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Plongée dans les coulisses d’un site « piège à clics » boosté à l’IA : quand tous les coups semblent permis pour faire de l’audience via MSN

Plongée dans les coulisses d'un site "piège à clics" boosté à l’IA : quand tous les coups semblent permis pour faire de l’audience via MSN - Featured image

Author(s): Par Guillaume Woelfle, Grégoire Ryckmans et Ambroise Carton

“Ukraine sous le feu : la guerre bascule dans l’enfer avec trois fronts qui saignent”. Ce titre vous donne envie de cliquer ? Peut-être même que certains d’entre vous l’ont fait, depuis le portail MSN installé sur Bing et Microsoft. Il s’agit d’un article d’un site canadien, nommé “Votre Dose Quotidienne”. Ces articles qui couvrent la géopolitique internationale ou les guerres sont, selon notre enquête, générés à l’aide de robots et d’intelligence artificielle. Leur contenu est souvent largement déformé et/ou amplifié pour pousser au clic. Nous vous emmenons dans l’univers du « clickbait » où tous les coups sont permis.

Nos recherches démarrent grâce au mail de l’un de nos lecteurs, Jean-Pierre, reçu le 16 septembre à la rédaction. « Avec la politique invasive de Microsoft, nous finissons par avoir des fils d’informations lorsque nous utilisons le navigateur Edge sur le lieu du travail, nous écrit-il. Dans celui-ci, j’ai observé de façon répétée des articles écrits par un journaliste nommé Maxime Marquette. Il relate essentiellement les succès de l’armée ukrainienne. Son style est plein d’emphase. Question aux journalistes sérieux : Cette personne existe-t-elle vraiment ? Est-ce une information vérifiée ? Est-ce un agrégateur d’information utilisant les outils d’IA ? »

Notre internaute pointe plus précisément cet article publié sur la plateforme MSN, titré « L’Ukraine pulvérise un navire russe à 60 millions : la flotte de Poutine agonise en mer Noire ». Le titre met la puce à l’oreille de notre lecteur, il est plein d’emphase, aguicheur, voire… survendu ? Le but est avant tout d’attiser la curiosité et de pousser à cliquer sur le lien pour en savoir plus. Dans le milieu journalistique, certains utilisent l’expression « putaclic » ou « piège à clics ».

Le corps de l’article est du même style. Extraits choisis : « À l’aube d’une journée qui restera gravée dans l’histoire navale contemporaine » ; « cette machine volante, fruit du génie militaire ukrainien » ; « cette attaque […] révèle l’ampleur de la révolution tactique qui bouleverse aujourd’hui les codes de la guerre navale ».

Nous avons vérifié les informations de cet article dans un fact-checking (à découvrir ci-dessous) et nous concluons qu’il répercute une information donnée par la Défense ukrainienne, sans qu’aucun journaliste, ni ukrainien, ni un autre média ou organisme officiel international n’ait pu la vérifier.

Mais surtout l’information est déformée. Alors que la Défense ukrainienne évoque la mise hors d’état de fonctionnement de systèmes de surveillance électrique du navire nécessitant des réparations importantes, l’article de « Votre dose quotidienne » annonce dans son titre que le navire a été « pulvérisé ».


Le 12 septembre 2025, un article proposé à des utilisateurs belges francophones via la plateforme MSN indique : « L’Ukraine pulvérise un navire russe à 60 millions : la flotte de Poutine agonise en mer Noire« .

L’article indique que « le 10 septembre 2025, à l’aube d’une journée qui restera gravée dans l’histoire navale contemporaine, un drone de combat ukrainien a fendu les eaux de la mer Noire pour porter un coup fatal à l’orgueil maritime russe« .

L’ensemble du texte détaille avec emphase une opération militaire ukrainienne à l’aide d’un drone : « Cette machine volante, fruit du génie militaire ukrainien, a transformé les environs de Novorossiysk en théâtre d’une humiliation sans précédent pour la marine de Poutine. Dans le silence mortel qui précède l’impact, personne à bord du navire MPSV07 ne pouvait imaginer que leur mission de routine se transformerait en cauchemar technologique d’une précision chirurgicale. »

Le texte évoque cette attaque d’un navire russe comme « un chef-d’œuvre de précision militaire » qui a « a détruit instantanément tous les équipements de navigation et de communication, transformant ce vaisseau de guerre moderne en coque dérivante privée de ses sens électroniques.« .

