Des momies “non humaines” ont été présentées ces derniers mois. Exposées notamment devant le Congrès mexicain, ces petits “aliens” au crâne déformé et à trois doigts ont fait l’objet d’une attention particulière. Si la presse internationale a globalement évoqué ces déclarations avec prudence ; sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos présentent ces découvertes comme la preuve de la présence d’extraterrestres, il y a environ mille ans au Pérou dans le désert de Nazca.
Par ailleurs, selon l’archéologue de l’ULB Peter Eeckhout, leur invention est le fruit de plusieurs croyances et de pratiques culturelles de civilisations précolombiennes, comme la modification artificielle du crâne chez les Paracas ou les “lignes de Nazca”.
Sur les réseaux sociaux, l’engouement pour les “momies extraterrestres” du Pérou engendre des millions de “vues”. La présentation devant les députés mexicains en septembre 2023 de restes “non-humains”, a été largement relayée sur les différentes plateformes en ligne. Sur X, des publications autour de ces “révélations” ont cumulé des millions de milliers de vues (1, 2). C’est également le cas sur d’autres réseaux, comme Facebook, Youtube ou TikTok, avec cette vidéo qui a fait 922.000 vues en évoquant “2 corps d’aliens'” qui “ont” été présentés au congrès mexicain”.
Dans la vidéo, l’internaute explique que : “Deux corps d’aliens qui ne sont pas issus de la terre ont été retrouvés près d’un crash supposé d’OVNI. Les corps ont été analysés et ont été classifié non terrestres par les chercheurs. C’est la première fois que des corps sont révélés officiellement par un gouvernement et approuvés par des chercheurs. Pour la toute première fois, nous possédons donc une véritable preuve que les aliens existent.”
Dans la presse internationale, la présentation faite par le journaliste et ufologiste (personne pratiquant l’étude des objets volants et phénomènes aérospatiaux non identifiés) mexicain Jaime Maussan des “momies aliens” devant le Congrès de son pays a également reçu de larges échos. Certains médias prenant la version de Jaime Maussan pour acquise, d’autres la remettant largement en cause.
Des “aliens” retrouvés en Amérique latine : une histoire qui ne date pas d’hier
Ce n’est pas la première fois que l’histoire de ces “aliens” retrouvés en Amérique latine attirent l’attention du public. L’histoire de ces “momies extraterrestres” suscite un engouement du public depuis de longues années, notamment auprès des passionnés d’ufologie.
C’était notamment déjà le cas en 2003 suite à la découverte d’un nouveau-né naturellement momifié dans le désert d’Atacama au Chili. “Ata” n’est pas plus grande qu’un fœtus humain (environ 15 centimètres), mais ses os sont à peu près aussi développés que ceux d’un enfant de six ans et son crâne a une forme allongée.
Présentée par certains comme étant d’origine extra-terrestre, l’analyse de son ADN a démontré qu’il s’agissait d’un fœtus de sexe féminin qui était bien d’origine humaine mais qui avait subi des anomalies génétiques rares liées au nanisme, à des déformations et à un vieillissement apparemment prématuré.
Cet épisode faisait écho à la “découverte” d’une “momie extraterrestre” à trois doigts et présentant une déformation crânienne par Jaime Maussan en 2015. Des scientifiques péruviens ont analysé la momie et en ont conclu que “cette momie est une momie archéologique à laquelle deux doigts ont été retirés et le nombre de phalanges augmenté sur les trois doigts restants”.
Des recherches complémentaires ont indiqué que la main à trois doigts avait été réalisée à partir d’ossements appartenant à au moins deux individus différents. En 2021, une étude scientifique publiée dans l’International Journal of Biology and Biomedicine a permis d’éclaircir la question de la forme inhabituelle de la boîte crânienne de la momie. Il s’agissait d’un assemblage composé d’une “boîte crânienne de lama détériorée et d’autres os non identifiés”.
Pour revenir à l’épisode de Gaia montrant les deux corps de petite taille, les prétendus “experts” qui apparaissent dans la vidéo sont soit difficilement retrouvables, soit des figures controversées dans la communauté scientifique, comme l’indiquent les Observateurs de France 24. Parmi les personnes interrogées, nos confrères évoquent le cas du Français Thierry Jamin, régulièrement accusé de ne détenir aucune formation archéologique et critiqué pour ses lacunes méthodologiques.
Quant à Javier Maussan, qui apparait dans la vidéo de 2017, il s’agit du même ufologiste mexicain qui a fait la présentation devant le congrès mexicain en septembre 2023. Des ressemblance et les similitudes de date et de lieu laissent d’ailleurs penser que les momies présentées dans le documentaire de 2017 pourraient être les mêmes que celles présentées devant le Congrès à Mexico en septembre 2023.
Une présentation de momies “non humaines” devant le Congrès mexicain en septembre 2023
En effet, le 12 septembre 2023, deux petits sarcophages contenant les fossiles de créatures anthropomorphes ont été présentés aux députés mexicains par ce même Jaime Maussan, journaliste spécialiste autoproclamé d’ufologie, dans le cadre d’auditions publiques qui ont réuni des chercheurs de différents pays sur le phénomène des ovnis.
