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Ukraine : le vrai du faux sur la destruction du centre commercial de Krementchouk

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Author(s): Romane Bonnemé

Attaque ciblée ou accident ? Les versions sur la destruction du centre commercial de Krementchouk au centre de l’Ukraine ce 27 juin divergent entre les déclarations officielles ukrainiennes et russes. Les diverses enquêtes menées tendent toutefois à confirmer que deux missiles ont bien été tirés à Krementchouk ce jour-là et que l’un d’eux a directement frappé le centre commercial, qui était d’ailleurs encore en activité, contrairement à ce que les partisans du régime russe affirment.

Quelques heures après la destruction du centre commercial de Krementchouk au centre de l’Ukraine ce 27 juin, les autorités russes ont rejeté l’accusation portée contre le régime russe du président ukrainien Volodymyr Zelensky, en indiquant que cette frappe ciblait un entrepôt d’armes et de munitions situé à proximité du centre. Selon l’ambassade russe au Royaume-Uni, “La détonation des munitions stockées a provoqué un incendie dans un centre commercial non fonctionnel situé à proximité des installations de l’usine”.

Pour étayer cette thèse du dommage collatéral, certains internautes ont partagé des images des ruines du centre commercial, sans aucun cratère de l’impact.

D’autres montrent encore cette vidéo (aussi relayée par les comptes officiels russes) d’Anton Gerashchenko – conseiller du ministre de l’Intérieur ukrainien – qui se filme sur place, avec en arrière-plan des “rayons intactes“, dont des bouteilles toujours disposées sur les étagères, décrédibilisant ainsi l’hypothèse d’une attaque directe et violente sur le centre commercial.

Le centre commercial a-t-il plutôt été détruit à la suite d’un incendie, comme le suggèrent les soutiens au régime de Vladimir Poutine ?

Retour sur les preuves d’une attaque du centre commercial

Le groupe de journalistes d’investigation Bellingcat a démontré, via des images de vidéosurveillance, que l’un des deux missiles qui ont ciblé Krementchouk ce 27 juin se dirigeait bien directement vers le centre commercial :

 

D’autres images de vidéosurveillance enregistrées dans un parc situé tout près du parc confirment aussi qu’il n’y a pas eu une, mais deux explosions.

Selon les images d’une autre caméra de vidéosurveillance située en face du centre, le premier missile serait tombé à 15h50, suivi 13 secondes plus tard par un second, à deux endroits différents.

Les impacts de ces deux explosions ont été documentés par Sentinel-2 L1C et Planet ainsi que par des internautesdes médias comme la BBC, ou des ONG comme Human Rights Watchqui, en croisant ces images, ont ainsi pu déterminer que “le premier impact se situe dans l’angle nord-est du centre commercial” et le second missile a frappé à l’extrémité nord de l’usine” (l’entrepôt supposé contenir de l’armement ukrainien selon les déclarations officielles russes, ndlr).

Voici une image satellite publiée par Human Rights Watch, via Planet Labs, qui montre les impacts des missile sur le center commercial et l’usine adjacente.

Contacté par Faky, Tristan Dessert un reporter de la chaîne suisse RTS qui s’est rendu sur place le lendemain des frappes, a confirmé qu’”au moins un missile avait frappé le centre commercial et un autre a frappé l’usine qui est juste derrière“. Il ajoute, photo à l’appui : “j’ai vu le cratère et les restes du premier missile”.

Frappe ciblée et délibérée ?

Si comme l’affirment plusieurs sources indépendantes, au moins un missile a vraisemblablement frappé le centre commercial, se pose la question de l’intentionnalité russe de cette frappe.

Pour le camp ukrainien, cela ne fait aucun doute. Dans son discours au Conseil de Sécurité de l’ONU le 28 juin, le président, Volodymyr Zelensky a déclaré que la destruction du centre commercial était délibérée et qu’il s’agissait de “l’un des actes terroristes les plus audacieux de l’histoire européenne“.

Le lendemain pourtant, les renseignements britanniques de la défense ont évoqué dans un communiqué – sans citer leurs sources – la possibilité que la frappe russe sur le centre commercial de Krementchouk “pouvait être un accident“.

Dans ce même document, les renseignements britanniques citent le ministre russe des Affaires Etrangères Sergueï Lavrov qui maintient par ailleurs que le centre commercial était “vide au moment” des faits.

Interviewé le 29 juin sur la chaîne américaine Sky News, le professeur Michael Clarke, analyste en matière de défense et de sécurité, a indiqué que cette frappe était soit une “attaque délibérée“, soit une “défaillance massive des services de renseignement russe“.

Le centre commercial n’était pas fermé

Plusieurs internautes pro russes appuient la thèse officielle selon laquelle le centre commercial était vide au moment des faits en montrant notamment des captures d’écran des horaires d’ouverture du centre ou de magasins à l’intérieur.

