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Non, le Parlement européen n’a pas supprimé le “droit de veto” des Etats de l’Union européenne

Non, le Parlement européen n'a pas supprimé le "droit de veto" des Etats de l'Union européenne - Featured image

Author(s): Alexis ORSINI / AFP France

A l’approche des élections européennes, en juin 2024, la question de l’élargissement de l’UE anime le débat politique. Dans ce contexte, certains internautes comme élus politiques ont affirmé, fin novembre 2023, que le Parlement européen avait supprimé “le droit de veto” des pays de l’Union européenne, en remplaçant, dans plusieurs domaines, le vote à l’unanimité par un scrutin à la majorité qualifiée. Mais cela est inexact, pour plusieurs raisons. Ces affirmations font référence à une résolution récemment adoptée par le Parlement européen qui propose d’étendre le nombre de domaines concernés par le vote à la majorité, ce qui empêcherait par exemple le blocage de décisions par un seul pays. Mais une résolution n’a pas de valeur contraignante, comme l’ont expliqué plusieurs experts du droit européen à l’AFP : pour l’heure, le processus de vote n’a pas changé. De plus, pour que la modification proposée entre en application, il faudrait que soit décidée une révision des traités européens, un processus complexe qui devrait être voté à … fl’unanimité des pays membres, qui restent donc décisionnaires in fine. Autrement dit, le Parlement européen ne peut pas imposer à ses membres un tel changement. 

Ils ont supprimé le droit de veto pour tous les pays de l’Union européenne… c’est-à-dire le vote à la majorité absolue des 27 pays membres de l’Union…“, “L’époque de la souveraineté nationale est officiellement révolue. Il s’agit d’une prise de pouvoir de l’UE” : sur Facebook, des internautes s’alarment, dans des publications relayées fin novembre 2023 (1, 2) , d’un prétendu changement institutionnel au sein de l’Union européenne, qui priverait ses 27 Etats membres de leur pouvoir décisionnel dans des domaines politiques cruciaux.

Dans un autre message, un autre internaute parle même d’un “coup d’état européen en cours” avec “la suppression du droit de véto national dans 65 domaines, notamment la fiscalité, la politique étrangère“.

Capture d’écran réalisée sur X (ex-Twitter), le 30 novembre 2023

Le texte insensé voté par le Parlement européen hier prévoit la suppression du droit de veto de la France même si ses intérêts vitaux sont en jeu“, peut-on également lire sur X (ex-Twitter), où un autre message soutient : “Dans une omerta médiatique totale, le 22 novembre, le Parlement européen a fait voter une loi permettant la révision des Traités européens et abolissant le droit de veto.

Certains élus politiques ont également relayé cette affirmation en guise d’argument électoral, à l’instar du député RN Alexandre Loubet – qui est aussi directeur de campagne de Jordan Bardella pour les Européennes de juin 2024 – sur X : “Le Parlement européen a voté une résolution qui supprime le veto des Etats, renforce les pouvoirs de l’UE, crée un gouvernement et un Président de l’UE. Votez [Rassemblement national] aux européennes pour que la France ne disparaisse pas dans un État fédéral européen !

Si ces publications font référence à une résolution du Parlement européen du 22 novembre 2023“sur les projets du Parlement européen tendant à la révision des traités” (lien archivé), adoptée par l’institution européenne, ce texte sans valeur contraignante ne change, en l’état, rien au fonctionnement actuel de vote des Etats membres de l’Union européenne dans ces domaines, comme l’ont expliqué plusieurs spécialistes du droit européen à l’AFP.

L’affirmation est fausse pour plusieurs raisons, qui tiennent à la nature de l’acte adopté par le Parlement européen, à la procédure nécessaire pour réviser les traités et à la réalité des processus de décision dans l’Union européenne, a expliqué à l’AFP le 29 novembre 2023, François-Vivien Guiot, maître de conférences au Collège d’études européennes et internationales de l’Université de Pau et des pays de l’Adour.

