs des 16 Länder.

Chaque Etat régional décidera lui même du montant affecté à la carte qui fonctionne sans être liée à un compte bancaire. Cette carte ne pourra pas être utilisée à l’étranger et il ne sera pas non plus possible de l’utiliser pour des virements d’Allemagne vers l’étranger.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.34H99YV.