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Le chômage wallon est-il vraiment en hausse depuis l’arrivée du nouveau gouvernement wallon ?

Le chômage wallon est-il vraiment en hausse depuis l’arrivée du nouveau gouvernement wallon ? - Featured image

Selon l’ancienne ministre wallonne de l’Emploi désormais dans l’opposition, Christie Morreale (PS), le chômage a augmenté en Wallonie depuis l’entrée en fonction du nouveau gouvernement wallon MR-Les Engagés en juillet 2024. Elle affirme qu’alors que le taux d’emploi wallon a baissé sous le gouvernement wallon précédent, ce taux d’emploi et le nombre de chômeurs augmentent respectivement de 1,8% et de 8,3% depuis l’arrivée du nouveau gouvernement. Si les tendances à la hausse sont établies ces derniers mois, ces chiffres nécessitent plus de prudence. La hausse du chômage wallon peut être estimée à 5,5% en avril 2025 par rapport à avril 2024.

Dans une interview accordée en avril à la RTBF, l’ancienne ministre wallonne de l’Emploi, Christie Morreale (PS) pointait les résultats en matière d’emploi du nouveau gouvernement wallon MR-Les Engagés. Elle indiquait dans Matin Première : « alors que nous avons augmenté le taux d’emploi de 4,4 (pourcents, ndlr) sous l’ancienne législature, aujourd’hui il a chuté de 1,8% alors qu’en Flandre il augmente de 1,8% »

Le même raisonnement est tenu dans La Libre de ce 28 mai. Elle indique que le taux de chômage a « augmenté de 8,3% depuis le scrutin de juin – et la mise en place de ce gouvernement MR-Les Engagés, ndlr – et le taux d’emploi qui a baissé de 1,8% alors que sous le gouvernement Di Rupo, malgré les inondations et le Covid, nous étions parvenus à le faire augmenter de 4,4%. »

Nous allons donc vérifier trois affirmations une par une :

  1. Le taux d’emploi wallon a-t-il augmenté de 4,4% sous l’ancienne législature wallonne (entre juillet 2019 et juillet 2024) ?
  2. Le taux d’emploi wallon a-t-il baissé de 1,8% sous la nouvelle législature (entre juillet 2024 et avril 2025) ?
  3. Le taux de chômage wallon a-t-il augmenté de 8,3% depuis le scrutin de juin (entre juin 2024 et avril 2025) ?

Le taux d’emploi wallon a bien augmenté de 4,4% sous l’ancienne législature wallonne

Pour appuyer son affirmation sur la hausse du taux d’emploi sous le gouvernement wallon Di Rupo (juillet 2019-juillet 2024), Christie Morreale se repose sur les chiffres de Statbel, l’office belge de la statistique. Le taux d’emploi représente la proportion de Wallons de 20 à 64 ans qui travaillent par rapport à la population wallonne totale de cette tranche d’âge.

Statbel indique qu’à la fin du 2e trimestre de 2019 (avant l’entrée en fonction du gouvernement Di Rupo en juillet 2019), le taux d’emploi des 20-64 ans en Wallonie était de 65,2%.

À la fin du 2e trimestre de 2024, soit à la fin de cette législature, ce même taux d’emploi était de 68,1%. Cela fait une hausse de 2,9 points de pourcentages (la différence entre 65,2% et 68,1%), soit une hausse de 4,45% (augmentation de 2,9 points divisée par 65,2).

Le chiffre de Christie Morreale de 4,4% est donc correct.

À noter, qu’en 2019, Statbel n’affichait pas de marge d’erreur à son estimation de 65,2%. Au deuxième trimestre de 2024, l’estimation de 68,1% comportait une marge d’erreur qui allait de 66,8% à 69,4%. La hausse est néanmoins significative d’un point de vue statistique, notamment en raison de la longue période sur laquelle la hausse est constatée.

La déclaration est vraie.

Le taux d’emploi a baissé de 2,6% en deux trimestres mais la marge d’erreur incite à la prudence

Christie Morreale indique ensuite que depuis l’arrivée du nouveau gouvernement wallon, le taux d’emploi est en baisse de 1,8%.

