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Cette carte est incomplète et ne prend pas en compte l’impact carbone considérable de l’Europe et de la Californie

Cette carte est incomplète et ne prend pas en compte l'impact carbone considérable de l'Europe et de la Californie - Featured image

Author(s): Marie GENRIES / AFP Belgique

Alors que les membres de l’Union européenne ont définitivement validé la fin des moteurs thermiques dans les voitures neuves à partir de 2035, une carte, sur laquelle l’Europe et la Californie sont coloriées en bleu, circule sur les réseaux sociaux depuis fin février. Ces régions “où il sera interdit de vendre des véhicules thermiques en 2035” représentant “un seizième de la population”, cette politique serait donc inutile contre le changement climatique, d’après les publications. Mais cette carte est incomplète: plusieurs autres régions du monde ont annoncé des législations ou des objectifs similaires ces dernières années. Par ailleurs, l’UE et la Californie représentent un cinquième du parc automobile mondial et peuvent avoir une influence sur le reste du monde, ont expliqué à l’AFP plusieurs experts. 

“En bleu, les pays où il sera interdit de vendre des véhicules à moteur thermique en 2035. Cela représente 1/16 de la population mondial (sic). Je me sens de suite mieux avec ma bonne conscience de citoyen européen responsable”, écrit l’auteur de cette publication, partagée plus de 16 000 fois depuis le 26 février 2023. Le texte est accompagné d’une carte du monde, sur laquelle la Californie et l’Union européenne apparaissent en bleu.

La même carte a été relayée plus de 2000 fois sur Twitter avec cette description: “En bleu les pays où les voitures à essence seront interdites en 2035 !”.

Cette carte circule au minimum depuis le 23 février 2023 sur les réseaux sociaux, selon les recherches de l’AFP.

Capture d’écran réalisée sur Facebook le 29/03/2023
Capture d’écran réalisée sur Twitter le 29/03/2023

“Je me rendais pas compte qu’il y avait autant de personnes concernées dans le monde”, ironise un internaute dans les commentaires, tandis qu’un autre s’indigne: “Et c’est l’Europe qui va changer le climat ?…Ils nous prennent vraiment pour des cons”. 

Au contraire, un autre rappelle que “Cela représenterait 1/16 de la population mondiale (je n’ai pas vérifié), mais beaucoup plus que 1/16 des voitures car les pays concernés sont les plus industrialisées (sic)“.

Le 28 mars 2023, les Etats membres de l’Union européenne ont définitivement approuvé la fin des moteurs thermiques – c’est-à-dire alimentés par un carburant d’origine fossile – dans les voitures neuves à partir de 2035. Le texte (archivé ici) prévoit  que les voitures et camionnettes neuves ne pourront plus émettre de CO2 à partir de cette date, interdisant de fait la vente des véhicules essence, diesel, et hybrides, au profit du tout électrique.

La Californie avait annoncé une législation similaire en 2020, adoptée en août 2022: les voitures neuves vendues en Californie devront être à “zéro émission” polluante, à partir de 2035 au plus tard, selon le texte adopté par l’État le plus peuplé des Etats-Unis. Seuls les véhicules roulant à l’électricité, à l’hydrogène et certains véhicules hybrides seront autorisés, interdisant de fait la vente de voitures neuves diesel ou à essence à partir de 2035.

Les véhicules thermiques déjà en circulation pourront continuer à rouler

Une partie des internautes qui partagent cette carte affirment, comme ici, que les pays en bleu vont “interdire” les voitures à essence ou les véhicules thermiques en 2035.

La FAQ du Parlement européen sur le sujet (lien archivé), basée sur une interview de l’eurodéputé néerlandais et rapporteur du texte Jan Huitema, précise pourtant que “ces règles n’affectent pas les voitures déjà existantes”: “Si vous achetez une nouvelle voiture aujourd’hui, vous pouvez la conduire jusqu’à la fin de sa durée de vie. Comme la durée de vie moyenne d’une voiture est de 15 ans, nous devons commencer en 2035 pour que toutes les voitures soient neutres en CO2 d’ici à 2050” – année à laquelle l’Union européenne prévoit d’être neutre en carbone – explique l’eurodéputé. Par ailleurs, il sera toujours possible d’acheter et de vendre des voitures d’occasion essence et diesel après 2035.

