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Une enquête sur le Plan Good Move avance des résultats trompeurs sur le souhait des PME et indépendants de quitter Bruxelles

Une enquête sur le Plan Good Move avance des résultats trompeurs sur le souhait des PME et indépendants de quitter Bruxelles - Featured image

Author(s): Romane Bonnemé

“Le Plan Good Move ? Une catastrophe pour les indépendants et les PME bruxellois”. Tel est le titre de la dernière de la dernière enquête du Syndicat Neutre pour Indépendants (SNI). Sauf que cette enquête, relayée par plusieurs personnalités politiques réfractaires au Plan, n’a pas été réalisée de manière suffisamment transparente et rigoureuse pour pouvoir émettre une telle conclusion.

C’est peu dire que le Plan Good Move, mis en œuvre depuis mi-août 2022, suscite de nombreuses critiques. Malgré son objectif “d’améliorer le cadre de vie des Bruxellois”, le Plan régional de mobilité pour la Région de Bruxelles-Capitale qui vise à “apaiser les quartiers du centre de la capitale en empêchant le trafic de transit”, n’a pas atteint les résultats espérés, à en croire ses opposants.

C’est notamment l’une des conclusions d’une enquête du Syndicat Neutre pour Indépendants (SNI) publiée le 1er octobre dernier qui révèle notamment que “deux tiers des indépendants et PME [ndlr : acronyme de Petites et Moyennes Entreprises] bruxellois envisagent de quitter Bruxelles” à cause des conséquences du Plan Good Move sur leur chiffre d’affaires.

Il n’en fallait pas moins pour les détracteurs de Good Move, qui le jugent comme “anti-voiture”, pour brandir ce chiffre comme une nouvelle preuve des effets négatifs de ce Plan sur la fluidité du trafic tout comme sur l’activité économique de la région à plus long terme.

Des critiques qui transcendent les clivages politiques, d’ailleurs, à l’image des partages de l’enquête du SNI par Alexia Bertrand (MR) et Françoise De Smedt (PTB), respectivement cheffes du groupe MR et du groupe PTB/PVDA au parlement bruxellois, sur leurs comptes Twitter.

“Le signal est catastrophique !” a ainsi commenté la première quand la seconde a twitté “Badmove pour les indépendants et PME” en partageant le résultat de l’enquête de la SNI, via un article de SudInfo.

Malgré cette diffusion par certaines personnalités politiques, l’enquête de la SNI a toutefois été réalisée suivant une méthodologie opaque et imparfaite, ne permettant ainsi pas de dégager de telles conclusions. Alexia Bertrand, précise elle-même dans son tweet, que la prudence est requise dans l’extrapolation des résultats de ce sondage.

Une enquête auprès des seuls membres d’un syndicat

L’auteur de cette enquête, le Syndicat Neutre des Indépendants (SNI), est une organisation syndicale qui, selon leurs données, représente les intérêts de plus de 42.000 entrepreneurs belges, à savoir des indépendants, professions libérales et PME, depuis plus de 50 ans.

En région Bruxelles-Capitale, le syndicat compte 1133 membres, dont 147 pour la commune de Bruxelles, selon son porte-parole, Olivier Maüen.

Ce dernier indique que les questionnaires de cette enquête ont été envoyés par mail en deux volets : d’abord aux 147 membres de Bruxelles-Ville, puis dans un second temps, aux membres des 18 autres communes de la région.

Toujours selon Olivier Maüen, 150 réponses ont été reçues pour l’ensemble de la région et 23 réponses rien que pour la commune de Bruxelles. “Une plus forte proportion” de réponses émane donc de l’hypercentre bruxellois, selon lui.

Des réponses non représentatives issues d’un échantillon non aléatoire

Les résultats de ce sondage sont-ils suffisamment fiables pour être considérés comme le reflet de la réalité des PME et indépendants bruxellois ?

Il n’en est rien pour une chercheuse de l’ULB (qui a préféré rester anonyme), et ce, en raison de plusieurs biais méthodologiques.

Le premier élément méthodologique à observer dans ce sondage est celui la taille de l’échantillon. En sciences statistiques, celui-ci doit être suffisamment grand pour pouvoir représenter de manière fiable la population totale. Dans le cas de cette enquête, il s’agit des 150 PME et indépendants, parmi les 1133 membres du SNI, qui composent cet échantillon.

La “population totale” est ici l’ensemble des PME et indépendants de Bruxelles-Capitale. La région comptait 112.841 PME au 31 décembre 2020 selon les dernières données du SPF Economie, et 121.785 indépendants et aidants au 4e trimestre 2021 d’après l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI).

Peut-on considérer que les réponses de ces 150 PME et indépendants membres de ce syndicat reflètent la réalité de l’ensemble des PME et indépendants de la région Bruxelles-Capitale ?

“C’est clairement abusif de tirer des conclusions sur l’ensemble des PME et indépendants à partir d’un si petit échantillon, qui plus est, non aléatoire” répond cette chercheuse de l’ULB.