Le Parlement européen a voté une résolution. Mais c’est un texte qui n’a aucune force juridique, c’est simplement un avis qui est exprimé, sur la façon dont il voit l’avenir des institutions européennes, a indiqué le 28 novembre 2023 à l’AFP Christine Verger, vice-présidente de l’Institut de recherche européen Jacques Delors et ancienne directrice des relations avec les parlements nationaux au Parlement européen.

Cette résolution propose d’étendre le nombre de domaines dans lesquels les décisions communautaires des Etats membres seraient prises par un vote à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité – ce que certains élus et internautes présentent comme une suppression effective du “droit de veto” de chaque Etat.

 

Des eurodéputés lors d’une séance de vote au Parlement européen, à Strasbourg, le 22 novembre 2023. – FREDERICK FLORIN / AFP

Comment les Etats membres votent-ils actuellement les mesures européennes ? 

Comme l’explique le site d’information pédagogique sur l’Union européenne “Toute l’Europe” (lien archivé), sur sa page dédiée (lien archivé), la majorité qualifiée est l’un des modes de vote utilisés au sein de Conseil de l’Union européenne.

Composé des ministres des Etats membres qui se réunissent plusieurs fois par an dans leurs domaines respectifs afin d’adopter, de rejeter ou de modifier les projets de loi de la Commission européenne, cette institution représente les Etats membres de l’Union européenne, et exerce le rôle législatif de l’UE “sur un pied d’égalité” avec le Parlement européen (représentant les citoyens).

Selon les domaines concernés, le Conseil de l’Union européenne vote soit à la majorité qualifiée, soit à l’unanimité.

Ainsi que le détaille le Conseil de l’Union européenne sur son site (lien archivé), le vote à l’unanimité concerne un nombre de domaines restreints, considérés comme “sensibles” par les Etats membres, tels que la politique étrangère et la sécurité commune, la citoyenneté, l’adhésion à l’UE ou encore le financement de l’UE.

Dans ces domaines, en l’absence d’unanimité – donc si un seul des Etats membres vote contre, l’abstention ne comptant pas comme un vote “contre” -, la décision ne peut pas être adoptée : c’est cette sorte de “droit de veto” auquel font référence les publications que nous examinons.

En dehors de ces quelques domaines précis, le Conseil de l’Union européenne vote à la majorité qualifiée (lien archivé), qui est atteinte à deux conditions : si 55% des Etats membres – soit 15 sur 27 – ont voté pour, et si la proposition est soutenue par des Etats membres représentant au moins 65% de la population totale de l’UE.

Pour les votes à la majorité qualifiée, “les abstentions comptent comme un vote négatif“, précise le Conseil de l’Union européenne à propos de ce mode de vote.

Ainsi que le précise “Toute l’Europe”, la majorité qualifiée, également connue sous le nom de “procédure législative ordinaire”, est la méthode de vote la plus fréquente au sein du Conseil de l’Union européenne, puisqu'”environ 80 % des actes législatifs de l’UE” sont adoptés ainsi, dans des domaines variés, allant de l’agriculture au transport, en passant par l’environnement ou le numérique.

Aujourd’hui, il reste quelques îlots de vote à l’unanimité (sur la politique extérieure, sur le fiscal, sur les accords internationaux…) mais ce sont vraiment des îlots dans une très large [pratique de la] majorité qualifiée“, confirmait à l’AFP, le 29 novembre 2023, Hélène Gaudin,  professeure à l’université Toulouse-Capitole et directrice de l’Institut de recherche en droit européen, international et comparé.

Ce sont les Etats qui décident avec le Parlement européen sur un certain nombre de domaines à la majorité qualifiée, mais ce sont des domaines identifiés dans les traités“, qui ont eux-mêmes été dû approuvés à l’unanimité par les Etats membres pour entrer en vigueur, précise pour sa part Christine Verger.

Pourquoi le scrutin à l’unanimité fait-il débat ? 

L’idée de remplacer le scrutin à l’unanimité dans certains domaines par le vote à la majorité qualifiée est défendue par certaines personnalités politiques qui espèrent ainsi éviter des blocages politiques sur certains sujets, et fluidifier le processus de décision des Etats membres.