Le communiqué du gouverneur californien publié le 23 septembre 2020 (lien archivé) précise également que “ce décret n’empêchera pas les Californiens de posséder des voitures à essence ou de les vendre sur le marché des véhicules d’occasion”.

Ces législations ne prévoient donc pas “l’interdiction des voitures à essence” ou diesel: leurs propriétaires pourront bien continuer à utiliser ces voitures ou les revendre d’occasion après 2035, mais les automobilistes ne pourront plus acheter ces véhicules neufs.

Une carte incomplète

Selon cette carte, seules l’Union européenne et la Californie ont prévu l’interdiction de vente des véhicules neufs à moteur thermique après 2035. Pourtant, plusieurs autres pays et régions du monde, listés dans cette dépêche de l’AFP diffusée fin mars 2023 (lien archivé), ont annoncé au cours de ces dernières années la mise en place de législations similaires, ou d’objectifs allant en ce sens.

Le plus avancé est la Norvège, marché automobile le plus électrifié au monde, qui prévoit 100% de ventes de voitures neuves “zéro émission” à l’échappement en 2025.

  • Des législations pour imposer les véhicules à “zéro émission”

En plus de la Californie, l’Etat de New York a également annoncé en 2022 l’interdiction de facto de la vente de véhicules neufs à moteur thermique en 2035, avec une exception pour les hybrides rechargeables –  qui ont un moteur à explosion mais peuvent rouler des dizaines de kilomètres en 100% électrique.

Le gouvernement canadien a également annoncé en 2021 l’adoption de mesures exigeant que la totalité des voitures et camions légers neufs vendus soient “des véhicules zéro émission d’ici 2035” (lien archivé).

Singapour, Israël et le Royaume-Uni interdiront l’enregistrement des nouveaux véhicules à moteur à combustion en 2030.

Une voiture électrique en cours de chargement sur une borne d’un parking à Lille, dans le nord de la France, le 27 septembre 2022. – DENIS CHARLET / AFP
  • D’autres gouvernements ont annoncé des objectifs partiels

Aux Etats-Unis, Joe Biden a signé en 2021 un décret prévoyant que la moitié des voitures vendues soient “zéro émission” en 2030. Selon l’Agence internationale de l’énergie, en 2020, les véhicules électriques ne représentaient aux États-Unis que 2 % des ventes de voitures neuves.

Grand pays de l’automobile, le Japon privilégie les moteurs hybrides, dont Toyota est le champion mondial. Le gouvernement nippon souhaite mettre fin à la vente des véhicules neufs à essence ou diesel d’ici au milieu des années 2030, mais les hybrides et les véhicules à hydrogène resteront dans le jeu.

Premier pollueur de la planète, et premier marché automobile mondial, la Chine vise dans un premier temps 20% de véhicules fonctionnant aux “énergies nouvelles” (électrique, hybride, pile à combustible) d’ici à 2025. Ils devraient devenir “le courant dominant” en 2035, selon un document publié fin 2020 par le gouvernement.

Comme la Chine qui “a une politique plus directive et est déjà plus rapide que l’Europe sur l’électrification”, certains pays avance rapidement même sans législation coercitive sur la question, a commenté Marie Chéron, spécialiste de la mobilité au sein de l’ONG européenne Transport et Environnement, interrogée le 24 mars 2023. Comme l’explique cet article de la MIT Technology Review, une société de médias appartenant à l’université américaine Massachusetts Institute of Technology (MIT), la Chine est depuis huit ans le premier marché mondial pour les voitures électriques avec 6,8 millions de véhicules électriques vendues dans le pays en 2022.

Cette carte est donc incomplète et trompeuse, a commenté Augustin Fragnière, docteur en sciences de l’environnement et directeur adjoint du centre de compétences en durabilité de l’université de Lausanne: “En plus des interdictions totales, il y a aussi tout un jeu d’incitations économiques: des taxes qui rendent plus chers les carburants fossiles, des subventions à l’achat de véhicules électriques, etc. Se focaliser seulement sur une date précise et sur l’interdiction des ventes de véhicules à moteur thermique, c’est donner une information partielle”, a-t-il expliqué à l’AFP le 28 mars 2023.