Le centre commercial et plusieurs magasins qui s’y trouvent sont marqués comme temporairement ou définitivement fermés, et il n’y a aucun avis de moins de 4 mois ! En clair, il semble que plus personne ne vient dans ce centre commercial depuis le début de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine, alors que Krementchouk n’est pas sur la ligne de front. Cela expliquerait pourquoi il n’y avait quasiment pas de voitures et pas de clientes !“, écrit par exemple celui-ci.

Cette affirmation est fausse. Le centre était bien ouvert et toujours en activité le jour de l’attaque et les précédents.

Les témoignages en ce sens abondent : une publication d’un des magasins du centre, Comfy, datant du 25 mai 2022, une cliente qui a filmé le centre le 25 juin 2022, une vidéo d’une famille dans le centre commercial la veille de l’attaque, des photos des reçus des achats faits quelques jours avant la frappe ou encore ces nombreux messages de soutien et de condoléances de la part d’enseignes du centre après le drame (ici ou ).

L’ONG Human Rights Watch a également collecté les témoignages de plusieurs témoins et victimes dont Petro, 41 ans, un employé d’un magasin d’électronique qui travaillait ce jour-là dans le centre commercial.

Il raconte la scène alors qu’il se trouvait à l’extérieur du centre avec un collègue : “J’ai vu un flash jaune devant mes yeux, et une vague m’a projeté sur plusieurs mètres, heurtant des palettes en bois avant de perdre connaissance“. Selon l’ONG, il a été hospitalisé avec une commotion cérébrale et de multiples contusions sur le dos et la tête.

Un centre loin d’être vide

Si le centre commercial n’était pas fermé, était-il pour autant vide à ce moment-là ? C’est la thèse de certains soutiens russes qui s’interrogent sur le faible nombre de voitures sur le parking. Une thèse, à nouveau, infondée.

Tristan Dessert de la RTS indique en effet que “ce centre est généralement très fréquenté en fin de journée, il est en centre-ville, très facile d’accès, donc beaucoup de gens viennent à pied ou en bus”. Il ajoute que “la plupart des gens ont pu s’enfuir en entendant les sirènes, mais les missiles ont frappé très vite”.

Sans pouvoir déterminer avec précision le nombre de clients, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé qu’environ un millier de personnes se trouvait dans le centre le 27 juin dernier, mais de nombreuses personnes auraient réussi à s’en sortir.

Uniquement des hommes en uniforme à l’intérieur du centre commercial?

Certains internautes avancent que seuls des hommes en uniforme sont visibles dans une vidéo (ici ou ) tournée sur le parking du centre en flammes quelques minutes après la frappe, faisant ainsi planer le doute sur un coup monté ou une mise en scène.

Il n’en est rien. Si l’on voit clairement des femmes dans cette vidéo ou dans celle-ci sur le parking, elles étaient aussi présentes dans le centre en tant que clientes ou employées. C’est notamment le cas de Dasha, cette bijoutière rescapée qui a témoigné sur France 24.

L’usine contenait-elle des armes et munitions ?

Le groupe de journalistes d’investigation Bellingcat s’est intéressé à l’autre frappe, celle qui a touché l’entrepôt, cible initiale selon les déclarations russes. L’usine avait été utilisée en 2014 pour réparer trois véhicules militaires, cela ne prouve pas en soi qu’il s’agissait d’un site de stockage d’armes et de munitions américaines et européennes huit ans plus tard”.

Comme le confirme le journaliste Tristan Dessert, il s’agit d’une usine d’engins de construction routière mais “il n’est pas possible de vérifier les affirmations russes selon lesquelles l’usine serait un dépôt de munitions à partir de sources ouvertes uniquement“.

Lors d’une visite du ministre de l’Intérieur ukrainien Denys Monastyrskiy sur placece dernier a affirmé qu’il n’y avait aucun objectif militaire à 5 km à la ronde, commente encore Tristan Dessert présent lors de sa visite.

L’organisation Human Rights Watch qui a procédé à des investigations sur place les 28 et 29 juin, a indiqué n’avoir pu identifier aucune preuve indiquant que l’usine stockait des munitions. Le directeur adjoint de cette usine, Viktor Shybko, a affirmé aux chercheurs de l’ONG qu’elle n’abritait aucun véhicule, équipement ou personnel militaire et ne produisait que des machines pour la production de béton et d’asphalte.

A ce jour, le bilan provisoire de la frappe est de 20 morts et de 59 blessés.

La possibilité d’une erreur militaire russe

En résumé, il est possible d’affirmer que la destruction du centre commercial de Krementchouk n’est pas le résultat d’un incendie collatéral à une frappe contre l’usine voisine mais bien d’un tir de missile lancé en direction du centre commercial, encore en activité au moment des faits.

Le caractère délibéré de la frappe est quant à lui plus difficile à confirmer : si cela ne fait aucun doute pour le camp ukrainien qui dénonce “l’un des actes terroristes les plus éhontés de l’histoire européenne” des mots de son président Volodymyr Zelensky, le ministre russe des Affaires étrangères a affirmé que la Russie n’avait pas visé le centre commercial ukrainien de Krementchouk, et qu’il s’agirait donc d’un “accident”.