L’argument d’une efficacité accrue de l’Europe avait ainsi été avancé par Emmanuel Macron en mai 2022 (lien archivé), lorsque le président français avait évoqué la possibilité de “généraliser le vote à la majorité qualifiée“.

Les partisans d’un tel changement estiment qu’il permettrait d’éviter les blocages systématiques permis par le vote à l’unanimité, dans un contexte de tensions récurrentes par exemple avec la Hongrie de Viktor Orban, sur notamment l’indépendance de la justice, politique migratoire, droits de la communauté LGBT+…

Le premier ministre hongrois, seul dirigeant de l’UE à avoir maintenu des liens étroits avec le Kremlin depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, très critique de la stratégie européenne à l’égard de Kiev, brandit en outre son refus catégorique (lien archivé) d’une nouvelle aide financière de 50 milliards d’euros à l’Ukraine et de l’ouverture de négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’UE.

Un accord sur l’Ukraine ou sur la Moldavie, autre pays de la région qui attend l’ouverture de négociations d’adhésion, requiert l’unanimité des 27. Or, la Hongrie de Viktor Orban s’est montrée jusqu’à présent inflexible.

Ce qui a suscité le sentiment d’une nécessaire réforme, c’est la faculté de blocage de la Hongrie face à la volonté des autres Etats de sanctionner la Russie. Alors, certes l’extension d’un vote à la majorité qualifiée dans ce domaine, peut être formellement comprise comme la perte d’un pouvoir de veto – mais d’un point de vue démocratique, est-il normal que les représentants de 26 Etats soient empêchés d’agir par ceux d’un seul Etat ?“, analyse François-Vivien Guiot.

Mais en pratique, un Etat isolé au sein du Conseil fait toujours l’objet de très fortes pressions qui la plupart du temps le conduiront à renoncer à son opposition. Les Etats négocient toujours sur plusieurs questions en même temps, et des arbitrages sont faits de manière transversale. Il faut aussi noter que dans le cas où le vote à l’unanimité est supprimé, la pratique conduit tout de même les Etats à préférer trouver un consensus plutôt qu’à passer en force“, poursuit-il.

A l’inverse, les partisans d’un maintien du vote à l’unanimité dans les domaines concernés par ce mode de scrutin défendent le principe d’égalité qu’il établirait entre chaque Etat membre de l’UE, peu importe leur poids démographique (puisque le vote à la majorité qualifiée tient en partie compte de la population).

Des eurodéputés lors d’une séance de vote au Parlement européen, à Strasbourg, le 22 novembre 2023. – FREDERICK FLORIN / AFP

Que propose la résolution du 22 novembre 2023 ? 

Pour Hélène Gaudin, la résolution adoptée le 22 novembre 2023 par le Parlement européen “défend une certaine vision de l’Europe, plus dégagée des Etats sur tout ce qui touche à la révision, et une vision de l’Europe plus fédérale d’une certaine manière“.

Plus précisément, la résolution propose, dans sa partie relative aux suggestions de “réformes institutionnelles” d’augmenter “considérablement le nombre de domaines dans lesquels les actions sont décidées par un vote à la majorité qualifiée et selon la procédure législative ordinaire“.

Elle suggère aussi, en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense que “les décisions relatives aux sanctions, aux mesures provisoires dans le cadre du processus d’élargissement et les autres décisions de politique étrangère soient prises à la majorité qualifiée“.

Surtout, la résolution plaide pour une révision des traités européens et demande au Conseil européen – composé des chefs de gouvernement de chaque Etat membre et chargé de définir les orientations et priorités politiques de l’UE (à ne pas confondre avec le Conseil de l’UE ) de convoquer une Convention en ce sens.

Cette résolution n’a pas d’effet contraignant

Mais ce texte n’a pas de valeur contraignante, pointe François-Vivien Guiot : “La résolution adoptée n’est pas un acte normatif. Elle ne produit pas d’effet juridique, mais elle manifeste une position politique de l’institution. Par cette résolution, le Parlement européen appelle de ses vœux une révision des traités et propose des modifications aux traités en vigueur“.