Selon les mêmes chiffres de Statbel, le chiffre le plus récent du taux d’emploi (au quatrième trimestre de 2024) est de 66,3% en Wallonie, alors qu’il était de 68,1% six mois plus tôt, avant l’entrée en fonction du nouveau gouvernement wallon. Cela représente une baisse du taux d’emploi de 1,8 point de pourcentage, soit une baisse de 2,6%.

Christie Morreale citait une baisse de 1,8% sous la nouvelle législature, mais il s’agit en fait de -1,8 points de pourcentages, soit -2,6%.

Néanmoins, cette mesure du taux d’emploi par Statbel se fait par sondage de la population (41.500 personnes en Wallonie en 2024), et tout sondage comporte une marge d’erreur. Statbel indique que la marge d’erreur du taux d’emploi estimé de 66,3% actuellement est de 1,3% à la hausse ou à la baisse, soit entre 65,0% à 67,6%. Au deuxième trimestre de 2024, l’estimation de 68,1% comportait une marge d’erreur qui allait de 66,8% à 69,4%. Si une baisse entre ces deux trimestres est bien estimée par Statbel, les marges d’erreur se chevauchent et incitent à la prudence.

La déclaration est plutôt vraie, mais doit être nuancée par le chevauchement des marges d’erreur.

Le nombre de demandeurs d’emplois wallons a bien augmenté de 8,3% en un an, mais la méthodologie du comptage a changé

Enfin, Christie Morreale indiquant dans La Libre une hausse de 8,3% relative au chômage wallon. Cette vérification nécessite plusieurs précautions.

D’une part, s’agissait-il du nombre de demandeurs d’emploi qui est en hausse de 8,3% ou du taux de chômage qui est en hausse de 8,3% ? Contacté, l’entourage de Chrisitie Morreale indique qu’elle parlait d’une hausse du nombre de demandeurs d’emploi.

Dans l’article de La Libre, il est indiqué : « La socialiste pointe deux chiffres que le gouvernement évite de communiquer. À savoir le taux de chômage qui a “augmenté de 8,3% depuis le scrutin de juin […] ». Le journaliste a relié la hausse de 8,3% au taux de chômage, mais Christie Morreale insiste pour dire qu’il s’agit bien du nombre absolu de chômeurs.

D’autre part, le nombre de chômeurs est une donnée qui varie de façon cyclique.

En effet, il augmente chaque année à la même période (en juillet, lorsque les jeunes sortent de l’école ou de formation et s’inscrivent au Forem), et baisse chaque année à la même période (souvent au mois de novembre). On ne peut donc pas conclure à la baisse ou à la hausse du chômage d’un mois sur l’autre, mais toujours par rapport au même mois de l’année précédente.

Si nous voulons comparer la situation du chômage en avril 2025 (derniers chiffres disponibles), il faut donc regarder par rapport à avril 2024, et non juin 2024.

Pour effectuer cette comparaison, nous nous basons sur le nombre de personnes inscrites au chômage auprès du Forem. Il ne s’agit donc plus de sondage, mais d’inscriptions réelles.

Selon ces chiffres du Forem, voici le calcul :

  • Avril 2024 : 225.817 demandeurs d’emploi en Wallonie ;
  • Avril 2025 : 244.688 demandeurs d’emploi en Wallonie.

Cela représente une hausse 18.871 personnes sur un an, soit une hausse de 8,3% du nombre de demandeurs d’emplois inscrits au Forem sur un an.

Cependant, il est tout à fait inexact d’attribuer cette hausse dans les chiffres dans telles proportions à une hausse réelle du chômage en ce moment en Wallonie.

Un changement dans la façon de décompter les demandeurs d’emploi

En effet, Christie Morreale, lorsqu’elle était ministre wallonne de l’Emploi a modifié les règles de décompte des demandeurs d’emploi par le Forem. A travers le décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi du 12 novembre 2021, tous les demandeurs d’emploi doivent désormais être inscrits au Forem, ce qui n’était pas forcément le cas avant.

