Le président du PS, Paul Magnette, a déclaré dans l’émission de la VRT Terzake que chaque fois que l’on augmente les les salaires de 2%, le Trésor public et la sécurité sociale gagnent deux milliards d’euros et plus. Selon plusieurs économistes interrogés, le calcul est plutôt correct. Cependant, une telle augmentation des salaires augmente aussi les dépenses de l’État, notamment en matière de pensions et d’allocations, ce que le président socialiste n’a pas mentionné.
Paul Magnette est intervenu dans l’émission d’actualité de la VRT, Terzake, ce jeudi 18 janvier. Dans un duplex depuis Charleroi, il était interrogé sur plusieurs questions d’actualité par nos collègues de la chaîne publique flamande. La séquence est disponible via ce lien (l’interview du préside du PS débute autour de la 25e minute).
Invité à commenter la gestion des Finances publiques du côté francophone, le président du Parti socialiste (PS) a affirmé en néerlandais : “Le meilleur moyen pour trouver une solution pour le déficit (ndlr : de l’État), c’est d’augmenter les salaires. Chaque fois que les salaires augmentent de 2%, ce sont deux milliards de plus dans les caisses de l’État et de la sécurité sociale. C’est donc la meilleure option pour trouver une solution au déficit (ndlr : budgétaire de l’État)”.
Selon Paul Magnette, une augmentation des salaires de 2% permettrait de renflouer les caisses de l’État à hauteur de deux milliards d’euros. Comment le président du PS est-il arrivé à ces chiffres ? Sont-ils exacts ?
Le PS se base sur une projection de chiffres qui datent d’un rapport de la Cour des comptes de 2015
Contacté pour étayer ces chiffres, le PS indique qu’il se base sur une extrapolation de chiffres issus de la Cour des comptes sur le budget 2015.
Dans notre pays, les salaires sont automatiquement adaptés à l’inflation et à l’augmentation du coût de la vie. Il s’agit du mécanisme d’indexation automatique des salaires. Si, exceptionnellement, cette indexation des salaires n’a pas lieu, il s’agit d’un “saut d’index”. Dans ce cas de figure, l’indexation automatique des salaires n’a pas lieu, une seule fois. Les employeurs économisent ainsi 2% d’augmentation salariale. Ce fut le cas en 2015 sous le gouvernement Michel.
En 2015, le rapport de la Cour des comptes avait évalué le montant de ce saut d’index (de 2%) au niveau des recettes sur le précompte professionnel à 682 millions d’euros. Un article de Trends Tendances publié en novembre 2014 indiquait que le SPF Finances portait ce montant à 970 millions d’euros.
Ce même rapport indiquait également que ce saut d’index avait eu une incidence négative sur les rentrées de cotisations ONSS (les cotisations sociales) à hauteur de 599 millions d’euros.
Le PS a inversé le calcul de la Cour des comptes, en supposant que le gouvernement récupérerait ces montants (ndlr : 682 et 599 millions) en cas d’augmentation des salaires de ces mêmes 2%. “Si l’on applique l’inflation à ces montants pour la période 2015-2024, on arrive à deux milliards d’euros”, explique le service de communication du PS.
Un calcul complexe avec énormément de paramètres… et des impondérables
Nous avons interrogé le Bureau du Plan, l’organisme officiel qui réalise des études et des prévisions sur des questions de politique économique, sociale ou environnementale.
Michel Saintrain, adjoint au responsable de la Direction générale et coordinateur de l’équipe Finances publiques pour le Bureau du Plan, indique : “Nous pourrions faire ce type de calcul mais cela demanderait de mobiliser un certain volume de ressources car le calcul est relativement complexe et n’a pas déjà été fait. Par ailleurs, les demandes pour ce type de projections doivent respecter un cadre précis et passer par le gouvernement fédéral, par exemple. Nous ne travaillons pas à la demande des partis politiques ou des médias”.
Des économistes pointent un manque de nuance
Selon plusieurs experts en économie, le raisonnement de Paul Magnette est cependant globalement correct, mais manque de nuance.
“Si l’on reprend les hypothèses évoquées par le PS (ndlr : les 682 millions et 599 millions précités) et que l’on calcule cela pour 2024, on arrive à 1,919 milliard ou très près de 2 milliards”, indique Christian Valenduc, économiste et professeur à l’Université de Namur et à l’UCLouvain.