Hélène Gaudin abonde : “Le Parlement européen a juste proposé de supprimer [le vote à] l’unanimité, donc de faire de la majorité qualifiée la règle d’adoption des actes. […] [Les affirmations relayées sur les réseaux sociaux sont] quand même très largement dans le fantasme, parce que ce n’est qu’une proposition.

 

Des eurodéputés lors d’une séance de vote au Parlement européen, à Strasbourg, le 22 novembre 2023. – FREDERICK FLORIN / AFP

Le lourd processus de révision des traités européens

Pour que les changements proposés dans la résolution adoptée par le Parlement européen le 22 novembre 2023 deviennent effectifs, une révision des traités européens est nécessaire. Une procédure longue et compliquée prévue à l’article 48 du Traité sur l’Union européenne (lien archivé) détaillée sur le site Vie publique (lien archivé).

Cette révision ordinaire repose sur une procédure très lourde, dans laquelle les Etats ont le mot final“, confirme François-Vivien Guiot.

En vue d’être adopté, un projet de révision des traités, qu’il soit présenté par le Parlement européen, la Commission européenne ou les gouvernements nationaux, doit être transmis au Conseil européen, ainsi qu’aux parlements nationaux.

Le Conseil européen est ensuite libre de refuser ce projet ou de poursuivre cette initiative.

Dans ce deuxième scénario, il doit convoquer une Convention, réunissant des représentants du Parlement européen, de la Commission européenne, des parlements et des gouvernements nationaux, pour examiner et modifier le projet.

Le texte est alors soumis à une Conférence des représentants des gouvernements des Etats membres, qui doit se mettre d’accord sur les modifications à apporter au traité.

Enfin, le projet de révision doit être ratifié par tous les Etats membres, selon la règle de l’unanimité en vigueur dans ce domaine : il suffirait donc qu’un seul pays s’y oppose pour qu’il soit rejeté. 

Un traité ne peut être révisé qu’après un vote à l’unanimité des Etats membres

Ce qu’oublient de dire [ces publications sur les réseaux sociaux], c’est que c’est la souveraineté nationale qui s’applique pour faire ce genre de modifications. […] Ce sont les Etats qui décident. A chaque fois qu’il y a une modification institutionnelle, elle fait l’objet d’un traité, qui doit être signé par tous les Etats membres et ratifié par tous les parlements de tous les Etats membres. Il est impossible juridiquement, et même politiquement, que le Parlement européen décide quoi que ce soit en la matière“, détaille Christine Verger.

Pour une telle révision, “il faut que les Etats valident à tous les étages et à l’unanimité“, pointe aussi Hélène Gaudin, “c’est là la clé du fait que l’Union européenne n’est pas un Etat, car les Etats peuvent toujours bloquer : en droit allemand, on dit que les Etats sont les maîtres des traités parce que c’est eux qui décident s’ils veulent les adopter ou pas.

François-Vivien Guiot abonde enfin : “La mise en œuvre des évolutions suggérées par le Parlement européen [dans sa résolution du 22 novembre 2023] est une perspective encore lointaine, et elle ne pourra être une réalité sans un consentement unanime et répété des Etats.

En mai 2022, à l’issue du plaidoyer d’Emmanuel Macron en vue de généraliser le vote à la majorité qualifiée, 13 Etats membres avaient annoncé, dans une déclaration commune (lien archivé), leur opposition commune à une telle réforme comme à une révision des traités, illustrant la quasi-impossibilité qu’un tel changement n’entre en vigueur.

Ces derniers mois, l’AFP a vérifié plusieurs affirmations fausses ou trompeuses autour d’une prétendue perte de souveraineté de la France au profit de l’Union européenne qu’il s’agisse par exemple d’un supposé règlement européen permettant d’instaurer un passe vaccinal en France ou encore de la rumeur selon laquelle les consommateurs européens allaient “manger des insectes sans le savoir” à cause d’un mauvais étiquetage de certains produits au sein de l’UE.

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Ce fact-check a été également publié par https://factuel.afp.com/doc.afp.com.346C3M8.