Ces spécimens momifiés et fossilisés de petite taille, au crâne allongé et avec trois doigts par main, étaient exposés dans des boîtes vitrées pour être visibles par l’assemblée. Des experts, qui ont témoigné sous serment, ont affirmé que l’un des spécimens portait apparemment ce qui ressemblait à des œufs, tandis que l’autre avait des implants faits de métaux rares.
Selon M. Maussan, ces momies auraient été récupérées en 2017 à Cuzco, au Pérou.
“Ce sont des être non-humains, qui ne font pas partie de notre évolution terrestre et qui après avoir disparus n’ont pas eu d’évolution postérieure. Selon l’Université nationale autonome de Mexico (UNAM) qui a réalisé les analyses au carbone 14, ces êtres ont autour de 1000 ans. Cela veut dire qu’il ne s’agit pas d’êtres qui ont été trouvés près des restes d’un OVNI. Ils ont été trouvés dans des mines de diatomées (algues) (…) puis ont été fossilisés”, a déclaré sous serment Javier Maussan aux participants.
“Nous avons un être hybride, nous avons d’autres êtres apparemment plus évolués que nous (…) nous sommes face à quelque chose de vraiment extraordinaire”, a ajouté Maussan en défendant l’authenticité des corps. Il a assuré qu’il s’agissait “d’êtres non humains qui ne font pas partie de notre évolution terrestre”. Le lendemain, Jaime Maussan a également présenté les deux momies, cette fois à la presse.
L’exposé de Maussan dénoncé par des scientifiques à travers le monde
Des éléments factuels indiquent pourtant que ces “momies aliens” présentées officiellement sont des faux.
Tout d’abord, l’institut de physique de l’UNAM, cité par Maussan, a confirmé qu’il avait bien effectué des analyses mais qu’il s’agissait uniquement de dater des échantillons fournis. Selon les chercheurs de l’UNAM, une analyse a bien été faite en 2017 “sur un ensemble d’échantillons qui, selon les informations fournies par le client, étaient des tissus de peau et de cerveau d’environ 0,5 gramme, dont les résultats ont été émis en juin de la même année et livrés à l’utilisateur qui en avait fait la demande”. Ils précisent qu’il s’agissait uniquement de déterminer l’âge et non l’origine des échantillons. Par ailleurs, le laboratoire qui a réalisé les analyse a précisé qu’il “se distancie de toute utilisation ultérieure, interprétation ou fausse déclaration concernant les résultats qu’il a publiés”, indique le communiqué de l’université qui s’est distanciée des déclarations de Maussan devant le Congrès.
Par ailleurs, l’UNAM qui figure dans certains classement des meilleurs universités au monde, a organisé le 19 septembre 2023 une rencontre scientifique intitulée : “Aliens ou squelettes de lamas ? Face aux crédules et aux charlatans, la science répond”. Des arguments scientifiques, comme la découverte de “quelque 18 000 nouvelles espèces ‘non humaines’ chaque année” sur la planète terre, y ont été exposés. Battant en brèche les affirmations de Maussan, qualifiées de “ridicules et conspirationnistes”.
De son côté, le HuffPost a publié dès le 13 septembre 2023 un article dans lequel ils établissent le rapprochement entre les momies présentées par Maussan dans le documentaire “Unearthing Nazca” et celles présentées devant le Congrès mexicain. Le site web d’information y fait mention d’un article de la revue scientifique “Live science” daté de 2018 au sujet de ces “momies aliens”. Dans celui-ci, il y est indiqué que des anthropologues estiment que certaines de ces momies peuvent être issues d’une combinaison d’éléments issus “de pillage et de manipulation de parties de momies humaines réelles”.
Des corps fabriqués, constitués d’os d’animaux et d’humains
L’avis des universitaires, archéologues et scientifiques est unanime : une partie de ces momies sont des corps humains préhispaniques modifiés, tandis que les autres, surtout les plus petites, comme celles présentées au Congrès mexicain, sont des corps constitués d’os d’animaux et d’humains.
Déjà en 2017, un rapport scientifique à l’initiative d’un procureur péruvien avait établi que les prétendus corps d’extraterrestres étaient en fait des “poupées récemment fabriquées, qui ont été recouvertes d’un mélange de papier et de colle synthétique pour simuler la présence d’une peau”. “Pour élaborer la structure interne des poupées, des os d’animaux ont été modifiés pour générer une forme humanoïde”, peut-on également lire dans les conclusions du rapport de l’archéologue Flavio Estrada.
La version en ligne de WIRED en espagnol indique, par ailleurs, que “l’avis des universitaires, archéologues et scientifiques recueillis est unanime : une partie de ces momies sont des corps humains préhispaniques modifiés, tandis que les autres, surtout les plus petites, comme celles présentées ce mardi au Congrès mexicain, sont des corps constitués d’os d’animaux et d’humains”.
Des “momies” similaires à nouveau analysées il y a quelques semaines au Pérou
Des pièces similaires à celles qui ont été montrées devant le Congrès mexicain ont été découvertes en octobre 2023 dans une cargaison à destination du Mexique. Elles ont été saisies par les autorités péruviennes et soumises à des analyses par des experts. Il s’agit, là aussi, de supposés aliens ainsi que d’une prétendue main à trois doigts.