Alors que l’article explique dans un premier temps que l’attaque a paralysé les systèmes électroniques du bateau, l’élément de la destruction évoquée dans le titre (ndlr : pulvérisé) revient plus tard : « La destruction de ce navire MPSV07, mis en service en 2015 et d’une valeur de soixante millions de dollars, constitue bien plus qu’une simple perte matérielle pour la marine russe déjà exsangue.« 

Une attaque qui aurait entrainé des « réparations coûteuses », selon la Défense ukrainienne

En faisant des recherches en ligne concernant cette attaque de drone ukrainienne sur un navire russe, nous avons retrouvé une vidéo sur Youtube publiée par le compte officiel de la Direction générale du renseignement du ministère de la Défense de l’Ukraine.

Cette séquence, publiée le 11 septembre 2025, montre la vue d’un drone qui survole la mer en direction d’un bateau avec une cible au milieu de l’écran. Après quelques secondes, un texte en ukrainien s’affiche.

À l’aide de l’outil « Google Lens », intégré au navigateur Chrome, nous avons sélectionné le texte affiché. L’IA de Googe, Gemini, propose alors les éléments suivants : « L’image indique qu’un navire de guerre russe du projet MPSV07 a été touché (« УРАЖЕНО РОСІЙСЬКИЙ ВІЙСЬКОВИЙ КОРАБЕЛЬ ПРОЄКТУ MPSV07″) ».

Le drone s’approche du navire et au moment d’atteindre le pont, celui-ci s’embrase puis la séquence de 30 secondes s’arrête.

Le descriptif de la vidéo apporte des détails sur l’opération :

« Le 10 septembre 2025, dans les eaux de la mer Noire, les forces spéciales du GUR du ministère ukrainien de la Défense ont repéré et attaqué avec succès une nouvelle cible militaire coûteuse de l’État agresseur russe : un navire multifonctionnel de type MPSV07 appartenant à la flotte ennemie de la mer Noire », indique le texte en ukrainien.

Ce navire a été mis en service par les Russes en 2015. Son coût s’élève à environ 60 millions de dollars. Au total, l’agresseur dispose de quatre navires de ce type. Le navire du projet MPSV07 est équipé de complexes de plongée, d’appareils télécommandés, d’un sonar à balayage latéral et de moyens de reconnaissance électronique. Il peut être utilisé pour inspecter les fonds marins. La puissance du navire est d’environ 4 MW.

Au moment de l’attaque des forces spéciales du GUR, le navire ennemi effectuait  des reconnaissances radioélectriques et patrouillait aux abords de la baie de Novorossiysk, où l’agresseur avait « enregistré » les restes de sa flotte de la mer Noire.

Les maîtres du GUR du ministère de la Défense de l’Ukraine ont porté un coup précis à l’aide d’un drone de combat de fabrication ukrainienne dans la zone du pont de commandement, où se trouvent notamment  les équipements de navigation et de communication du navire. Le coup a détruit les équipements de reconnaissance électrique du navire ennemi, qui a été mis hors service et nécessite des réparations coûteuses.« 

Des échos de l’opération la presse ukrainienne mais pas de vérification indépendantes

Le 11 septembre, des articles dans la presse ukrainienne évoquent cette attaque de l’armée ukrainienne. Le Kyiv Post indique :  » Les services de renseignement militaires ukrainiens (HUR) ont déclaré jeudi que leurs forces spéciales avaient frappé et neutralisé un navire de grande valeur de la flotte russe de la mer Noire près de Novorossiysk lors d’une attaque de drone. »

De son côté le Kyiv Independent reprend dans un article des éléments du communiqué de la Défense ukrainienne :  « À la suite de cette frappe, les systèmes de renseignement électronique du navire russe ont été détruits, et le navire a été mis hors service et envoyé en réparation, ce qui a entraîné des coûts élevés’, a déclaré le HUR dans son communiqué du 11 septembre. »

Mais le quotidien ukrainien précise ensuite qu’il n’a pas été en mesure de vérifier ces affirmations.


Cet article a été publié sur la plateforme MSN, bien connue des utilisateurs d’ordinateurs Windows, ou des services de Microsoft Edge ou Bing.

