“57 % des exclus du chômage ne sont pas belges”. L’information a fait grand bruit ce mardi. Publiée en une des éditions de Sudinfo, formulée par le ministre de l’Emploi David Clarinval lui-même sur Bel RTL, elle a notamment été partagée par George-Louis Bouchez. “Amalgame inacceptable”, a pour sa part dénoncé Maxime Prévot, sur X. La député socialiste à l’origine de la question parlementaire se dit « révoltée » par la « confusion grave et profondément choquante ». Après vérification, Sudinfo a confondu les personnes d’origine étrangère et celles de nationalité étrangère. L’Onem nous indique que la proportion de personnes de nationalité étrangère qui seront exclues par cette réforme est de 19% et non de 57%.
Tout est parti d’une question écrite posée, le 10 juillet 2025, par la députée socialiste Sophie Thémont, au ministre MR de l’Emploi David Clarinval. La députée relaie l’inquiétude d’Unia (le Centre interfédéral pour l’égalité des chances) quant à l’impact de la limitation du chômage dans le temps sur les publics vulnérables, « en particulier les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, ou issues de l’immigration ». Elle demande notamment au ministre s’il a des données chiffrées sur l’impact de la réforme du chômage sur ces publics.
Tôt ce mercredi matin, le président du MR George-Louis Bouchez a partagé l’article sur Facebook en commentant qu' »au delà de cette réalité, dire qu’une partie de l’argent de notre sécurité sociale est envoyée à l’étranger risque de soulever le cœur des âmes sensibles (…) ».
Des conclusions et des chiffres contestés par plusieurs membres d’associations ou de syndicats (comme ici ou ici) dans la matinée. Plus tard dans l’après-midi, ce sont des poids lourds des Engagés qui ont dénoncé ces chiffres et leur utilisation. Maxime Prévot, ministre des Affaires étrangères (Les Engagés), sur X, dénonce un « amalgame inacceptable et douteux », tandis que son président de parti Yvan Verougstraete parle d’un titre “honteux”. La députée PS, à l’origine de la question écrite posée au ministre, a elle-même dénoncé une « une confusion grave et profondément choquante ».
Une personne d’origine étrangère n’est pas un étranger
Les chiffres donnés dans la réponse écrite de David Clarinval proviennent de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS). Ils concernent les personnes d’origine étrangère inscrites au chômage, au cours du 4e trimestre de 2023, derniers chiffres disponibles. Il ne s’agit donc pas des personnes de nationalité étrangère. Dans sa réponse à la question parlementaire, le ministre fait pourtant bien la différence entre origine et nationalité. Et le chiffre de 57% de personnes d’origine étrangère est alors correctement sourcé et utilisé.
Pourtant, dans l’article, le titre et la une de Sudinfo, l’origine étrangère est confondue avec la nationalité étrangère, notamment quand il est expliqué que « 57% des exclus du chômage ne sont pas belges » ou que « plus de 100.000 étrangers vont perdre leurs allocations ». Le ministre Clarinval, lui aussi confond les deux notions sur Bel RTL, d’abord en parlant correctement de personnes « d’origine étrangère », mais en ajoutant directement « donc moins de la moitié sont Belges », ce qui n’est pas juste.
Une définition particulièrement large de l’origine étrangère
La définition de l’origine étrangère est donnée dans la réponse du ministre Clarinval, ainsi que dans le corps de l’article, et correspond à celle donnée sur le site de la BCSS : « Pour déterminer l’origine d’une personne, on prend en compte tour à tour la première nationalité du père, de la mère et de la personne elle-même et la nationalité actuelle de la personne elle-même. La première occurrence de la nationalité étrangère compte comme l’origine de la personne. Une personne est d’origine belge si elle a quatre fois la nationalité belge. »

© Capture d’écran RTBF / Définition de l’origine étrangère selon la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale.
Pour être considéré comme d’origine belge, il faut donc que les quatre nationalités observées pour un individu soient belges : la première nationalité de la mère, la première nationalité du père, sa propre première nationalité et sa nationalité actuelle. Si un seul de ces quatre critères n’est pas rempli, on sera considéré comme d’origine étrangère.