Les experts du bureau du procureur du Pérou ont déclaré que les objets avaient été, ici aussi, fabriqués avec du papier, de la colle, du métal et des os humains et animaux. “La conclusion est simple : il s’agit de poupées assemblées avec des os d’animaux de cette planète, avec des colles synthétiques modernes, et qui n’ont donc pas été assemblées à l’époque préhispanique”, a déclaré l’archéologue Flavio Estrada à la presse, l’archéologue péruvien qui avait déjà participé aux recherches menées sur les “momies de Nazca” en 2017.
Un reportage de l’émission d’investigation péruvienne Panorama démontre notamment comment la fabrication des têtes allongées de ces momies a été réalisée à l’aide de crânes de camélidés, comme le lama. L’œuf présent à l’intérieur d’une momie s’est avéré être une simple pierre.
“Ce ne sont pas des extraterrestres, ce ne sont pas des aliens”, a ajouté Flavio Estrada à la suite de l’enquête qui a duré trois mois. Le ministère de la Culture péruvien a, de son côté, évoqué l’audition de M. Maussan devant le Congrès mexicain et qualifié “d’escroquerie” l’histoire de l’origine extraterrestre supposée des momies de Nazca.
Les crânes déformés de la civilisation Paracas
Peter Eeckhout est professeur d’archéologie à l’ULB. Pour celui qui mène des fouilles archéologiques depuis 30 ans au Pérou, notamment sur le site de Pachacamac, cette histoire de momies aliens, “c’est un peu une sorte de serpent de mer de la pseudo archéologie”.
L’archéologue belge explique qu’il y a beaucoup de “fantasmes” par rapport aux momies, et particulièrement par rapport aux momies péruviennes dont certaines d’entre elles sont particulièrement bien conservées.
Il évoque aussi des similitudes entre la représentation que des humains peuvent se faire des extraterrestres, comme dans le célèbre film “ET”, et la forme allongée des crânes de certains individus de la société précolombienne de Paracas. “Dans cette société du premier millénaire avant notre ère sur la côte du Pérou, il y avait ces déformations crâniennes. Il y en a chez d’autres populations, mais celles là sont particulièrement spectaculaires”, indique l’archéologue.
Les crânes déformés découverts au début du XXe siècle dans des tombes à Paracas au Pérou doivent leur forme à des bandages crâniens. Le rituel consistait à appliquer un bandage de manière à remodeler le crâne du nourrisson tant que ses os du crâne sont encore flexibles.
Mais ces ossements de crânes déformés n’est pas le seul élément qui suscite autant l’intérêt des amateurs d’extraterrestres.
Les lignes de Nazca, avant les “momies” du même nom
Pour Peter Eeckhout, il y a également un lien entre ces “momies extraterrestres de Nazca”, du nom d’une région du sud du Pérou, et les géoglyphes tracés par une autre civilisation précolombienne qui s’est développée de 200 avant JC à 600 après JC.
“Nazca, c’est aussi les lignes de Nazca, qui sont des vestiges archéologiques dont tant la réalisation que la fonction, c’est à dire l’usage par les populations anciennes, ont été démontrés par la science depuis assez longtemps, mais dans lesquels d’aucuns préfèrent voir toutes ces histoires d’extraterrestres, etc.”, explique le professeur de l’ULB.
En effet, les géoglyphes de Nazca appelés aussi “lignes de Nazca”, sont de grandes figures tracées sur le sol et visibles dans le désert. Ces lignes représentent souvent des animaux stylisés, mais il s’agit aussi parfois de simples lignes longues de plusieurs kilomètres. Si ces tracés avaient vraisemblablement un rôle rituel, certaines interprétations non scientifiques suggèrent que les figures de Nazca sont soit une piste d’atterrissage pour des vaisseaux spatiaux extraterrestres, soit un message réalisé par la population locale à leur attention.
La théorie des momies aliens de Nazca ne repose sur aucun élément scientifique
Au-delà des explications sur les origines potentielles et l’intérêt suscité par les “momies de Nazca”, Peter Eeckhout qualifie la présentation de ces “momies aliens” devant le Congrès mexicain de “pure escroquerie” et qualifie le procédé de “manipulation”.
“C’est malheureusement une technique qui est régulièrement employée par les faussaires, ceux qui trafiquent les antiquités et qui veulent faire croire que tel objet faux est en réalité authentique. C’est à dire qu’ils vont prendre une base ou des parties qui sont produits du pillage et authentique et sans réel intérêt. Et à partir de ça, ils vont refaire un objet. Et donc quand on mènera des analyses physico chimiques pour déterminer si l’objet est ancien, il apparaîtra ancien, alors qu’en fait, c’est une fabrication”, explique l’archéologue.
Comme les autres scientifiques qui ont eu accès à des éléments matériels à ce jour, il estime qu’il n’y a aucun élément à ce stade permettant de croire à une présence extra-terrestre an Amérique latine à l’ère précolombienne au travers de ces poupées manipulées.