La plateforme MSN n’emploie pas de journalistes et ne produit pas d’articles elle-même. Elle republie des articles rédigés et produits par d’autres sites. Dans ce cas-ci, l’auteur de l’article est Maxime Marquette, qui publie initialement sur le site « Votre Dose Quotidienne ». C’est précisément avec ces éléments que commence notre enquête.

© Capture d’écran RTBF / Capture d’écran d’un article de Votre Dose Quotidienne proposé sur la plateforme MSN.

La course au clic à travers la plateforme MSN

Qui est Maxime Marquette ? Est-il journaliste ? Votre Dose Quotidienne est-il un média fiable ?

Pour le savoir, nous avons rassemblé tous les articles publiés sur le site depuis sa création le 10 août 2024. En près de quatorze mois, Maxime Marquette a écrit et publié sur ce site 2415 articles, soit une moyenne de 5,7 articles par jour, week-end et jours fériés compris.

Parfois, Maxime Marquette publie à un rythme beaucoup plus important, surtout depuis mai dernier. Par exemple : 15 articles le 5 mai, 18 articles le 19 mai, 14 articles le 18 juin et 35 articles le lendemain. Son record reste le jour du lancement du site, le 10 août 2024, quand il a publié 122 articles entre 16h36 et 17h36, avant de ne plus rien publier avant fin septembre de cette année-là.

À ce stade de notre enquête, nous suspectons l’utilisation de robots ou d’outils d’intelligence artificielle pour produire autant d’articles, plutôt longs, et sur des sujets aussi spécifiques, pointus et variés comme le Proche-Orient ou la guerre en Ukraine, par exemple.

La quantité d’article produite quotidiennement et traitant notamment de géopolitique sur des matières pointues apparaît clairement comme impossible à traiter pour un journaliste seul, sans appui d’une rédaction professionnelle et expérimentée. Ce volume de production est pourtant à la base de la stratégie développée par le site.

Interrogé par la RTBF sur les sources utilisées et ses méthodes de traitement de l’information, Maxime Marquette a refusé de répondre à ces questions.

“50 millions de vues en trois mois”

Sur Linkedin, où Maxime Marquette se présente comme créateur de contenu web et non comme journaliste, il se félicite au mois d’août dernier d’avoir obtenu « 50 millions de pages vues et interactions sur MSN avec Votre Dose Quotidienne » en seulement trois mois. Un chiffre significatif pour une plateforme francophone récente, mais dont nous n’avons pas les moyens de confirmer la véracité.

L’objectif est donc de publier énormément, et de façon « optimisée » pour être sélectionné par l’algorithme de MSN afin que ses contenus soient proposés aux lecteurs qui naviguent sur le portail. Le site Votre Dose Quotidienne contenant des espaces publicitaires, c’est une façon pour Maxime Marquette de gagner sa vie.

Pour augmenter ses chances d’être sélectionnés par MSN, puis d’obtenir le clic des lecteurs potentiels, Maxime Marquette utilise les ficelles bien connues de cette stratégie dite du « clickbait », parfois appelé « putaclic » en français. Elle consiste à s’emparer de sujets clivants, controversés ou inédits de l’actualité, et de les présenter sous des titres ou des images sensationnalistes, exagérés voire trompeurs pour attirer l’attention et pousser au clic.

En sélectionnant trois titres au hasard, nous relevons (en gras), ces mots sensationnalistes (excessifs et porteurs d’émotions fortes), que des journalistes confirmés s’abstiendraient d’utiliser :

  • « L’enfer de Volograd : 115 explosions pulvérisent la machine de guerre pétrolière russe »,
  • « La rage de Vance explose : Obama accusé d’exploiter la mort de Charlie Kirk pour diviser l’Amérique« ,
  • « L’Ukraine frappe au cœur des géants pétroliers russes : une stratégie explosive qui bouleverse l’économie de guerre ».

Ces titres liés à l’actualité internationale sont représentatifs de la production du site puisque, selon nos recherches, la plupart des titres analysés par nos soins mentionnent Donald Trump (le nom du président américain revient dans 17,92% des titres), l’Ukraine (11,18%), la Russie (6,96%) ou Poutine (6,09%). Des sujets qui sont réputés porteurs en termes d’audience sur le web.

