Selon le colistier de Donald Trump, Joe Biden aurait fait bondir les coûts de l’alimentation et du logement aux États-Unis ces quatre dernières années. Si les politiques budgétaires et monétaires mises en œuvre sous le mandat du président démocrate ont probablement contribué à l’inflation, elles n’en sont pas les seules responsables.
“Le pire président de ma vie”. Moins de trois heures après l’annonce du retrait de Joe Biden de la course à la Maison Blanche dimanche 21 juillet, J.D. Vance ne mâche pas ses mots. Sur “X”, le colistier de Donald Trump soutient que le démocrate et sa vice-présidente Kamala Harris, pressentie pour le remplacer, “ont fait grimper le coût du logement et de l’alimentation” ces quatre dernières années. Avant de conclure son message par : “le président Trump et moi sommes prêts à sauver l’Amérique”.
Qu’en est-il dans les faits : Joe Biden est-il le seul à blâmer pour la hausse des coûts du logement et de l’alimentation comme l’affirme J.D. Vance ?
Bien que les politiques budgétaires et monétaires du président démocrate aient probablement joué un rôle dans l’inflation, d’autres facteurs tels que la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine ont fortement contribué à l’envolée des prix.
Inflation incontestable
Dire que l’inflation aux États-Unis a augmenté ces dernières années est une vérité incontestable. Elle a même atteint un pic de 9,1% en juin 2022. Un niveau bien loin des 2% qu’est censé garantir la Réserve Fédérale des États-Unis (FED), mais considérablement inférieur au pic de près de 15% au début des années 1980.
À titre de comparaison, l’année 2022 a aussi été marquée par un pic de l’inflation en Belgique (9,60%) et au sein de l’Union européenne (8,83%).
Selon le New York Times, l’indice des prix à la consommation (CPI) qui mesure l’évolution au fil du temps des prix payés par les consommateurs pour un panier représentatif de biens et de services, a augmenté de 21% sous le mandat de Joe Biden.
Baisse lente mais sûre des prix des logements élevés
Le fait que J.D. Vance se focalise sur l’évolution du prix des logements n’est pas anodin. Pour cause : il s’agit de la plus grosse dépense pour un ménage moyen dans l’ensemble de ses dépenses de biens et services. La part du logement compte pour plus d’un tiers (36,1%) de l’indice des prix à la consommation (CPI), selon CNBC. La chaîne américaine en déduit, à raison, que “les variations des prix de l’immobilier ont donc une influence considérable sur les chiffres de l’inflation.”
Ainsi, entre juillet 2023 et février 2024, la catégorie “logement” du CPI a contribué à la moitié de l’augmentation de l’inflation (entre 3,8% et 4,7%). Cette dernière n’aurait varié qu’entre 1,8% et 2,4% sans la catégorie “logement” sur la même période.
Une hausse qui n’est pas près de s’arrêter. Selon Michael Gapen, économiste de Bank of America interrogé par Le Figaro, le rythme de la hausse des prix du logement restera de l’ordre de 5,4% par an. Le quotidien français poursuit que “le maintien de taux hypothécaires élevés empêche beaucoup de locataires d’acheter leur logement. Pire, les propriétaires existants veulent continuer à profiter de leurs crédits à taux fixe, qui sont très bas, car négociés avant l’envolée des taux. Ils ne déménagent donc pas au même rythme que dans le passé. La relative rareté du stock de propriétés à vendre entretient ainsi des prix élevés.”
Cela avance simplement beaucoup plus lentement que ce que l’on attendait.
Olivia Cross, économiste
Cependant les prévisions tablent sur un ralentissement de cette hausse des prix. C’est ce qu’indique Olivia Cross, économiste pour l’Amérique du Nord chez Capital Economics sur CNBC : “Cela avance simplement beaucoup, beaucoup plus lentement que ce que l’on attendait.”
Une lenteur qui s’explique naturellement pour les économistes. “Lorsque les loyers du marché augmentent, les loyers contractuels suivent avec un certain retard car les baux expirent et sont réévalués à des niveaux plus élevés”, lit-on sur le site de la Banque fédérale de réserve (FED) de Minneapolis. “Ce délai reflète la durée typique d’un bail, mais aussi la possibilité qu’un propriétaire n’augmente pas immédiatement le loyer jusqu’au taux du marché lors du renouvellement du bail. En raison de ce décalage estimé et de la dynamique récente des loyers du marché, nos prévisions suggèrent que l’inflation des loyers pourrait rester supérieure à 5% jusqu’à la fin de l’année”, ajoutent les experts de la FED de Minneapolis.
Même son de cloche du côté du président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell. Ce dernier a déclaré en juin 2024 avoir effectivement “constaté […] de gros décalages”, et qu’il faudra “plusieurs années” avant que les prix du logement reflètent la dynamique récente du marché locatif.
