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Non, une étude américaine sur un refroidissement de l’océan Atlantique équatorial ne remet pas en cause le réchauffement climatique

Non, une étude américaine sur un refroidissement de l'océan Atlantique équatorial ne remet pas en cause le réchauffement climatique - Featured image

Author(s): Gaëlle GEOFFROY / AFP France

Les océans ont atteint ces derniers mois des records de températures, sur fond de réchauffement climatique induit par les activités humaines et de déploiement du phénomène El Niño dans le Pacifique. Cela n’empêche pas des variations de températures localement. Ainsi, un océanographe de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) constate depuis juin 2024 un refroidissement marqué dans la partie équatoriale de l’océan Atlantique. Habituel à cette période, il est toutefois cette année particulièrement rapide. Surfant sur des articles de presse aux titres réducteurs, des internautes se sont emparés de cette information pour contester la réalité du réchauffement climatique. Mais si la rapidité de ce refroidissement reste pour l’heure inexpliquée, elle n’invalide en rien le dérèglement climatique et les données scientifiques accumulées sur le réchauffement des océans, a expliqué à l’AFP le scientifique à l’origine de ces observations.

“Emoi chez les réchauffistes : l’Atlantique se refroidit à une vitesse record…”, ironise une publication sur Facebook le 23 août 2024. “L’océan Atlantique se refroidit actuellement à une vitesse jamais mesurée depuis le début des relevés de température océanique en 1982. Les scientifiques n’y voient pour l’instant aucune explication satisfaisante !”affirmait deux jours plus tôt Florian Philippot, le président du parti Les Patriotes, en citant un article de la revue New Scientist. “Rien ‘ne correspond à leur modèle’ : car leur modèle est faux peut-être ?!…”, en concluait-il.

Pour François Asselineau, président de l’Union populaire républicaine (UPR), c’est un “NOUVEAU BUG DANS LE NARRATIF DU RECHAUFFEMENT [sic]. Pour preuve selon lui sur X : en février 2024 on annonçait que “l‘Atlantique a battu des records de chaleur en août 23″ et “on nous di[sai]t que ce phénomène ‘inquiétant’ confirme la gravité du réchauffement mondial”, et le 20 août 2024, on nous dit que “l‘Atlantique bat des records de froid” et que “nul ne sait pourquoi”. Une publication relayée plus d’un millier de fois au 22 août.

Capture d’écran, réalisée le 22 août 2024, d’une publication sur Facebook
Capture d’écran, réalisée le 22 août 2024, d’une publication sur X

Circulent aussi sur les réseaux sociaux des posts moins relayés mais nombreux doutant de la véracité du réchauffement climatique, évoquant ces affirmations avec le hashtag “climategate”, ou émanant de comptes ayant par le passé diffusé des informations trompeuses ou fausses sur la réalité de ce dérèglement.

On retrouve par ailleurs cette rhétorique dans des publications en anglais et en grec.

Mais attention : ce n’est pas l’océan Atlantique dans son ensemble qui se refroidit à une vitesse étonnante, c’est une zone en particulier, la zone équatoriale, comme l’ont montré des observations d’un scientifique de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) qui laissent penser qu’un phénomène de “Niña atlantique” s’y formerait. La confusion a été alimentée par des raccourcis dans les titres d’articles de presse en ligne évoquant ces données.

De plus, ces observations ne remettent en cause ni les records de températures constatés ces derniers mois à la surface des océans, ni le réchauffement climatique et les dérèglements qu’il induit, actés par le consensus scientifique, c’est-à-dire des milliers d’études scientifiques sur le sujet à travers le monde.

Le réservoir de la localité de Sau, dans la province espagnole de Gérone, en Catalogne, frappée par la sécheresse, le 15 janvier 2024 – LLUIS GENE / AFP

Titres corrigés

Comme François Asselineau sur Facebook, plusieurs publications en français relaient une capture d’écran d’un article de Courrier International titré “L’Océan Atlantique se refroidit à une vitesse record et personne ne comprend pourquoi”, paru le 20 août sur le site internet de l’hebdomadaire français (archive). “Que se passe-t-il avec l’océan Atlantique ? Après quinze mois de surchauffe mondiale des océans, le deuxième océan de la planète se refroidit plus rapidement que jamais depuis trois mois”, y était-il notamment écrit, avant que ne soit évoqué dans le reste du papier “l’océan Atlantique équatorial”.