« On est clairement dans cette stratégie-là, celle du sensationnalisme au niveau des titres, nous confirme Morgan Fauvel, responsable SEO à la RTBF, chargé d’analyser la viralité de certains sujets et leur circulation sur le web. MSN met en valeur ce type de sujets, davantage que Google, par exemple. Et ça semble marcher pour lui parce que 50 millions de pages vues en trois mois, ce sont des scores équivalents à ce que peut obtenir la RTBF », en employant des dizaines de journalistes et rédacteurs pour produire ces contenus.

Maxime Marquette n’a pas souhaité répondre à ces questions concernant le style ou sa stratégie pour attirer les clics.

Votre Dose Quotidienne, l’un des sites d’une galaxie de clickbait

En analysant le nom de domaine de Votre Dose Quotidienne, nous découvrons de nombreux autres sites qui utilisent la même approche, les mêmes structures et design (souvent, seule la couleur du site change). Au total, nous dénombrons 18 sites « frères », tous francophones, qui traitent de sport, de la parentalité, de la mode féminine, de l’actualité du stand-up, des médias de Québec, de la vie nocturne, de la nature, etc.

Parmi ces 18 sites, l’un ou l’autre n’est plus alimenté aujourd’hui. Certains d’entre eux sont également présentés sur le portail MSN. Mais à part « Dose Quotidienne » (ndlr : diminutif dérivé de l’URL du site), aucun autre ne traite d’information politique ou internationale. Il s’agit globalement, pour ces autres sites, de contenus légers comme il en existe partout ailleurs sur le Web.

© Capture d’écran RTBF / Comparaison de six sites différents appartenant à la même galaxie que « Votre Dose Quotidienne ».

Selon notre enquête, Maxime Marquette ne publie pas sur ces autres sites, à l’exception de « trucs de filles » qui n’est plus mis à jour depuis avril dernier, moment où Maxime Marquette a accéléré la production de contenus sur « Votre Dose Quotidienne ». Les autres sites sont alimentés par des rédacteurs que nous avons pu identifier. Certains articles, qui représentent cependant une infime minorité au regard du nombre de productions, indiquent avoir « été créés à l’aide de l’IA », comme ici ou ici.

La plupart de ces sites sont gérés par l’entreprise OBOX, comme elle le renseigne elle-même sur la plateforme LinkedIn. « Oboxmedia est un réseau d’éditeurs web qui se démarque par la qualité de ses contenus originaux, de son auditoire très engagé, en plus de son offre publicitaire « premium ». Nos marques sont bien connues et aimées des Québécois : NIGHTLIFE.CA, TonPetitLook, TPL Moms, Ton Barbier, HollywoodPQ et Dans les coulisses. Nous représentons aussi des éditeurs de qualités comme 3 Fois par Jour, Pratico-Pratiques, Le Cahier, etc., des marques fortes qui suscitent, elles aussi, beaucoup d’intérêt. »

Sur son site, Obox dévoile un peu plus sa stratégie en sept étapes qui lui permet, dit-elle, de « créer des audiences de qualité » :

  1. Le backlinking : c’est une technique de référencement ou plusieurs sites renvoient des liens les uns vers les autres, ce qui permet d’augmenter la visibilité de ces sites par les moteurs de recherche ;
  2. Cette technique est confirmée par le réseau de sites web « couvrant une multitude de thématiques »
  3. Ces sites sont alimentés par des contenus « pertinents, engageants et optimisés »…
  4. … Mais aussi par de l’intelligence artificielle qui permet « la création automatisée de contenus texte, vidéo et photo »
  5. La « syndication » représente la diffusion de ces contenus « via des plateformes comme MSN, Apple News ou Google Discover »
  6. Obox annonce enfin une stratégie marketing sur mesure pour chaque canal
  7. Et une présence active sur les réseaux sociaux.

© Capture d’écran RTBF / Capture d’écran du site d’OboxMedia montrant leur stratégie pour générer de l’audience sur leurs sites.

Ce schéma, présenté sur le site d’Obox confirme les éléments repérés dans notre enquête : la multitude de sites frères, la création parfois automatisée de contenus engageants à l’aide de l’IA, l’importance de plateformes telles que MSN et cela, dans le but de faire de l’audience.

Contacté par mail, par téléphone et via les réseaux sociaux, Obox n’a pas répondu à nos sollicitations.