Fin de l’explosion des prix de l’alimentation
Pour l’alimentation, comme l’a noté J.D. Vance, les prix ont effectivement beaucoup augmenté. Sauf qu’il ne mentionne pas que leur hausse a aujourd’hui fortement ralenti.
Ainsi, les prix des produits d’épicerie ont augmenté de 1% entre mai 2023 et mai 2024, contre une hausse de 5,8% au cours de la période de 12 mois précédente, indiquent les données du ministère du Travail.
Selon un communiqué de la Maison Blanche, “27% du panier d’épicerie a vu son prix baisser au cours de la dernière année, soit à peu près le même niveau que la moyenne depuis 2000.” Cette diminution est notable pour le prix “des céréales et des produits de boulangerie (13% de la consommation de produits alimentaires), passant de 0,8 point de pourcentage de contribution à l’inflation des prix des produits alimentaires l’année dernière à 0,1 point de pourcentage cette année”, poursuit ce communiqué du 20 juin 2024.
Les données fédérales montrent également que les prix de certains produits alimentaires sont en baisse. Les pommes, par exemple, ont baissé de plus de 13% par rapport à l’année dernière, tandis que le jambon a baissé de 6%. La Maison Blanche souligne également que certains détaillants, dont Aldi, Target et Walmart, ont récemment pris l’initiative de réduire les prix de leurs produits, ce “qui n’est peut-être pas encore apparu dans les données”.
Effets inflationnistes limités des politiques budgétaires liées à la pandémie
Après avoir atteint des sommets, les hausses de prix du logement et de l’alimentation ralentissent donc à des rythmes différents. Mais comment expliquer leur flambée initiale ?
D’après J.D. Vance, c’est la faute de Joe Biden et de ses choix de politiques budgétaires.
Pour vérifier cette hypothèse, il convient de faire un rapide retour en arrière, au moment de son investiture en janvier 2021. La pandémie mondiale de Covid-19, qui a éclaté quelques mois plus tôt, déstabilise toute l’économie mondiale, à commencer par celle des États-Unis. Comme l’explique Ruben Nizard, spécialiste de l’Amérique du Nord chez Coface, la crise sanitaire a créé “des facteurs de disruption de l’offre qui ont beaucoup joué dans la hausse des prix”.
Dans ce contexte, le président américain d’alors, Donald Trump, fait marcher la planche à billets. Et pas qu’un peu. “Dès 2020, Trump est le premier à avoir un plan de politique budgétaire qui est énorme dans le cadre de la crise sanitaire. Il y a quasiment 2500 milliards de dollars qui sont versés dans l’économie américaine pour soutenir les ménages et les entreprises“, détaille le directeur adjoint du département “Analyse et prévision” de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Christophe Blot.
L’administration Biden fait le pari d’en faire un peu trop plutôt que pas assez, par manque de certitude sur l’amélioration rapide de la situation macroéconomique.
Christophe Blot, économiste
Ensuite, lorsque Joe Biden est investi en janvier 2021, il poursuit cette politique budgétaire expansionniste. Il propose un nouveau plan de “sauvetage” de 2000 milliards de dollars, sobrement intitulé American Rescue Plan (ARP). À ce moment-là, ajoute celui qui est aussi coresponsable du pôle “Macroéconomie monétaire et financière” de l’OFCE, “l’administration Biden fait le pari d’en faire un peu trop plutôt que pas assez, par manque de certitude sur l’amélioration rapide de la situation macroéconomique.”
L’objectif principal de ce plan est de réduire rapidement le chômage pour éviter que la situation économique ne se détériore. En effet, poursuit Christophe Blot, “le chômage est crucial aux États-Unis car il affecte directement les revenus des ménages et leur accès aux protections sociales et aux soins de santé”.
Cette politique expansionniste a néanmoins une contrepartie : celle de faire pression sur les salaires qui peut entraîner une augmentation des coûts de production et in fine des prix, ce qui contribue à l’inflation.
À quelle hauteur cette politique budgétaire y a-t-elle contribué ? Difficile à dire précisément. Selon une étude de la Banque Fédérale de réserve de Chicago, “les effets inflationnistes potentiels de l’ARP par le biais des pressions sur les ressources générées par les nouvelles dépenses fédérales ont généralement des effets faibles et transitoires”.
Crise du marché locatif
Bien que l’impact des politiques budgétaires sur la courbe des prix soit limité, “ce qui est à peu près sûr, souligne Christophe Blot, c’est qu’effectivement [elles ont] contribué à l’inflation globale et donc en partie au coût du logement.”
En partie seulement. Car selon Reuters, la cherté du marché locatif américain remonte à presque deux décennies. “L’histoire de la pénurie de logements aux États-Unis remonte au moins à l’effondrement du marché immobilier en 2006-2007. Ajoutez à cela le durcissement des lois de zonage dans de nombreux États et villes, les déménagements de personnes pendant les journées de télétravail liées à la pandémie, l’impact des taux hypothécaires élevés, peut-être même l’immigration sur certains marchés, et vous obtenez une hausse des loyers”, détaille le média américain.