Mais la nuance manque. Selon Bart Van Craeynest, économiste en chef chez Voka interrogé par la VRT, il ne fait aucun doute que les augmentations salariales génèrent de l’argent pour le gouvernement fédéral. “Le plus gros problème pour moi est que ce n’est qu’une partie de l’histoire si l’on veut parler des finances publiques”, explique-t-il.
“Lorsque les salaires augmentent, cela signifie également beaucoup de dépenses supplémentaires pour le gouvernement : des salaires plus élevés dans la fonction publique, des pensions plus élevées, des prestations plus élevées, toutes sortes d’autres dépenses qui sont également indexées. Pour les finances publiques, il s’agit essentiellement d’une opération à somme nulle, qui pourrait même s’avérer négative à long terme”, détaille l’économiste à nos confrères de Check de la VRT.
Jean Hindriks, professeur d’Économie à l’UCLouvain, partage cet avis. “Avec une augmentation de salaire de 2%, l’État reçoit 1,54 milliard d’euros en cotisations de sécurité sociale. Mais si le gouvernement lie les prestations sociales (pensions, allocations de chômage, de maladie et d’invalidité) aux salaires, cela coûtera 2 milliards à l’État”.
Interrogé par la VRT, l’expert budgétaire Herman Matthijs (VUB et UGent) estime que les socialistes francophones ne devraient pas fonder une telle proposition sur une analyse du saut d’index de 2015. “Premièrement, ils se basent sur une étude datant d’il y a presque 10 ans. Deuxièmement, avec un saut d’index, personne, des employés et pensionnés au gouvernement fédéral, n’obtient une augmentation de 2%. À mon avis, il n’est pas possible de faire marche arrière. L’indexation des salaires modifie bien d’autres facteurs. Outre les revenus, de nombreux coûts viennent s’ajouter”.
Une mesure qui engendre des dépenses supplémentaires
Jean Hindriks pointe également le fait que la mise en œuvre de cette augmentation généralisée de 2% des salaires ne profiterait pas à tout le monde : “Ce serait une bonne idée parce qu’elle profiterait au pouvoir d’achat et à l’État. Mais, ce n’est pas une bonne proposition pour ceux qui perdent leur emploi. Ni pour les services publics de l’éducation, de la santé et des collectivités locales, qui verront leurs coûts salariaux augmenter. Enfin, elle accroît les inégalités salariales, car ceux qui gagnent deux fois plus recevront deux fois plus”.
Par ailleurs, l’impact des hausses de salaires devrait être observé sur l’ensemble de l’économie belge. “Si les salaires augmentent beaucoup plus dans notre pays que dans d’autres pays, cela deviendra un problème pour notre compétitivité. Cela pèsera sur les entreprises et sur la croissance économique. Ce qui, de cette manière, aura également un impact négatif sur nos finances publiques”, selon Bart Van Craeynest.
Alors que Paul Magnette était interrogé par la VRT sur sa responsabilité au niveau de la situation financière de la Belgique francophone, où le nombre de travailleurs est nettement inférieur à celui de la Flandre, Herman Matthijs pointe le fait que cette proposition ne bénéficierait pas au sud du pays. “Une telle augmentation générale des salaires ne profite pas aux régions telles que la Wallonie”. Il ajoute : “Elles ont complètement perdu ces 2%. Seul le gouvernement fédéral en perçoit 1% par le biais de l’ONSS et de l’impôt des personnes physiques”.
Une déclaration qui ne tient pas compte des effets négatifs d’une telle mesure
Interrogé sur la gestion des Finances publiques du sud du pays, Paul Magnette a avancé l’idée d’augmenter les salaires de 2% pour récupérer deux milliards dans les caisses publiques.
Cependant, selon les experts que nous avons interrogés ainsi que ceux interrogés par la VRT, cette déclaration manque de nuance. Si le calcul proposé est globalement correct, M. Magnette ne mentionne pas que lorsque les salaires augmentent, le gouvernement doit également faire face à des dépenses supplémentaires, telles que des salaires plus élevés dans la fonction publique et des pensions plus élevées.
En outre, l’augmentation des salaires crée également des problèmes pour notre compétitivité et est susceptible d’accroître l’inégalité salariale.