Le passé de faux plombier de Maxime Marquette

Nos confrères de Radio Canada connaissent déjà Maxime Marquette, comme l’indique cette enquête réalisée en 2023. Elle détaille comment de faux plombiers spécialisés dans des dépannages d’urgence au Québec ont arnaqué en ligne des clients paniqués par un dégât des eaux.

« Ces individus investissent dans l’achat de mots-clés pour faire monter leurs sites Internet en tête des résultats du moteur de recherche Google », expliquaient nos confrères, ce qui n’est pas sans rappeler les techniques de référencement qui nous occupent. « Ces liens commandités coûtent cher, et c’est en fait une opération à très court terme qu’ils font, analysait Myriam Ertz, professeure de marketing à l’Université du Québec à Chicoutimi, interrogée alors par le média de service public canadien. Mais leur objectif, c’est de rafler le plus de clients possible, de ramasser le plus d’argent à travers des services mal rendus pour ensuite payer leurs dépenses », développe-t-elle.

Maxime ouvrait les compagnies à son nom, comme pour les réserver le temps de faire le site web.

Stéphanie Provost, compagne de Maxime Marquette, à nos confrères de Radio Canada

Le site « Plombier Urgence », était détenu par quatre personnes dont Maxime Marquette, qualifié d’infographiste et concepteur de sites Internet, et Stéphanie Provost, sa compagne, qui a répondu aux questions du média de service public canadien. « Maxime ouvrait les compagnies à son nom, comme pour les réserver le temps de faire le site web. Une fois tout en place, le client est supposé reprendre la compagnie et la remettre à son nom. »

Selon le centre de transparence publicitaire de Google, Maxime Marquette sponsorisait encore des publicités sur Google pour « Urgence Plomberie 24h » en février dernier, soit deux ans après l’enquête de nos confrères canadiens.

Survol de drones d’une usine pas si secrète en Belgique et témoignages fictifs

Un article récent publié sur le site de Votre Dose Quotidienne a fait un peu plus de bruit que les autres en Belgique. Publié le 8 octobre à 11h56, il est titré : « L’alerte rouge chez Thales Belgique : quand des drones encerclent l’usine secrète ». Ce long article semble être la reprise d’une information publiée quelques heures plus tôt sur le média américain Politico titrant que le « premier fabricant d’armes de l’UE met en garde contre la menace que représentent les drones pour les chaînes de production ».

Politico affirme que « ses usines top secrètes sont survolées par un nombre croissant de drones ». Le média américain se base sur le témoignage d’Alain Quevrin, directeur de Thalès Belgique. « Nous voyons qu’il y a plus de drones qu’il y a quelques mois », y déclare-t-il. Ces observations auraient été faites au-dessus du Fort d’Evegnée (Soumagne) où Thalès stocke des explosifs pour ses roquettes de 70 mm. L’endroit n’est en réalité pas si secret puisqu’il est trouvable sur Google Maps.

L’article ne contient pas d’autres détails sur ces survols de drones. Il est ensuite cité comme source dans un article de Newseek (en anglais), dans un autre du Kiev Independent (en anglais) et par Votre Dose Quotidienne, premier média à en parler en français, et sans citer Politico, comme le code de déontologie journalistique le préconise.

On sait les localiser, mais pas toujours les neutraliser

Témoignage anonyme douteux d’un cadre de Thalès à Votre Dose Quotidienne

Pire, l’auteur de l’article (ou l’IA générative qui a rédigé le texte ?) est pris d’hallucinations. Par exemple dans le deuxième paragraphe de l’article, on peut lire : « Aux abords du site, les radars détectent des silhouettes blanches fendant l’air à basse altitude. Sans émettre de givre, sans avertir, ces drones s’approchent au plus près des hangars où sont entreposées des munitions stratégiques. « Je n’avais jamais vu ça », confie un technicien de Thales, effaré par cette intrusion systématique. Depuis le 3 octobre, les vols suspects se répètent, jusqu’à quinze par nuit. »

On ne sait pas si les radars ont effectivement détecté « ces silhouettes blanches fendant l’air à basse altitude » qui « s’approchent eu plus près des hangars ». En revanche, le technicien anonyme de Thalès n’a pas été interrogé par Politico, à l’origine de l’information. A-t-il été inventé par Maxime Marquette et/ou son intelligence artificielle ? « On sait les localiser, mais pas toujours les neutraliser », fait-il dire aussi à « un cadre de Thalès », lui aussi anonyme et non cité dans l’article d’origine de Politico. A-t-on demandé à une intelligence artificielle de créer ces témoignages ? Nous n’en avons pas la preuve. Ces inventions de témoignages anonymes sont des exemples assez fréquents d’hallucinations issues des intelligences artificielles génératives.