L’hebdomadaire a été particulièrement critiqué sur X par l’agroclimatologue Serge Zaka, qui l’a accusé le 20 août de “nourrir le climato-scepticisme” avec “un titre racoleur” évoquant seulement l’Atlantique, à rebours des connaissances scientifiques (archives 12).

Le lendemain, le 21 août, Courrier International modifiait son titre, pour “éviter de fausses interprétations”, soulignait-il sur son site. “Des parties de l’océan Atlantique se refroidissent à une vitesse record”, titrait-il. Mais le paragraphe interrogeant sur ce qu’il “se passe avec l’océan Atlantique” demeurait au moment de la publication de notre article.

Dans cet article, Courrier International cite notamment un article du New Scientist dont il s’est inspiré. Paru sur le site de la revue britannique le 19 août, celui-ci titrait “The Atlantic is cooling at record speed and nobody knows why” (archive). Là encore, “l’Atlantique” dans le titre, “l’océan Atlantique équatorial” dans le corps du papier.

La revue britannique a ensuite modifié son article le 22 août ; elle n’y évoque plus que “des parties” de l’Atlantique se refroidissant (archive).

Contacté par l’AFP, Courrier International a souligné le 22 août que son papier citait “des sources sérieuses avec lesquelles [il] a l’habitude de travailler” et “ne remet[tait] en aucun cas en question la réalité du réchauffement planétaire d’origine anthropique dont [il] se fait régulièrement l’écho et depuis longtemps  [archive]“. L’article renvoie également à l’article scientifique de la NOAA, souligne Courrier International, en rappelant que “c’est la période et la rapidité de ce refroidissement (le plus rapide depuis qu’il existe des relevés systématiques en 1982) qui intrigue, comme l’explique l’océanographe Franz Philip Tuchen à New Scientist et dont nous avons cité quelques-uns des propos traduits en français”.

Sollicité par l’AFP le 22 août, le journaliste auteur du papier dans le New Scientist n’avait pas répondu au moment de la publication de notre article.

Plusieurs autres sites de magazines français ont évoqué dans leurs titres ce soi-disant refroidissement de “l’Atlantique” dans son entier, comme Geo, ou Slate, qui l’a toutefois par la suite corrigé (archive).

Le refroidissement de l’Atlantique équatorial – et non de l’Atlantique dans son ensemble – est une information authentique. Elle émane d’un article scientifique publié quelques jours plus tôt, le 14 août 2024, sur le site de l’agence américaine NOAA par un océanographe de l’université de Miami, Franz Philip Tuchen, qui s’est, comme nous le verrons, intéressé à ce phénomène habituel dans cette zone mais étonnamment rapide cette année (archives 12).

Capture d’écran, réalisée le 23 août 2024, des premières lignes de l’article de l’océanographe Franz Philip Tuchen sur le site de l’agence NOAA

Interrogé par l’AFP, Franz Philip Tuchen a vu dans ces confusions des “mésinterprétations” de son article avec des titres “quelque peu trompeurs qui suggèrent que tout l’Atlantique est plus froid que la normale, ce qui n’est certainement pas le cas”. “Le refroidissement rapide que nous avons observé de mars/avril à juin/juillet/août est intervenu dans l’Atlantique équatorial, a-t-il insisté dans un email en date du 22 août 2024.

Capture d’écran, réalisée le 23 août 2024, du site de l’Encyclopédie Universalis. La partie équatoriale de l’océan Atlantique se situe de part et d’autres de la ligne de l’équateur, entre la côte nord-est du Brésil à l’ouest et le Golfe de Guinée à l’est

Rapidité “remarquable” du refroidissement

On a l’habitude d’entendre parler dans les médias d’El Niño et la Niña dans le Pacifique oriental, ces phénomènes océaniques puissants qui affectent les vents, les températures de l’océan et les niveaux de précipitations. Ils sont les deux phases opposées du cycle dit “El Niño Southern Oscillation”, ou “ENSO” (archive).

El Niño, qui a des conséquences importantes sur la météorologie mondiale en augmentant par exemple la température des eaux de surface du Pacifique oriental au-delà de la moyenne, s’est manifesté du printemps 2023 au printemps 2024. Une phase neutre précédant le développement de La Niña est en cours actuellement, indiquent les dernières données de la NOAA (archive).