En plus de la confusion entre « origine » et « nationalité », cette définition particulièrement large englobera sous l’appellation « d’origine étrangère » de très nombreuses personnes belges dont on ne préjuge aucune origine étrangère. Par exemple, si l’on suit ces critères, le roi Philippe n’est pas d’origine belge puisque la première nationalité de sa mère, la reine Paola, étant italienne.
Cette définition aura donc tendance à accroître largement la proportion de Belges d’origine étrangère dans le pays. Ils représentent, selon la même définition, 36% des habitants du pays selon Statbel, alors que seuls 13,8% des résidents belges sont de nationalité étrangère.
Les chiffres ne correspondent pas à ceux de l’ONEM
Une troisième confusion porte sur les chiffres eux-mêmes. Dans sa réponse à la question parlementaire, le ministre de l’Emploi explique sa méthode : « L’ONEM ne dispose pas de la donnée « origine » des chômeurs […] En revanche, les chiffres des chômeurs par origine sont disponibles dans le datawarehouse de la BCSS (la Banque Carrefour de la sécurité sociale, ndlr) […] Si l’on applique ces pourcentages à l’estimation de la population de chômeurs qui perdent leurs droits en raison de la restriction des prestations au fil du temps, on obtient les chiffres suivants. »
Autrement dit, le ministre ne donne donc pas les chiffres réels de la répartition par origine des futurs exclus du chômage, il en fait une estimation en appliquant la répartition par origine dans la population totale des chômeurs (au dernier trimestre de 2023) à la population des chômeurs qui va être exclue. Rien ne dit pourtant que cette répartition, même en termes d’origine, sera similaire.
Quel est le bon chiffre du nombre d’étrangers exclus du chômage ?
Pour obtenir le bon chiffre du nombre d’étrangers qui seront exclus par cette réforme du chômage, nous avons contacté l’ONEM, qui donne les chiffres suivants. Sur les 193.905 personnes qui seront exclues du chômage :
- 156.750 soit 80,8 % sont de nationalité belge,
- 19,2% sont des étrangers, dont 19.146 européens (9,87%) et 18.009 (9,28%) non européens
Cela signifie que 19,2% des futurs exclus du chômage sont de nationalité étrangère. C’est une légère surreprésentation par rapport à la population globale vivant en Belgique, puisqu’au 1er janvier 2025, 13,8% de la population, selon Statbel.
Conclusion
Ce mercredi matin, les éditions de Sud Presse titraient en une que « 57% des exclus du chômage ne sont pas Belges », et précisait en titre d’un article que « plus de 100.000 étrangers vont perdre leurs allocations ». Cette une a été republiée sur les réseaux sociaux par le président du MR et reformulée par le ministre David Clarinval sur Bel RTL comme suit : « moins de la moitié sont Belges ».
En réalité, Sud Presse confond en une, en titre et dans l’article les concepts de « nationalité » et d' »origine ». Une personne peut être belge sans être d’origine belge. Il est donc faux de dire que « 57 % des exclus du chômage ne sont pas belges », comme le quotidien l’indique ou que « moins de la moitié sont belges » comme David Clarinval l’a affirmé. D’une part, ce chiffre concerne des personnes d’origine étrangère et non les personnes de nationalité étrangère. Et d’autre part, le chiffre ne correspond pas aux données de l’ONEM selon lequel 19% des futurs exclus du chômage ne sont pas de nationalité belge.
Par ailleurs, la définition utilisée par la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale pour considérer qu’une personne est d’origine étrangère est particulièrement large, et surreprésente les personnes d’origine étrangère par rapport à la conception largement comprise par la population belge. Par exemple, le Roi Philippe serait considéré comme d’origine étrangère selon cette définition.
Sollicité, la rédaction en chef de Sudinfo indique qu' »il semble que le ministre se soit trompé dans ces explications hier (mardi, au moment de l’écriture de l’article, NDLR) et nous allons évidemment publier un erratum ». Le ministre Clarinval, lui, n’a pas souhaité préciser ses propos en renvoyant à son interview donnée sur Bel RTL ce mercredi matin.