Enfin, l’information selon laquelle les vols se répètent « depuis le 3 octobre », « jusqu’à quinze par nuit », est complètement inventée par l’auteur (l’IA ?) qui confond cette information avec celle du survol par quinze drones, le 3 octobre, du camp militaire d’Elsenborn situé à 45 kilomètres de là, et dont les médias traditionnels (belges) ont effectivement bien parlé.

Une mécanique de production bien huilée et probablement boostée avec de l’IA

À ce stade de notre enquête, plusieurs éléments laissent penser que les contenus de Votre Dose Quotidienne sont produits à l’aide d’intelligence artificielle générative. Qu’il s’agisse de la quantité d’articles publiés quotidiennement, de leur longueur, de leur structure très régulière, ou de leur style particulier qui sont programmables à l’aide de « prompts », voilà autant d’éléments qui posent question.

Selon notre analyse, Votre Dose Quotidienne pourrait reposer sur une mécanique quasiment entièrement automatisée.

Celle-ci serait centralisée à partir d’une indexation d’informations produites par la presse internationale (via des flux RSS, par exemple et des robots), et ensuite d’une curation de ces articles avec un focus sur le potentiel viral le plus élevé grâce à de l’analyse réalisée à l’aide potentiellement de l’IA. Une fois les contenus identifiés, ces contenus seraient alors traduits en français et réécrits pour en rendre le style attractif par une IA générative, via un prompt calibré.

Tous les articles analysés sont par ailleurs illustrés à l’aide d’Adobe Stock (souvent par des drapeaux des pays mentionnés dans l’article), une librairie d’images libres de droits. Cette librairie dispose d’une API, ce qui permet de faire faire des requêtes par des machines à distance.

Enfin, comme indiqué dans le point 4 de la stratégie d’Obox (voir plus haut), la société ne se cache pas de recourir à l’IA pour la « création automatisée de contenus texte, vidéo et photo ».

MSN interdit l’utilisation de l’IA pour publier de “grands volumes d’informations superficielles et non originales”

Ces différentes pratiques déloyales et bien éloignées de la déontologie journalistique interrogent sur la visibilité que le portail MSN offre au site Votre Dose Quotidienne, et à ses informations géopolitiques.

Le règlement lié à l’utilisation de l’intelligence artificielle sur la plateforme MSN est pourtant strict. Il indique en objectif de son règlement que « notre public et notre communauté d’utilisateurs nous font confiance pour distinguer clairement le contenu généré par l’IA du contenu créé par des humains. Afin de préserver cette confiance, le contenu généré par l’IA sur MSN doit rester du contenu assisté par l’IA (AIAC) et le contenu généré par l’IA non révisé (Unreviewed AIGC) sera interdit, à quelques exceptions près. »

Concrètement, pour qu’un média puisse intégrer et rester sur la plateforme, MSN exige « le respect des normes professionnelles fondamentales en matière de publication et de journalisme ». Ces normes « s’appliquent à tous les contenus, qu’ils soient le fruit d’une création purement humaine ou de l’IA ».

Ainsi, l’IA peut être utilisée en respectant trois conditions :