En effet, l’échantillon n’est ici pas “aléatoire” comme l’indique la chercheuse de l’ULB. “Rien ne nous dit que les 150 répondants sont représentatifs des 1133 PME et indépendants membres de ce syndicat, et a fortiori de l’ensemble des PME et indépendants bruxellois. Rien ne nous dit non plus si la non-réponse introduit un biais dans les résultats de l’enquête. Ont-ils des caractéristiques particulières ?” s’interroge-t-elle.

Faky a pu se procurer les réponses au questionnaire, et notamment celles relatives au secteur d’activité auquel appartiennent les répondants. Si 18,75% d’entre eux ont répondu être actifs dans le secteur du commerce de détail non-alimentaire et 15,63% dans le secteur de l’Horeca, la majorité d’entre eux (25%) a répondu “autre secteur”, laissant planer un doute sur les caractéristiques précises des répondants.

Par ailleurs, le porte-parole du SNI indique qu’aucune différenciation des réponses entre PME et indépendants n’a été réalisée car “cela n’avait pas de pertinence dans l’enquête”.

Quant à savoir si les membres du syndicat seraient représentatifs de l’ensemble des indépendants et PME bruxellois, aucune liste des membres du SNI n’est accessible en libre accès. En tout état de cause, ce syndicat “n’est lié à aucun parti ou opinion politique ni à un secteur déterminé”, peut-on lire sur le site de l’agence bruxelloise pour l’accompagnement de l’entreprise.

In fine, la chercheuse l’ULB conclut que “ce n’est même pas tant la taille de l’échantillon qui pose problème ici, mais la procédure pour obtenir les réponses qui n’est ni aléatoire et ni réalisée dans l’ensemble de la population ciblée”.

Quid de la marge d’erreur ?

Aussi appelée intervalle de confiance, la marge d’erreur est le degré de fiabilité des résultats d’un sondage, déterminée en amont de sa réalisation. Plus cette marge est faible, plus les résultats sont fiables.

Concernant l’enquête du SNI, son porte-parole a indiqué à Faky ne pas en avoir connaissance. “Si l’échantillon était vraiment aléatoire, on pourrait dire qu’avec une taille d’échantillon de 150, la marge d’erreur serait de plus ou moins 8% pour une population de taille 1133” estime la chercheure de l’ULB. En revanche, ajoute-t-elle, “si leur enquête vise à représenter tous les PME et indépendants de la région Bruxelles-Capitale, l’échantillon est trop faible par rapport à la population totale pour jouer dans la marge d’erreur”.

Sachant qu’en général, les sondages ont un niveau de confiance de 95% et une marge d’erreur de 2%, il aurait, par exemple, fallu pour ce sondage, selon les sites spécialisés en enquêtes d’opinion, un minimum de 2377 répondants tirés au sort aléatoirement pour avoir une information fiable et représentative de la population totale.

Une interprétation abusive des résultats

Outre la méthodologie opaque et imparfaite, la communication des résultats est aussi trompeuse.

En effet, parmi les réponses au questionnaire que Faky a pu se procurer, à la question “avez-vous déjà pensé à déménager votre établissement/activité ?”, 62,50% des répondants ont effectivement répondu par l’affirmative.

En revanche, 30% de ces derniers ont indiqué “non” à la question suivante : “si oui, allez-vous le faire”.

Ainsi, près de 19 répondants sur les 94 qui ont répondu avoir “déjà pensé à déménager” renonceraient finalement à le faire.

Sachant que l’échantillon était non aléatoire et d’une taille trop faible pour tirer quelconque conclusion, le détail des réponses confirme l’absence de rigueur et de fiabilité des résultats.

Des résultats partagés, à tort, par plusieurs personnalités politiques pour faire part de leur mécontentement sur les conséquences du Plan Good Move.

Une réalité qui serait plus favorable mais nécessitant des adaptations

Quant à savoir si le Plan Good Move a réellement des impacts économiques négatifs, l’attachée de presse de Bruxelles Mobilité en charge du déploiement de ce plan répond d’abord que “les mesures mises en place dans le cadre des plans de circulation ont très peu d’impact sur le nombre de places de stationnement” et que “les conditions de circulation en ce moment sont à peu près les mêmes qu’à l’automne dernier”.

Par ailleurs, Inge Paemen ajoute que “Bruxelles Mobilité a mené par le passé des enquêtes sur les modes de déplacements utilisés par les clients de 4 quartiers commerçants de la Région. Les commerçants sont aussi interrogés sur leur estimation des modes de déplacements utilisés par leurs clients. De manière systématique, les commerçants surestimaient l’usage de la voiture par leurs clients”.

Enfin, Inge Paemen regrette que ce sondage n’ait pas considéré les autres facteurs qui auraient pu avoir un impact négatif sur la santé des acteurs économiques de la région, tels que “la crise Covid, l’augmentation des coûts de l’énergie ou l’inflation”.

Le 30 août dernier, la ministre Groen, Elke Van den Brandt, reconnaissait toutefois sur La Première ne pas être aveugle aux conséquences de Good Move : “Oui, ça a un impact. Oui, ça demande une flexibilité et je remercie les gens pour leur patience. Après un peu de temps, ça va se stabiliser. Ce sera beaucoup plus agréable d’aller dans le centre-ville.”