On sait moins que l’Atlantique connaît pareil système, quoique moins vaste. Or, les recherches de Franz Philip Tuchen ont montré que le refroidissement des eaux de surface habituellement à l’oeuvre en juillet/août dans sa partie équatoriale orientale est cette année étonnamment rapide.

Le graphique ci-dessous transmis à l’AFP le 22 août par le scientifique de la NOAA montre, en bleu, les températures plus froides que la moyenne enregistrées sur la période juin/juillet/août de part et d’autre de l’équateur, tandis que d’autres immenses zones alentours, en rouge, sont plus chaudes que la moyenne, ce qui laisse penser qu’un phénomène de type “Niña atlantique”, marqué par un refroidissement des eaux, se serait développé cette année, explique M. Tuchen. Un phénomène connu des scientifiques, mais dont la rapidité cette année a surpris.

Carte transmise à l’AFP par Franz Philip Tuchen le 22 août 2024 montrant le refroidissement en cours dans l’Atlantique équatorial oriental, au large du Golfe de Guinée, au niveau de l’équateur (parallèle 0°)

Habituellement, les températures de surface des eaux de l’océan Atlantique équatorial oriental varient entre des périodes de chaleur maximum au printemps, et des périodes de refroidissement, sous les 25 degrés Celsius, en juillet et août, rappelle Franz Philip Tuchen dans son article intitulé “Une Niña atlantique sur le point de se développer. Voici pourquoi nous devrions nous y intéresser” (archive).  C’est l’Atlantic Zonal Mode.

Ce refroidissement estival est lié aux alizés qui, en balayant la surface de l’océan dans cette zone, permettent une remontée à la surface des eaux froides plus profondes, un phénomène connu sous le nom d’“upwelling équatorial” (archive).

Mais comme pour El Niño et La Niña, périodiquement, les eaux sont, selon les phases de ce cycle, plus chaudes que la moyenne (on parle alors de “Niño atlantique”) ou plus froides (“Niña atlantique”) : il faut généralement trois mois d’affilée de températures des eaux de surface de l’océan Atlantique équatorial oriental supérieures ou inférieures de 0,5 degré Celsius pendant au moins deux saisons pour avoir un Niño ou une Niña atlantiques, précise Franz Philip Tuchen.

Surprise cette année : alors que l’Atlantique équatorial oriental a connu des eaux de surface particulièrement chaudes en février/mars 2024, à plus de 30°C, la transition vers la période de températures plus froides que la moyenne a été “remarquablement rapide”, dit-il. La bascule a été la plus rapide constatée par la NOAA depuis 1982. Et, de manière là encore “surprenante”, elle a coïncidé en juin/juillet “avec un affaiblissement des vents de sud-est près de l’équateur”, des conditions a priori défavorables pour une Niña atlantique.

Capture d’écran, réalisée le 23 août 2024, d’un graphique issu de l’article de Franz Philip Tuchen, montrant le décrochage (en bleu) des températures des eaux de surface de l’Atlantique oriental par rapport aux normales saisonnières (en noir épais)

Ainsi, depuis début juin, les températures de surface de l’océan Atlantique équatorial oriental ont été de 0,5 à 1°C plus froides que la moyenne pour cette période de l’année. Une persistance de ces conditions jusqu’à fin août confirmerait une Niña atlantique, indique Franz Philip Tuchen.

“Cette Niña atlantique potentielle peut être considérée comme une amplification du refroidissement normal qui intervient à cette période chaque année”, commente-t-il auprès de l’AFP, en rappelant que ces événements ne durent habituellement jamais plus de trois à quatre mois.

Or, si des variations de l’ordre d’un degré ou un demi-degré des températures de surface des eaux de l’Atlantique peuvent paraître infimes, cela n’est pas sans conséquence, car cela affecte les régimes de précipitations sur les continents alentours, dans la région du Sahel, le Golfe de Guinée ou le nord-est de l’Amérique du Sud. Des études scientifiques ont par exemple montré que les Niños atlantiques augmentaient la probabilité de la formation de cyclones puissants au large des îles du Cap-Vert, souligne Franz Philip Tuchen.