Prix des matières premières distinct des politiques nationales
Concernant l’envolée des prix de l’alimentation, les explications sont plutôt à chercher du côté des cours des matières premières décorrélés des politiques nationales.
Selon le Washington Post, les prix élevés des produits alimentaires aux États-Unis reflètent un certain nombre de facteurs économiques liés à la pandémie qui a bousculé “la chaîne d’approvisionnement et les pénuries de main-d’œuvre”. Mais pas uniquement. “Les sécheresses et les chaleurs extrêmes ont freiné la production de fruits et de légumes. Les périodes de sécheresse en Inde et en Thaïlande ont réduit les exportations de sucre. Parallèlement, l’invasion de l’Ukraine par la Russie au début de 2022 a provoqué une flambée des prix des matières premières pour le blé, le maïs et les huiles végétales, qui finissent par redescendre.”
Au sein même de ses frontières, la première puissance mondiale a aussi connu une épidémie de grippe aviaire sans précédente. “Celle-ci a fait grimper les prix du poulet et des œufs, même si les prix des œufs ont chuté après une première hausse”, précise le quotidien américain.
In fine, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les sanctions économiques imposées par le camp occidental à Moscou, ainsi que les conséquences de la pandémie ont eu raison des prix des denrées alimentaires, comme le montre l’évolution ci-dessous de l’indice CRB qui suit l’évolution de 19 matières premières.
Effets positifs de l’inflation, pas toujours perçus
Qu’elle soit en partie liée aux politiques budgétaires menées sous le mandat de Joe Biden, l’inflation est aussi le résultat d’une conjoncture économique exceptionnelle. Un argument difficile à entendre pour les détracteurs du président démocrate, à l’image de J.D. Vance. A fortiori, si cet argument est couplé de la démonstration que “les dépenses importantes ont aidé l’économie américaine à prendre de l’avance sur les pays pairs.” C’est ce qu’explique l’économiste Paul Krugman une tribune publiée le 11 juillet dernier dans le New York Times.
Cette avance s’observe notamment par le boom des salaires ces dernières années. “Quand on prend les salaires et qu’on enlève l’impact de l’inflation, ils ont cru sous le mandat de Joe Biden”, note ainsi Ruben Nizard, qui précise que “les salaires réels ont augmenté sous le mandat de Biden, bien que cette réalité puisse varier selon les ménages”.
En effet, interrogés par le Centre d’analyse de la demande alimentaire et de durabilité de l’Université Purdue (Indiana), 56% des consommateurs ont pointé du doigt la nourriture lorsqu’on leur a demandé quelle dépense avait le plus augmenté au cours de l’année écoulée.
De la même manière, plus des deux tiers des électeurs déclarent que l’inflation les a frappés plus durement via la hausse des prix des denrées alimentaires, selon une enquête réalisée en novembre 2023 par Yahoo Finance/Ipsos.
Ces ressentis peuvent donc être à rebours des chiffres officiels. En effet, selon la Maison Blanche, “bien que le niveau des prix de l’épicerie soit élevé par rapport à celui d’avant la pandémie, les salaires ont également augmenté, de sorte qu’il faut à peu près le même nombre d’heures (3,6 heures) à un travailleur non-cadre moyen pour acheter une semaine de produits d’épicerie qu’en 2019.”
“La même philosophie dans les deux camps”
Finalement, les politiques budgétaires expansionnistes mises en œuvre sous le mandat de Joe Biden ne sont ni les seules responsables de l’inflation ni l’apanage du président démocrate.
Donald Trump avait non seulement lancé des plans d’aide massifs durant la pandémie de Covid-19 mais également adopté “des mesures de baisse de fiscalité pour soutenir l’activité, sans contrepartie en termes de dépenses”. C’est ce que pointe Christophe Blot qui ajoute que “cela s’est traduit par une hausse de l’endettement et par des déficits budgétaires plus élevés”, avant de conclure, “il y a un peu la même philosophie dans les deux camps”.
Par ailleurs, le nouveau projet de Donald Trump, et de son colistier J.D. Vance, intitulé “Project 2025” pourrait aussi coûter cher au contribuable américain. Selon la plateforme éducative américaine PBS Classroom, des économistes ont estimé que, s’il était appliqué, le programme du candidat républicain “provoquerait une explosion de l’inflation, frapperait durement la classe moyenne et – en prolongeant ses réductions d’impôts qui arrivent bientôt à expiration – ajouterait plus de 5000 milliards de dollars supplémentaires à la dette nationale”.
Pour conclure, affirmer que Joe Biden a fait “grimper le coût du logement et de l’alimentation”, comme le fait le colistier de Donald Trump est faux. Cette inflation est le résultat d’une multitude de causes structurelles et conjoncturelles, liées aux choix de politiques monétaires et budgétaires dans un contexte de crise sanitaire et de guerre en Ukraine.