  • La supervision humaine : « tous les partenaires doivent s’engager contractuellement à ne pas intégrer de contenu AIGC non révisé. Les outils d’IA peuvent être utilisés comme outils de rédaction/création, mais une intervention humaine significative, telle que la supervision et l’édition, doit faire partie du processus et tout contenu final doit être préparé avec le même soin et la même attention que ceux utilisés aujourd’hui pour la publication de contenu. »
  • L’originalité du contenu pour éviter le plagiat, qu’il soit le fruit de l’IA comme de l’humain. Il est ainsi interdit « d’utiliser l’IA pour reformuler/remodeler du contenu déjà publié et le republier sous un autre nom et/ou une autre marque », ou « d’utiliser l’IA pour créer une réécriture unique ou en grand volume de contenu. Cette mesure vise spécifiquement à interdire aux sites d’information d’utiliser l’IA pour réécrire ou reformuler du contenu d’actualité authentique et republier de grands volumes d’informations superficielles et non originales. Cela est fait dans le but de modifier l’angle de l’article original pour se concentrer sur un angle politique partisan, un parti pris racial ou tout autre sujet controversé, dans le but de manipuler l’opinion en saturant le fil d’actualité avec son apparition à plusieurs endroits. » Ce point semble correspondre en tout point à la stratégie de production de Dose Quotidienne.
  • La transparence : même si ce n’est pas obligatoire, « MSN recommande vivement, à titre de bonne pratique, que tout contenu généré par l’IA (au-delà du simple contenu généré par l’IA mentionné dans la section « Contrôle humain ») publié sur MSN puisse être divulgué à MSN, être signalé aux utilisateurs, et indiqué à côté de la signature du responsable du contenu. » Dans le cas de Dose Quotidienne, aucune de ces trois recommandations n’est appliquée.

Contacté par la RTBF, un porte-parole de MSN rappelle que chaque utilisateur peut « signaler un problème » en utilisant les trois points situés en haut à gauche d’un article qui poserait question. « Votre signalement sera directement transmis à l’équipe MSN pour examen. […] Lorsqu’une violation de ces politiques est identifiée, nous agissons rapidement pour retirer le contenu concerné et ouvrons une enquête auprès de l’éditeur. »


La RTBF, comme un grand nombre de médias, utilise l’intelligence artificielle, notamment générative. L’utilisation de l’IA est cependant encadrée de façon très stricte dans une charte.

Celle-ci détaille notamment des cas pour lesquels l’IA ne pose pas de problème éditorial (comme la retranscription d’une interview non confidentielle afin de gagner du temps pour en exploiter le texte en ligne) mais aussi de nombreux cas, la large majorité, où celle-ci n’est pas autorisée comme la création d’images ou de contenus.

Les balises RTBF tiennent en quatre points principaux :

1. Toute génération de contenu à l’aide d’une IA doit se faire dans un cadre éditorial supervisé par l’humain.  […]

2. Il est interdit de répliquer l’image ou la voix de personnes existantes à l’aide d’une IA, sauf dans le cadre d’expérimentations clairement identifiées comme telles.

3. Aucune donnée confidentielle ne peut être transmise à une IA. […]

4. Tout contenu significativement généré par une IA doit être identifié comme tel.

Les quelques exceptions autorisées à ce stade, notamment pour illustrer un article évoquant l’IA ou donner des résultats locaux d’élections de façon très encadrée, doivent être validés en amont par le directeur de l’information.


Des dérives d’internet à la désinformation

Le phénomène du « clickbait » n’a pas été inventé 2025. Il est né avec internet et a été amplifié avec la suprématie des réseaux sociaux et des moteurs de recherche, où chaque contenu créé doit jouer des coudes avec un autre pour capter l’attention de l’internaute. Il est une dérive de ce que permet le fonctionnement d’internet, avec ses logiques de référencement.

Dans la plupart des cas, le contenu « survendu » dans le titre se limite à des sujets futiles qui n’ont pas d’impact négatif sur la vie des gens ou sur leur compréhension du monde.

Dans le cas de Votre Dose Quotidienne, c’est l’information qui est utilisée sans scrupule pour générer de l’audience et du profit, sans aucune espèce d’importance accordée à la véracité de celle-ci ou aux lecteurs qui la découvriront. Le code de déontologie journalistique qui consacre « la recherche de la vérité » comme objectif premier du journaliste n’entre pas en ligne de compte dans les articles que nous avons analysés.

Cette désinformation « industrialisée » à l’aide de l’intelligence artificielle générative peut avoir des conséquences graves pour le public. Les questions de géopolitiques, liées aux conflits armés ou à la marche du monde peuvent générer des émotions fortes comme le sentiment d’insécurité, ou de l’angoisse auprès d’un public, notamment en fonction du côté spectaculaire ou, au contraire prudent, de la forme d’un article. Ces informations traitées de façon sensationnaliste et non journalistique peuvent aussi amener à tromper l’électeur ou à le manipuler à l’approche d’un scrutin.

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