Cela concerne par exemple des jeunes qui ne touchent pas le chômage, des exclus du chômage repris au CPAS, des personnes migrantes qui arrivent dans le pays et n’ont pas droit au chômage. Toutes ces personnes, par le passé, n’étaient pas obligées d’être inscrites au Forem, et étaient parfois automatiquement retirées des décomptes après trois mois. Elles sont reprises dans la catégorie « Demandeurs d’emploi libres inoccupés ». L’objectif de cette réforme était d’avoir une vue plus réaliste, fidèle et complète de la population à la recherche d’un emploi.

Or, depuis la réforme menée par l’ex ministre de l’Emploi Morreale, cette catégorie a explosé : environ 12.000 en janvier 2022, près de 75.000 aujourd’hui. Cette catégorie augmente encore aujourd’hui de 20% par an. Ce changement qui est purement administratif influence complètement le nombre total de chômeurs à la hausse depuis fin 2022 : + 5% à + 10% de chômeurs chaque mois par rapport à l’année précédente. Mais ces chiffres à la hausse n’impliquent pas forcément une hausse réelle du chômage en Wallonie.

La catégorie la plus fidèle à la réalité de l’état du chômage en Wallonie est celle des « demandeurs d’emplois demandeurs d’allocation », dont les règles n’ont pas changé. Il s’agit de la plus grande catégorie de demandeurs d’emploi, environ 50% des demandeurs d’emploi. Cette catégorie de demandeurs d’emploi est en baisse constante depuis la sortie du Covid.

Néanmoins, cette catégorie repart à la hausse depuis la fin l’année 2024, et on constate une hausse de 5,5% entre avril 2025 et avril 2024. Il serait donc plus exact d’estimer une hausse du chômage wallon actuellement à 5,5% plutôt qu’à 8,3%.

Recontacté sur ce point, l’entourage de Chrisitie Morreale reconnaît que le chiffre de 5,5% est plus fiable que celui de 8,3%, mais indique qu’il s’agissait de répondre au ministre de l’Emploi actuel, Pierre-Yves Jeholet, qui lui aussi utilise le chiffre global de 244.700 demandeurs d’emploi dans la presse, et qui l’annonçait en hausse de 7,8% par rapport à l’année passée.

La déclaration de Christie Morreale est donc vraie en ce sens que l’augmentation de 8,3% est bien fidèle aux statistiques du Forem, mais ce chiffre est non pertinent pour juger de l’augmentation du chômage en Wallonie.

En conclusion, une tendance du chômage qui repart à la hausse plutôt correcte, mais les chiffres demandent de la prudence

L’ancienne ministre wallonne de l’Emploi Christie Morreale a donc raison lorsqu’elle indique que le taux d’emploi a augmenté de 4,4% sous la législature 2019-2024, du gouvernement Di Rupo. Cette hausse mesurée par Statbel est significative sur le plan statistique, notamment parce qu’elle se mesure sur une longue période.

En revanche, la baisse de 1,8 point de pourcentage du taux d’emploi entre le 2e trimestre de 2024 et le 4e trimestre de 2024 nécessite davantage de prudence. Cette baisse se trouve dans la marge d’erreur du sondage, et ne reflète que deux trimestres, ce qui est une trop courte période pour juger d’une tendance claire et significative.

Enfin, il n’est pas correct d’un point de vue statistique d’affirmer que le chômage est en hausse de 8,3% en avril 2025 par rapport au scrutin de juin 2024. D’abord, parce que le chômage se compare à intervalles de douze mois. Ensuite, parce que si la hausse est bien de 8,3% entre avril 2025 et avril 2024, une partie significative de cette hausse est attribuée à un changement purement administratif, qui ne reflète pas la réalité du chômage.

Le nombre de demandeurs d’emplois demandeurs d’allocation, qui lui est bien plus fiable d’un point de vue statistique, est en revanche bien en hausse : + 5,5% entre avril 2025 et avril 2024.