Les recherches se poursuivent pour comprendre les ressorts et les conséquences de ces phénomènes. Reste que, contrairement à ce qu’affirment certaines publications sur les réseaux sociaux, ce refroidissement rapide ne remet à aucun moment en cause d’une part le réchauffement des océans, d’autre part le réchauffement climatique à l’oeuvre sur Terre et pour lequel le consensus scientifique a démontré grâce à des milliers d’études l’origine humaine.

Le lit du barrage de Kapotesa, à Mudzi, au Zimbabwe, asséché à cause du phénomène El Niño, le 2 juillet 2024 – JEKESAI NJIKIZANA / AFP

L’étude américaine n’invalide pas le réchauffement climatique

“Cet épisode froid dans l’Atlantique équatorial ne doit pas être considéré comme un signe d’une diminution du réchauffement climatique, mais plutôt comme un écart de court terme” s’ajoutant à la tendance fond du réchauffement climatique, souligne ainsi Franz Philip Tuchen.

“Le refroidissement dans l’Atlantique équatorial ne contredit pas le fait que juillet 2024 a été le mois le plus chaud jamais enregistré sur Terre en raison de la hausse continue des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère”, a abondé Michael McPhaden, océanographe auprès de la NOAA, dans un email à l’AFP le 22 août 2024 : la température mondiale moyenne a atteint 15,8°C en juillet, soit 1,21°C au-dessus de la moyenne du 20e siècle selon l’agence américaine (archives 12).

Anomalies de températures à la surface des océans en juillet 2024, selon les données de l’observatoire européen Copernicus – Maud ZABA, Nalini LEPETIT-CHELLA / AFP

Les océans, qui recouvrent 70% de la surface de la Terre et jouent un rôle clé dans la régulation du climat mondial, ne cessent, eux, de se réchauffer. Leur température moyenne en surface (hors zones proches des pôles) a atteint un nouveau record absolu en mars 2024, à 21,07°C, selon l’observatoire européen Copernicus (archive).

Dans l’océan Atlantique Nord, un record de température moyenne de l’eau en surface a été atteint en juillet, à 24,9°C, selon des données préliminaires de la NOAA, dont les relevés ont commencé au début des années 1980 (archive).

Fin août 2024, les températures de surface des océans dans le monde (graphique de gauche ci-dessous), y compris dans l’Atlantique Nord (graphique de droite), restent à des niveaux record plus de 40 ans, comme l’indiquent ces données de la NOAA synthétisées par l’Université du Maine dans son outil Climate Reanalyzer (ligne noire épaisse pour 2024 et orange pour 2023 – archive) :

Capture d’écran, réalisée le 22 août 2024, d’un graphique recensant les relevés des températures moyennes quotidiennes à la surface des océans dans le monde par l’agence américaine NOAA
Capture d’écran, réalisée le 22 août 2024, d’un outil recensant les relevés des températures moyennes quotidiennes à la surface de l’Atlantique Nord par l’agence américaine NOAA

Il est scientifiquement établi que les dérèglements du climat déséquilibrent les océans (archive).

Le réchauffement des océans, marqué entre autres par leur acidification du fait notamment de l’absorption de plus grandes quantités du gaz à effet de serre qu’est le CO2, inquiète particulièrement les scientifiques car il menace la vie marine, favorise les espèces invasives et entraîne une humidité plus importante dans l’atmosphère, synonyme de conditions météorologiques plus instables, comme des vents violents et des pluies torrentielles (archives 1, 2).

Les chercheurs connaissent mal les liens entre réchauffement climatique et El Niño/La Niña dans les océans, mais de récentes études suggèrent que le réchauffement pourrait conduire à exacerber ces phénomènes, rappelle l’Imperial College de Londres (archive).

Alors qu’El Niño, enclenché en 2023 dans le Pacifique, a contribué à la hausse du niveau du mercure sur Terre, Michael McPhaden remarque que juillet 2024 a mis un terme à 14 mois consécutifs de records de températures mensuelles moyennes à la surface des océans, au moment où El Niño dans le Pacifique s’affaiblit (archive).

Si le refroidissement dans l’Atlantique équatorial aurait aussi tiré à la baisse la température moyenne à la surface des océans du globe, son effet sera quoi qu’il en soit “de courte durée” étant donné que les Niñas atlantiques ne perdurent que quelques mois pendant l’été de l’hémisphère Nord, rappelle le scientifique.

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