Comme indiqué dans cet article de l’AFP cité plus haut, quelques pays émergents se sont également positionnés, alors que les ventes de voitures neuves y sont faibles et que les voitures électriques restent chères à l’achat.

L’Union européenne et la Californie représentent un cinquième du parc automobile mondial

Selon le raisonnement tenu par les internautes, la Californie et l’Union européenne ne représentant qu’un seizième de la population mondiale, les politiques visant à passer à l’électrique n’auraient pas réellement d’impact sur le changement climatique

Or, comparer la population de ces régions avec celle du reste du monde “n’est pas pertinent” a expliqué Marie Chéron, qui propose plutôt de regarder le nombre de véhicules circulant en Europe et en Californie, qui représentent  “bien plus qu’un seizième” du nombre total de voitures dans le monde.

Le nombre de  véhicules (particuliers et commerciaux) dans l’Union européenne culminait à 286 millions en 2021 -338 millions en comptant le Royaume-Uni, la Norvège, la Suisse et l’Islande – selon les chiffres de l’Association des constructeurs européens d’automobiles. 93% des véhicules circulant dans l’Union européenne fonctionnaient au diesel ou à l’essence.

En 2021,  31 millions de véhicules étaient enregistrés en Californie, dont 14 millions de véhicules particuliers. Il s’agit du plus grand marché automobile des Etats-Unis et l’un des plus importants au niveau mondial, selon le site de données allemand Statista.

En 2021, l’UE et la Californie et comptaient donc à elles deux environ 317 millions de véhicules particuliers et commerciaux- sur 1,4 milliard de véhicules dans le monde selon Marie Chéron – soit un peu plus d’un cinquième du parc automobile mondial.

“Sur l’aspect purement factuel, ces régions représentent peut-être un seizième de la population mondiale, mais c’est une population qui émet plus que la moyenne dans le monde”, a commenté Augustin Fragnière.

Les Etats-Unis – la Californie en tête, la Chine et l’Union européenne sont les trois premiers émetteurs de CO2 lié au transport, selon la plateforme de données ouvertes Climate Watch (lien archivé).

Contactée le 20 mars 2023, une porte-parole de l’ONG Conseil International sur les transports propres (ICCT) a également estimé que la carte relayée sur les réseaux sociaux “est inexacte”. “Une approche plus significative consisterait à considérer la part de marché des véhicules à moteur à combustion interne ou le taux de motorisation – véhicules à moteur en circulation pour 1 000 habitants – dans ces pays. Cela permettrait de déterminer l’impact potentiel de l’interdiction”, a expliqué l’ICCT.

Ce graphique du site Our World In Data (lien archivé), permet d’observer que les Etats-Unis, l’Europe, le Canada et l’Australie avaient les plus gros taux de motorisation en 2017.

En 2022, l’Europe comptait 560 véhicules particuliers pour 1000 habitants. Les voitures dites “à motorisation alternative” – autre que thermique – représentaient seulement 5,3 % de l’ensemble du parc automobile de l’UE.

“L’Amérique du Nord et l’Europe sont de loin les régions qui ont émis le plus de gaz à effet de serre depuis la révolution industrielle”, a commenté Augustin Fragnière le 28 mars 2023. “Ils ont donc une responsabilité historique”. 

Une capacité d’entrainement de la Californie et l’Europe 

“Non seulement agir sur le parc européen est loin d’être anodin si l’on s’en tient à la part qu’il représente au niveau mondial, mais en plus la politique européenne a une capacité d’entraînement sur le reste de l’industrie automobile mondiale”, a commenté Marie Chéron.

“Il y a un effet d’entraînement très clair”, a abondé Augustin Fragnière. “Typiquement, quand la Californie a commencé à mettre des standards plus stricts en termes d’émissions de CO2 des véhicules, ça a influencé tout le marché américain de l’automobile. Les constructeurs se sont alignés sur les standards californiens plus exigeants, afin d’éviter de produire deux types de véhicules”. 

“Si toute l’Union européenne bannit tous les moteurs thermiques, les industries automobiles locales devront s’adapter, mais aussi tous les constructeurs automobiles qui exportent sur le continent”, a conclu Augustin Fragnière.

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